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« Lien et séparation familiale de l’enfant kanak » de Luc Enoka Camoui

Étude sur le terrain… d’entente

Publié aux éditions de la Province nord, l’ouvrage « Lien et séparation familiale de l’enfant kanak » de Luc Enoka Camoui est un essai pour réconcilier la culture de l’école et celle de la famille. Prendre l’enfant au cœur du système dans le monde socioculturel de Kaala-Gomen. École rime avec parole…

Dans la préface Hamid Mokaddem prêche pour une école dont la parole fait destin commun et il pourfend tous les observateurs d’en haut et de loin qui donnent leurs avis sans être vraiment immergés dans le milieu scolaire de la Nouvelle-Calédonie. Place donc aux vrais acteurs, à ceux qui pratiquent et expérimentent et s’appuient sur des contenus réels. Luc Enoka Camoui est de ceux-là, essayant avec cet essai d’articuler les trajectoires d’élèves kanak avec les contraintes des trajectoires scolaires occidentales. Longtemps instituteur, puis directeur d’école dans la région de Pouebo, il a mené un travail d’investigation pour répondre à des questions d’ordre professionnel, l’assaillant sur la réussite scolaire chez l’enfant kanak. La majorité des parents interrogés (dont les enfants ont réussi leur parcours scolaire) s’accorde à dire que cette réussite passe par une séparation bien négociée entre l’enfant et ses parents, son clan ou sa tribu. Cette hypothèse posée répondant à son propre parcours où la franche souffrance émotionnelle générée par sa séparation familiale a permis l’apprentissage d’une autonomie, d’une socialisation, d’une nouvelle filiation (faite des valeurs intellectuelles et comportementales induites par l’école).

Séparation mais pas rupture
Dans ce petit village de la côte ouest, blotti au pied du mont Kaala, où règnent l’autosuffisance et la « vie facile », l’importance de l’école est minimisée dans les tribus. La majorité du succès scolaire provient d’élèves issus d’autres régions du Nord, ceux de la région de Kaala-Gomen ne parvenant pratiquement jamais à l’obtention du brevet des collèges. Dans ce constat d’échec, entrent en jeu les carences d’ordre structurel (filles mères immatures reproduisant un sentiment de rejet à travers l’éducation de leurs « enfants naturels »), d’ordre éducationnel (environnement familial plus ou moins stimulant, réactions différentes de parents à un problème de l’enfant) et d’ordre affectif (familles aimantes, rejetantes, sans affection, sereines, angoissées ou culpabilisées). Il faut, également, faire attention au trop de lien et à la cage affective qui coupent du monde extérieur. L’enfant en milieu tribal emploie souvent le « on » pour se définir par rapport à sa famille, à son clan. Il n’est jamais seul, c’est pourquoi il faut que les paroles d’anciens « encyclopédies » ritualisent la séparation avec la famille pour aller vers le monde inconnu de l’école. C’est un pari difficile et risqué, mais une séparation, bien menée, n’est pas une rupture. Elle est porteuse de richesses : extériorisation de l’émotion, développement de la distanciation, sens de l’anticipation, apprentissage de l’individualisation et de la singularité, initiation à la relativité. Une bonne négociation de la séparation familiale va aider l’élève « à vivre loin des parents sans se sentir seul ». Les deux savoirs scolaire et culturel doivent se compléter et « il faut être à la fois un enfant culturel et un enfant social friand d’un nouveau savoir sans être dépourvu de son savoir culturel inné – le faire et le dire ». L’enquête à base d’un questionnaire confirme que la réussite d’illustres prédécesseurs passe par cette séparation ritualisée. Ce petit livre riche d’enseignements pragmatiques est à découvrir non seulement par les parents Kanak, mais aussi par le monde enseignant et par… tous.

Rolross