A CHACUN SON DEUIL
À chacun son deuil
J’ai toujours été insensible. Du moins, je l’ai longtemps cru. Je me souviens d’un événement où je l’ai ressenti pour la première fois. C’était durant mon enfance, aux alentours de mes huit ans.
Je me rappelle qu’il y avait des couleurs partout. Jaune citron, vert émeraude, bleu azur, rouge. Un éclat de couleur pour accueillir la funeste nouvelle.
Ma tante venait de perdre son mari. Les cérémonies sont toujours pleines d’ornements et de scintillement dans notre communauté.
Il travaillait comme mineur sur une île et il est mort dans un éboulement.
On se rendait souvent en famille sur cette île pour les vacances. Quand j’évoque son souvenir, c’est ce lieu qui me revient. Les niaoulis, la cabane en tôles, le clapotis des vagues, le bac pour s’y rendre. Il y avait également des animaux, des poules, des émouchets et surtout, le plus impressionnant pour moi ; encore aujourd’hui, des chevaux. Tous ces moments d’euphorie et c’est son visage que je revois dans ce décor paradisiaque.
Puis, le baiser sur ce corps froid à la veillée funèbre. Ma tante qui m’agrippe le bras en pleurant et criant mon nom. Pourtant, je n’ai pas pleuré. Je ne partageais pas la tristesse ambiante. C’était la première fois que je faisais face à la mort et je ne savais pas quelle attitude adopter. Je ne ressentais rien.
Quand je lis ces lignes en atelier, je suis assez ému à ma grande surprise. Je garde un contrôle sur ma voix, mais je la sens se dérober parfois. L’écart de ressenti entre mon corps et mes pensées me surprend. Je repense brièvement à ces personnes s’apprêtant à faire un discours et soudainement leur voix se brise sous le coup de l’émotion. Je les comprends un peu mieux.
J’ai longtemps cru être insensible. Finalement, je n’exprimais pas mes émotions.
On dit que pour aller à la rencontre des autres, il faut oser faire le premier pas. Je rajouterai prétentieusement que pour aller à la rencontre de soi, il faut oser prononcer le premier mot.
Mon oncle aura quitté un paradis pour un autre. Il ne laisse pas un vide, mais un souvenir heureux. J’espère naïvement en faire de même pour mes proches un jour, mais ça ne dépendra pas de moi. Ce sera du ressort d’un premier mot.
HERVE BAUDIN