SOUVENIRS D’ENFANCE
Est-ce que à cette époque-là je connaissais l’adresse rue des Chandiots, qui étaye aujourd’hui mon souvenir ?
Cette bulle spatio-temporelle garde toute la lumière de ce jour-là, où petite fille de cinq ans je me revois seule aux pieds des immeubles.
La rue est large à cet endroit, nombreuses les voitures garées, tout baigne dans une atmosphère de dimanche heureux ; des gens alentour dont je perçois la présence bienveillante, pourtant ce n’est pas d’eux dont je me souviens. Peut-être me demande-t-on où j’habite même si je ne réponds pas, je sais que je peux revenir d’où je viens parce que nous avons déjà fait plusieurs fois le trajet, qu’il a fallu aider et prendre mes deux frères par la main pour les conduire jusqu’au nouvel appartement. Pendant que ma mère porte le bébé dernier-né, ma petite sœur, mon père s’occupe de réceptionner nos affaires. Au milieu de tous ces va-et-vient je suis libre. Je sais aller jusqu’au bout de la ligne droite. J’ai repéré la barrière en tube métallique dans le virage, point de repère d’où je n’irai pas plus loin.
À cet instant je suis absolument tranquille dans la nouveauté de ce lieu, maitresse de mon exploration aventureuse. Dans cet espace aux larges ouvertures, bordé de pelouses vertes je me tiens là, j’appréhende la verticalité des façades blanches aux entresols gris à ma droite derrière moi. Devant arrive la route d’accès mais l’entrée est plus loin qui donne sur la rue.
J’ai le sentiment de m’appartenir complètement.
Ce carrefour reste dans ma mémoire comme un point d’ancrage particulier.
ISABELLE BAUCHER