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Petit délire cruel et sans prétention du dimanche matin

Petit délire cruel et sans prétention du dimanche matin
Le jour de ses quatre vingt ans Hortense décréta qu’elle avait assez marché dans sa vie et qu’elle ne quitterait plus désormais son fauteuil »
Voltaire avait compris que maintenant tout reposerait sur ses bras.
C’est vrai que durant soixante ans, c’est elle qui avait subvenu à tous ses besoins, c’est elle qui avait travaillé, élevé les enfants, entretenu la maison, dirigé la femme de ménage, donné à manger aux perruches, brossé le chien, secoué le tapis,…
Lui, candide, s’était contenté d’écrire au pied de son manguier, assis, le dos courbé sur ses feuillets…
Durant toute ces années et par tous les temps, il ne s’était levé que pour gagner son lieu d’écriture ou pour aller se coucher auprès d’Hortense qui lui servait en saison froide de bouillotte et en saison chaude de rien du tout.
Bien sûr selon le temps, il enfilait un pull et un pantalon, un short et une chemise tahitienne, se coiffait d’une panama ou d’une casquette …La canicule, la pluie , le vent et même les cyclones, toutes les intempéries n’avaient pu le faire renoncer un instant à rejoindre son pied…
C’était une catastrophe ! Il réalisait soudain que les rôles étaient inversés, qu’il devait quitter son arbre pour servir de pieds et de mains à Hortense qu’il avait beaucoup négligée mais il ne savait pas faire grand chose si ce n’est écrire et satisfaire quelques besoins naturels.
Il avait entendu parler des croisières Pacific Harbor à l’occasion d’un drame qui s’était déroulé à Sydney et dont il avait eu vent par Hortense …
Elle avait souligné que sur ces grands paquebots, le personnel s’occupait de tout, qu’il suffisait de demander et qu’on était servi.
Il avait compris alors qu’elle désirait au fond d’elle et au moins une fois dans sa vie partir à l’aventure …
Eureka, c’était la solution ! Il se leva, prit la carte bleue d’Hortense dans son sac à main, se rendit à la Société Générale où il vida le compte et sortit des lingotins du coffre.
Il traversa deux rues, entra chez le courtier qui lui donna 30 millions cfp en échange de l’or et déposa chez Axess Travel 25 millions en paiement d’une croisière pour deux personnes qui tournait autour du monde et qui devrait durer tant qu’il y aurait de l’argent c’est-à -dire de nombreuses années, en tenant compte aussi des promotions régulières sur les cabines intérieures.
Il fit avec grand soin une valise et celle d’Hortense, qui était aux anges, puis appela un taxi médicalisé qui les conduisit au Quai Ferry.
Sur le quai, un élévateur permit de hisser Hortense, clouée à son fauteuil…
Elle jubilait, elle battait des mains dans le vide en se penchant sur Voltaire qui surveillait les opérations et qui se faisait de plus en plus petit. Elle allait enfin l’avoir pour elle dans un espace limité, sans arbre mais propice à vivre l’aventure qui la libérerait sans état d’âme de toutes les contraintes.
Il avait enfin compris! comme il l’aimait! comme elle lui pardonnait ! et elle , comme elle l’aimait aussi !
Voltaire assistait ému au spectacle du fauteuil qui décollait, il embrassa l’aide-soignante navigante puis regarda le paquebot larguer les amarres en imaginant l’incipit de Zadig, l’oeuvre de sa vie.
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.Suite et fin de la fin :
Catherine Massol :
« T’en as qui se réveillent un peu tard….Il aura l’air fin quand Hortense ne sera plus là, comme un con, tout seul au pied de son arbre avec personne pour lui préparer la gamelle!« 
Anne-Marie Jorge Pralong-Valour:
« J’ai oublié un paragraphe où il retrouvait une gouvernante de 52 ans encore gironde qu’il paiera avec les 5 millions restant … »
NB La première phrase de ce texte est de Didier van Cauwelaert