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« Écris une nouvelle pour expliquer l’état du monde » : Xavier Alexis Eginard

Voici comment le lagon est apparu en Nouvelle-Calédonie

C’était il y a bien longtemps, bien avant que Cook ne découvre la Nouvelle- Calédonie, bien avant les premières terres coutumières. C’était avant tout cela, est même encore avant.
C’était au temps où les animaux vivaient sans les Hommes sur la terre. Avant que Dieu ne crée Adam et Ève.

En ce temps-là, il y avait un oiseau roi, grand par la taille, fier sur ses pattes, avec un plumage épais aux couleurs de feu. De ses ailes rayonnantes, il s’envolait jusque dans les nuages. Il régnait en maître sur l’immensité du ciel.

Cependant, il était très malheureux, car il n’existait aucun autre oiseau comme lui. Il n’avait ni famille, ni ami, ni sujet. L’oiseau roi était seul au monde. Personne ne partageait ses joies, personne ne partageait ses peines, personne pour le rassurer dans la nuit. Après le coucher du soleil, il se posait au pied d’un arbre et pleurait en silence avant de s’endormir. Au matin, cette solitude était vite oubliée lorsqu’il reprenait son envol et régnait à nouveau. Entre ciel et terre, son plumage enflammé étincelait, mais le soir venu, sa tristesse revenait, inlassablement.

Le monde est vaste, et les desseins du Seigneur sont des mystères. Ainsi, c’est en volant au-dessus de la Nouvelle-Calédonie que l’oiseau roi aperçut une oiselle. Elle était comme lui, grande, forte et fière. Comme lui, elle souffrait d’être seule. Ils étaient faits pour s’entendre, c’était certain. Pourtant, leur rencontre fut un vrai désastre. Une catastrophe. Dès qu’il vit son oiselle, il se posa à ses côtés pour une parade amoureuse. — Regarde-moi, ordonna-t-il, je suis un oiseau roi. Regarde comme je suis beau. Contemple mes plumes flamboyantes ! Admire mes couleurs ! Jamais, au grand jamais, on n’a vu de plus beau volatile. Jamais, au grand jamais, on n’a vu un tel plumage de feu. Regarde-moi, je suis un oiseau roi. L’oiselle prit peur. Oh, elle rêvait d’avoir un beau compagnon tel que lui, mais elle se méfia de son horrible orgueil. Elle s’enfuit à tire- d’aile pour se cacher dans la forêt profonde, sous les grandes fougères, les kaoris et les gaïacs. En un souffle, elle disparut.

L’oiseau roi en fut stupéfait, il resta le bec ouvert d’étonnement. Pourquoi l’oiselle avait-elle fui devant tant de beauté? Elle ne l’avait pas bien regardée ! Ah non, il n’abandonnerait pas, il reviendrait. Il la chercherait encore. Néanmoins, pour ne plus risquer d’être éconduit, il changea sa robe enflammée en un plumage plus simple et plus discret.

Le lendemain, il survola la grande terre dans l’espoir d’une deuxième rencontre. Il n’eut pas à attendre beaucoup, l’oiselle était toujours là, chez nous. Une nouvelle fois, il tenta sa chance en se posant près d’elle : — Observe-moi, intima-t-il, je suis un oiseau roi. Observe comme je suis fort. De mes ailes, je m’élève dans le ciel si haut que je peux me perdre dans les nuages. Mon vol est rapide, si rapide qu’on pense que je suis un éclair. Jamais, au grand jamais, on n’a vu d’animal si puissant. Jamais, au grand jamais, on n’a vu de bête plus vigoureuse. Regarde-moi, je suis un oiseau roi.

L’oiselle eut encore plus peur que la veille. Sans attendre, elle fila se cacher dans les brousses en faisant le moins de bruit possible.
— Les ailes m’en tombent, se désespéra l’oiseau, roi, qu’ai-je fait?
Il voulut retrouver sa trace, mais les brousses étaient denses et la piste, fragile. Il se promit de revenir le jour suivant pour tenter sa chance à nouveau. Toutefois, pour ne plus effaroucher l’oiselle, il décida de ne plus savoir voler. Oui, parfaitement, il oublia comment on fait ! Désormais, il resterait au ras de terre et se déplacerait sur ses pattes,

tant pis pour son règne dans les airs ! C’est ainsi que l’oiseau roi rechercha son oiselle. Du sol, c’est plus difficile qu’en volant, mais il la découvrit enfin, entre les racines d’un Banian.
— Vois, je suis un oiseau roi, déclara-t-il, je suis venu ici pour te plaire. Et pour ne plus t’effrayer, je suis maintenant gris et humble. Simplement une houppe sur la tête et des pattes solides pour courir. Si tu veux bien, je partagerai tes joies et tes peines. Le soir venu, nous nous blottirons l’un contre l’autre pour nous rassurer dans la nuit. L’oiseau roi et l’oiselle ne se quittèrent plus.

La catastrophe s’achevait, mais une autre allait survenir.
Comme ils vécurent inséparables, l’oiselle pondit un gros œuf. Les amoureux étaient ravis, heureux à n’en plus finir. L’oiseau roi était bien trop fier et l’oiselle un peu trop soucieuse, mais ils nageaient dans le bonheur, celui d’être bientôt parents.
Pourtant, il planait une menace sur le futur petit poussin. Les oiseaux qui vivent sur le sol ne peuvent pas pondre dans les arbres, à l’abri des bêtes sauvages, des chiens errants et des monstres de toutes sortes.
Au ras de terre, l’œuf était vulnérable.
Un soir, une immense créature des mers sortit de l’eau. C’était un géant terrible avec de grands yeux, de grandes dents et des oreilles pointues. Il dévorait, brisait, cassait, c’était Karoucas ! Il n’avait pas d’autre but que de venir se rassasier.
Pris de panique, l’oiselle se coucha sur son œuf et le protégea de son corps. L’oiseau roi avait peur lui aussi, mais que pouvait-il faire contre ce colosse? Pouvait-il l’impressionner de son plumage de feu? Non. Pouvait- il voler et tenter une attaque par les airs? Non plus. Tous combats étaient « peine perdue ». Ils devaient se résigner à partir en laissant derrière eux leur unique œuf, trop gros pour être emporté. Existait-il un autre choix? L’oiselle regretta que l’oiseau roi n’ait pas gardé tous ses atouts, ses plumes de feu et son vol éclair, mais il était trop tard. Toutefois, ils ne fuirent pas. Ils n’abandonnèrent pas leur futur poussin. Ils se blottirent l’un contre l’autre, enlaçant leur œuf bien aimé, et ils attendirent, en tremblant, d’être dévorés par le géant.
Par chance, Karoucas avait beaucoup d’appétit. Deux pauvres oiseaux et un seul œuf ne lui auraient jamais suffi. Il passa son chemin à la recherche d’une grosse vache. D’ailleurs, il ne la trouva pas ce jour-là… parce que c’est une autre histoire…
Leur frayeur passée, l’oiseau roi et l’oiselle décidèrent de mieux se protéger, mais seuls, que pouvaient-ils faire?
Alors, ils entraînèrent toutes les bêtes et les poissons du pays pour construire — chacun suivant ses capacités — une barrière de corail gigantesque. Oui, une barrière de corail ! Un chantier considérable.
— Écoutez, dit l’oiseau roi. Écoutez-moi, habitant de Nouvelle-Calédonie. Ensemble, nous allons bâtir un rempart si solide que nul ne pourra le franchir. Une barrière qui fera le tour de la grande terre et le tour des îles et qui sera impénétrable aux monstres, aux géants et aux autres créatures qui pourraient venir nous dévorer. Écoutez-moi, je suis un oiseau roi.
Cette barrière de corail existe encore de nos jours. Certes, elle n’est plus aussi infranchissable que par le passé, mais depuis, elle a créé un lagon magnifique. Il est immense, le plus grand du monde. C’est celui que nous connaissons aujourd’hui. En revanche, l’oiseau roi, lui n’a pas changé. Il est toujours parmi nous. Avec son oiselle, on les appelle « les Cagous ».