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« Écris une nouvelle pour expliquer l’état du monde »: Amandine Omar

LA LUNE TEA HINA

Grand-mère était assise près du feu. De sa main habile, elle le nourrissait. Chaque morceau de bois ou de feuillage qu’elle attrapait était choisi avec soin, pour garder en vie ce petit souffle. Nous les enfants, étions installés sur la natte près d’elle, captivés par son travail. Il n’y avait pas de bruit, juste le crépitement du feu, qui parfois faisait voler de belles comètes au-dessus de nos têtes. Les flammes s’agrippaient et dansaient autour des bois. Les braises toutes rouges se consumaient et lançaient de petits éclats de lumière, des étincelles. Une légère fumée s’échappait du foyer en montant vers le ciel. La nuit était calme.

En fait, tout le monde, les petits comme les grands, attendaient le moment précis où la vieille allait parler. Chaque fois on apprenait un peu plus sur l’Univers, sur « l’Origine des Mondes », comme elle disait en souriant. Grand-mère mit une bûche à brûler, regarda si nous étions attentifs et commença :

« Savez-vous mes enfants que nous venons tous de la Lune. Cette belle planète brillante, cet astre mystérieux qui la nuit venue nous éclaire le chemin. Jadis, nous vivions à l’intérieur de cette planète, qui était une terre prospère pour notre peuple. Nous ne manquions de rien et tout le monde était en admiration devant sa grande beauté. La Lune était très humble et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour nous rendre heureux. Mais en vérité, la Lune ne savait pas à quoi elle ressemblait, car elle ne s’était jamais vue. Elle s’en référait à ce que nous autres lui disions. La Belle grandissait et nous en même temps. Nos destinées étaient liées. »

Grand-mère fit une pause et regarda si nous étions toujours là. Personne ne s’était endormi, bien trop captivé par son histoire. Elle veilla à ce que tout le monde soit attentif et fixa un moment chacun d’entre nous, comme si ce qu’elle allait nous dire était d’une très grande importance. Elle passa ses mains dans ses cheveux gris et bien lissés, tira légèrement sur le manou qui lui recouvrait les jambes et continua :

« Nous sommes le fruit de la nature les enfants et malgré ce que certains peuvent dire ou faire, nous ne pouvons grandir et évoluer sans elle, car elle est origine et source de la vie. C’est pour cela qu’il faut la protéger et la chérir comme votre propre vie les enfants. »

Sur ces mots, elle pointa son doigt dans le ciel étoilé et reprit :

« La Lune nous donnait tout ce dont nous avions besoin pour vivre et être heureux ; ce qui la rendait de plus en plus belle et fertile. En grandissant, sa curiosité commença à naître. Elle voulait trouver un moyen pour se voir et savoir à quoi elle ressemblait. Ses traits, son visage, sa couleur, sa forme, son image ? Autant de questions auxquelles elle ne pouvait répondre. Cette situation la tourmentait de plus en plus. Si elle voulait continuer à grandir, comme vous les enfants et rester une terre prospère, il lui fallait trouver une solution, des réponses.

Un jour de grande tristesse, la Lune ne pût empêcher une larme de tomber, puis deux, puis trois et quatre, cinq… On vit alors des dizaines, des centaines, des milliers d’anneaux se répandre ; sortes de cercles de feu, d’or ou d’eau, miroirs lumineux qui se reflétaient dans nos pupilles.

La Lune comprit tout de suite qu’elle avait trouvé la solution. Elle se pencha au-dessus de ce miroir et vit son image se refléter dans cette immense étendue d’eau, devenue calme et limpide. Mais elle se rapprocha tant et tant de la surface de l’océan, qu’elle se brisa le nez sur un rocher. Sortirent alors de la Lune, des milliers de créatures. Certaines restèrent sur terre, d’autres tombèrent dans l’eau et d’autres encore partirent dans les airs ; reliant ainsi les trois éléments pour l’éternité. Nous autres, les enfants, sommes celles qui ont touché la terre et la mer. Nous y sommes restés et avons continué à grandir, à nous développer. Nous avons appris à cultiver, à pécher, à chasser, à nous soigner et à parler.

Consciente de son erreur, la Lune blessée s’éloigna au plus loin dans le ciel, mais resta dans le sillon de la Terre. Et depuis ce temps, elle est condamnée à sans cesse perdre et retrouver un morceau de son visage. Mais son influence est toujours aussi grande. La Lune nous donne la lumière, fortifie les pierres, fait pousser nos plantes, aide aux cultures et guide les pêcheurs. Regardez-la lorsqu’elle est pleine, sphère étincelante, beauté parfaite ! Elle se retrouve alors et c’est à vous qu’elle sourit les enfants, les yeux grands ouverts.

Ce soir-là, nous avons veillé longtemps. Nous sommes restés couchés sur la natte, près de Grand-mère et du feu, à admirer cette boule lumineuse, notre mère La Lune. Il nous semblait même, du bout du doigt, pouvoir la toucher.