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Colchiques dans les prés…

Les nouvelles que vous trouverez dans ce recueil sont issues d’un
concours des Éditions du Bord du Lot.
Écrites par treize auteurs différents, venus de tous les coins de
France mais aussi de Nouvelle Calédonie, d’Allemagne, de Suisse
et du Burkina Faso, dont la liste se trouve, par ordre alphabétique,
ci-dessous.
Le thème était libre, ce qui a donné des textes très variés. Nous avons
essayé de choisir des nouvelles de tonalités différentes, drôles ou plus
sérieuses.
Nous espérons que vous, lecteur, prendrez autant de plaisir à les
lire que nous en avons eu à les sélectionner.
L’éditeur
Les auteurs : ABECASSIS Sonia ANZIANI Denise AUDUREAU Philippe CAP Jean-Jacques FERRARI Bertrand
FRELAND Nicole GOLAY Henri-Daniel GRENIER Michelle HUMBERT Pierre KIMA Florentine
LOURS LE SAUZE Nathalie MONET Yvon VIARGUES Nicole

Note d’Ecrire en Océanie : Une nouvelle de Pierre Humbert primée lors du concours des Editions du Bord du Lot. Bravo Pierre !

Extraits de la nouvelle Pandémia, publiée chez Bordulot
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C’est que dans l’Empire Central, là bas, en Estasie sévissait , parmi la gent aussi domestique qu’ailée, une terrible maladie, que l’on nommait grippe aviaire. Celle-ci, comme chacun devrait le savoir, était une maladie pas très bien connue atteignant les volailles, et provoquant leur décès.
Cette épizootie ne fut bien évidemment connue du monde que tardivement, comme il sied à tous les dangers qu’on croit vaniteusement pouvoir maîtriser seul. Tous les pays du monde ont connu cette situation, qu’il s’agisse de sang plus ou moins frelaté, d’hormones pas nettes ou d’armes de destruction massive aussi hypothétiques qu’introuvables.
En Empire Central, on ne s’embarrassait pas de préjugés , même si on n’était pas gêné par les manifestations de travailleurs, et on appréciait les méthodes expéditives. C’est ainsi que quelques paysans, qui avaient émis une protestation intempestive, et beaucoup de poulets étaient décédés bien plus des suites d’une épidémie de prudence invétérée que de la maladie propre ..
Je suis toujours ébloui par le fait que notre belle langue ait le sublime avantage de faire coexister dans une même phrase hospitalière des mots aussi antinomiques. Ce qui est passionnant pour les férus de belles lettres, mais l’était, en ces temps lointains , beaucoup moins pour les aviculteurs et autres misérables paysans qui avaient vu leur capital s’entasser dans des fosses communes sans trop d’espoir d’indemnisation.
L’empire Central, séparé de la Calékie par des mers immenses, était loin, très loin de notre île lumineuse..
Mais, en ces temps instables et, somme toute, pas trop équilibrés, on ne savait jamais! Les Politiques avaient donc mis au point un des fléaux de la politique scientiste de l’époque, un amalgame incongru de parapluie, de prudence, de prévision électorale et de secret espoir de lucre, le sacro-saint principe de précaution.
Il s’agissait pour les uns du parangon de la sécurité, pour d’ autres d’une aberration plus gênante qu’efficace, pour d’autres encore, et ils étaient les plus nombreux ( ce qui pouvait laisser à penser qu’ils avaient peut-être raison ), il s’agissait d’une mesure pas très claire permettant de ne pas dire qu’on ne savait pas vraiment quoi faire en présence de l’événement, tout en se mettant à l’abri de ses conséquences éventuelles.
Ce principe prévalait dans tous les pays un peu civilisés de la planète, et son invention était le fruit de longues études. Quand on ne savait pas, on interdisait, puis on réfléchissait, puis on analysait, puis on vendait, et finalement, quoi qu’il arrive, quelqu’un, quelque part, faisait fortune.
On jugeait un lampiste, ou, suivant la gravité de l’événement, un membre un peu plus élevé dans la hiérarchie sociale. Et le peuple applaudissait à la condamnation de l’infâme, persuadé que ses timides, ou violentes protestations, selon l’instant, aient été suivies d’effet. Les militants des partis d’opposition et des partis au pouvoir se congratulaient, se promettant en secret de retenir la leçon pour le prochain incident.
Naturellement, entre l’Empire Central et le reste du monde, existaient des échanges commerciaux, pas toujours faciles, mais qui, bon an, mal an , arrivaient tout de même à satisfaire quelques appétits.
Et ces échanges portaient sur tout, des plus récentes copies d’inventions des uns et des autres à la nourriture, qui comprenait, évidemment, des poulets, en passant par les espoirs philosophiques de tous et de chacun. Si bien qu’ un souvenir de Calékie fabriqué en plastique aggloméré façon bois des îles dans une école primaire d’un tyrannat Sudestasien était vendu avec un profit de 150 ou 200% à des gogos amateurs d’arts premiers dans des boutiques calékiennes.

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Les médias, ravies de l’aubaine, remplissaient deux une par journal, tant ils avaient d’événements à annoncer, tels que la découverte d’un pigeon dans un conteneur venant d’Estasie, dont l’euthanasie aurait pu sauver presque avec certitude les Calékiens d’une mort atroce, ou la description des affres éventuellement souffertes par des gens qui auraient peut-être pu être en contact avec un touriste pouvant avoir survolé un élevage de poulets contaminé en Estasie. Des photos, des compte-rendus de personnes ayant rencontré un voyageur ayant eu une relation téléphonique avec un témoin du drame, ornaient les journaux à sensation, et, aussi, tous les quotidiens, les hebdomadaires et les mensuels.
En apprenant que les basses-cours de l’Empire Central toussaient et allaient finir par disparaître, faute d’habitants, la plupart des nations cessèrent, en toute logique, leurs achats et fermèrent leurs frontières, certaines ainsi de se protéger, tant il est vrai que les frontières arrêtaient les maladies, les pluies acides et les nuages toxiques. C’est ainsi qu’on se demande toujours avec une incompréhension de bon aloi par quel miracle il y avait tant de cancers dans certaines régions.
Pendant ce temps, les Centraux continuaient imperturbablement à exterminer leur cheptel avicole.
Cependant, en moins de temps qu’il n’en faut à une hirondelle pour faire le printemps, un doute affreux saisit les esprits :
Et si les oiseaux migrateurs étaient eux aussi contaminés ?