Tags

Related Posts

Share This

« Tiébaghi 1945/1964 – mémoires d’un village minier » d’Épone Jouve

Que la montagne est belle !

Dès sa parution en juillet 2009, « Tiébaghi 1945/1964 – mémoires d’un village minier » d’Épone Jouve est devenu un indispensable document du patrimoine calédonien. Un livre du tonnerre qui fait partie de cet assemblage, de ce regroupement de mémoires mosaïques qui constitueront la base de notre futur pays. Mine d’histoire(s)…

J’utilise très rarement la première personne du singulier pour écrire mes articles, mais concernant cet ouvrage qui me touche de près, je n’hésite pas un seul instant à vous livrer quelques impressions personnelles. En effet, avec ma famille, j’ai habité quinze agréables années dans la commune de Koumac et le village abandonné de Tiébaghi a été un de nos premiers coups de cœur en 1986, date de notre installation dans le Nord. J’y suis allé de nombreuses fois, toujours à pied, en partant de Paagoumène, en escaladant les différentes voies et avec toujours le même bonheur à découvrir dans le silence un endroit unique au monde. Malgré l’essoufflement, on se surprenait à fredonner la chanson de Jean Ferrat : « mon Dieu que la montage est belle ! ». Pas mal d’amis, de parents de passage ont eu droit à ce baptême montagnard qui faisait embrasser, au promeneur, un paysage époustouflant. C’était un village désert empli des fantômes de l’histoire, dont nous ne savions rien ou pas grand-chose. Il nous apparaissait tel un décor de film fantastique, battu par les vents qui faisaient vibrer les tôles des toits endommagés. Son abandon enracinait les camions et engins dans les ornières du passé et sa chapelle à ciel ouvert appelait une volonté céleste à un renouveau. La prière faisant son effet, les gens du cru ont fondé l’ASPMHNC (Association pour la sauvegarde du patrimoine minier et historique du nord calédonien) afin de ressusciter cette enclave industrielle emblématique où « on était plein d’ethnies, mais on était tous frères. »

Portraits en galerie
Arrivée en 2005, Épone Jouve a eu, comme votre serviteur, un coup de foudre pour la Montagne du Tonnerre et elle n’a eu de cesse de recueillir des témoignages, de rencontrer les derniers habitants de ce village minier, de faire sortir les photos de leurs cartons, d’archiver une foule d’anecdotes. En plus de l’apport des « anciens de Thiébaghi », l’investissement d’institutions – Etat français, Province nord, commune de Koumac, SLN – et la rencontre avec Laurence Viallard de Grain de sable ont abouti à ce fabuleux objet/livre, didactique, à l’iconographie riche, doté d’une mine d’informations et… d’émotions. Robert Frouin, longtemps maire de Koumac, le dit justement dans la préface : « Tiébaghi est une histoire à ne pas oublier ». Et ce livre nous y aidera à l’aide d’un historique débutant en 1875 avec la découverte du filon, suivi du premier coup de pioche, de l’exploitation en galeries et se terminant en 1964 avec la fermeture du site. Une photographie double page montre la beauté du lieu vu du dôme avec cette impression d’être le roi du monde en tutoyant le ciel. Montagne sacrée des mineurs calédoniens, coffre-fort du grand Nord, monde d’hommes, les appellations fourmillent dans les anecdotes encadrées, dans le vocabulaire spécifique de la mine, dans les portraits en galeries des anciens dont on perçoit les trémolos dans leurs témoignages, mêmes écrits. Des listes de noms parsèment l’ouvrage, ainsi que des photos sépias, des reproductions d’actes, de registres, le plan du village et de ses quartiers (1500 habitants de 1950 à 1955) et le fameux tunnel N°7, jonction entre le monde souterrain et l’air libre. François Truffaut, célèbre cinéaste français, a employé une même phrase dans plusieurs de ses films en parlant de l’amour ; il disait que ce sentiment universel était à la fois « une joie et une souffrance… » comme le fut Tiébaghi. Des visages souriants, bien que marqués par le labeur, des photos de famille, des enfants qui jouent, bref toute une vie se déroule dans les deux cent trente pages au papier glacé de ce magnifique album. Bonne idée de cadeau pour les fêtes, voici un ouvrage à se procurer pour continuer à sortir le village de l’abandon comme s’y emploie l’association de sauvegarde depuis quelques années. Vive Tiébaghi !

Rolross