Discours de Frédéric Ohlen  (festival « Fins du monde ») Sep20

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Discours de Frédéric Ohlen (festival « Fins du monde »)

DISCOURS

prononcé à la Maison du Livre, le 13 septembre 2012,
à l’occasion de la soirée de clôture du festival « Fins du monde »
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Mesdames et Messieurs, Chers amis,

Vous le savez, selon certains oracles, qu’il s’agisse des Centuries de Nostradamus ou des décrets de la sybille, la fin du monde adviendra dans exactement 98 jours, c’est-à-dire le 21 décembre 2012 ! Évidemment, comme me le faisait finement observer quelqu’un, compte tenu du décalage horaire, pour nous, ce sera… le lendemain ! Décidément, l’Humanité semble vouer un culte aux catastrophes et aux désastres, fléaux qu’elle ne se contente malheureusement pas seulement de prédire ou d’imaginer au cinéma ou sur le Net.
Rassurez-vous ! Les diverses apocalypses ont été repoussées autant de fois qu’elles furent annoncées dans l’Histoire. Par conséquent, si, par extraordinaire, vous aviez fait, en Terriens prévoyants et prudents, quelques préparatifs, dans la perspective de notre prochain anéantissement, sachez que vous avez encore, n’en déplaise aux exégètes mayas, un peu de temps devant vous.
Je recommande donc à ceux qui auraient d’ores et déjà converti tous leurs avoirs en lingots d’or et en actions de la Nasa, d’arrêter de creuser dans leur jardin et d’annuler au plus vite leur billet aller Nouméa-Cap Canaveral – ou, pour les plus optimistes, Nouméa-Kourou. De toute façon, vous ne parlez pas assez bien le russe, et sachez qu’il n’y a guère de place dans les modules spatiaux actuels. Même si, de là-haut, la vue est, je l’admets, assez remarquable, même si l’on y dort au calme, confortablement pendu au plafond comme Spiderman ou la fée Clochette, je puis vous certifier que les toilettes et l’eau qu’on y boit, filtrée et purifiée, y sont tout à fait répugnantes.
Pour sur-vivre, en revanche, je ne saurais trop vous inciter à apprendre, jour après jour, non pas à nager, non pas à allumer un feu par simple friction, ni même à vous servir d’une arme contre vos pas si cons frères, mais à rire et à réfléchir un peu. Vous vous affranchirez ainsi des gogolitudes infinies plus aisément qu’en fusée. Vous découvrirez que la vitesse de libération de chaque être pensant est inversement proportionnelle au carré de la distance qu’il aura pris d’abord avec lui-même.
Et puis, comme le rappelait fort justement Fabrice Mottez, dans sa récente conférence à la bibliothèque Bernheim, il existe, pour parodier Shakespeare, autant de fins du monde que n’en peut rêver toute notre philosophie. Un homme politique qui perd soudain tout sens de l’humour. Une punkette qui rase Poutine. Une raquette qui passe la ligne. Un milliardaire imposé à 75 % qui… essaie de devenir Belge. Un fumeur sans clope. Un cowboy sans colt. Un geek sans i-phone. Un Calédonien sans claquettes. Un président d’association sans subvention. Un technocrate sans théorie. Un écrivain sans éditeur. Un comédien sans théâtre. Un habitant d’Alep ou de Homs. De grands enfants qui ne savent plus, au soir, où sont leurs châteaux de sable. Et bien sûr, tous ces péquenots qui vous disent que rien, rien ne pourra changer le monde ni les hommes.
Pourtant, moi, mammifère supérieur, fruit sans doute de disparitions anciennes et successives – ça se voit…, debout sur mon atome d’azur et de boue, j’ai confiance. Malgré tous ces vastes nettoyages dont nous avons retrouvé les traces dans les strates, la Vie continue, envers et contre tout. Mais attention…

En moyenne une espèce
vit
quatre
millions d’années

Tous les
500 000 siècles
extinction de masse
tabula rasa

Aérolithe
virus
déluge
glaciation

La prochaine approche

Ce ne sera pas
tel météore trouant l’espace
ni l’eau rugissante
ni la neige

Ce sera nous

La Lumière du Monde,
Éd. Grain de Sable/L’Herbier de Feu, 2005.
Frédéric Ohlen,
Président de la MLNC.