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Le Rêve d’Ana, de Nicole Chardon-Isch, étude de Florence Rouillon


Commentaire par Florence ROUILLON-STEUER, enseignante de Lettres Modernes à Nouméa

Le Rêve d’Ana, un conte :
Avec Le Rêve d’Ana, Nicole nous offre à lire et offre à lire à nos enfants un très joli conte. Comme tous les contes, Le Rêve d’Ana a une structure bien définie. Une petite cane, Ana, rejetée par ses frères et négligée par ses parents, rêve de devenir humaine ; telle est la situation initiale. Elle rêve de voler vers des contrées lointaines et de rencontrer Mwakeny, la reine des Lutins. Elle décide donc de partir -c’est l’élément perturbateur et le début de la séquence de modification. Elle prouve son courage et rencontre Mwakeny à qui elle demande de devenir humaine. Mwakeny exauce son vœu mais au prix du mutisme et de la surdité. Au terme de son voyage initiatique entre le monde des humains et le monde des esprits, Ana deviendra une jeune fille heureuse et épanouie. Elle aura pour mission de transmettre la langue des signes. Telle est la situation finale, remplie d’espoir et ouverte à tous les possibles.

Une belle leçon de morale :
Qu’apprennent les enfants en lisant ce conte ? Qu’il faut croire en ses rêves, que rien n’est acquis d’avance et qu’il faut faire des efforts pour obtenir ce que l’on veut. Il ne faut jamais renoncer, même s’il y a des contraintes : l’on devient plus grand en réalisant ses rêves.
Ana, la petite cane, est une enfant lorsque commence le conte ; lorsque le conte se termine, Ana est devenue une gardienne au seuil de l’adolescence. Il n’y avait que le conte qui pût décrire cette courbe, ce passage du désir à l’accomplissement grâce à l’effort, à l’espoir et au rêve. Il n’y avait que le conte pour transcrire la préoccupation des enfants, jetés dans un monde qui parfois les chagrine, les rejette, et dont ils ne comprennent ni l’indifférence ni la cruauté -cette cruauté qu’ils vivent au quotidien dans le refus des différences, tant il est vrai que tous les enfants sont différents et se trouvent différents. Ils s’identifieront aisément à Ana, petit être rêveur, qui ne veut que jouer, aimer et être aimée. Ana porte des valeurs qui réconfortent les enfants : elle est jugée différente, et elle l’est parce qu’elle est courageuse, parce qu’elle rêve et accomplit son rêve ; elle joue, comme tous les enfants, elle savoure une vie douce comme en rêvent tous les enfants, elle sait qu’elle devra quitter le giron maternel -puisque Julie est devenue sa grand-mère d’adoption- pour faire des études, plus tard, ailleurs, et devenir à son tour une gardienne. Par certains aspects, le conte ressemble à La Petite Sirène, où le personnage principal, une sirène, devient femme pour se rapprocher de l’homme qu’elle aime. Mais la Petite Sirène n’aura cessé de souffrir et la fin du conte est tragique. Nulle dimension tragique dans Le Rêve d’Ana où même ce qui se paie devient don. Lorsque Mwakeny fait « payer » à Ana la réalisation de son vœu, elle lui fait un cadeau, elle lui donne quelque chose bien plus qu’elle ne la prive : « Tu étudieras la langue des signes et tu l’enseigneras à ceux qui en ont besoin. Ce sera ta mission, en échange de tout ce que j’ai fait pour toi » (p.43). Elle lui confie une mission : la transmission. À la fin du conte, Ana rêve encore de donner quelque chose : le conte commence par un rêve et se clôt sur un rêve, le rêve d’un don qui ne prend jamais fin. La cane devenue jeune fille aura été accueillie, et elle rêve de pouvoir toujours accueillir. Quel plus beau message offrir aux enfants ?

Un désir d’universel :
Dans ce conte, on retrouve beaucoup de Nicole. Elle dédie ce livre à son petit fils, Galaad. Nicole me racontait comment, lorsqu’elle parle à son fils sur Skype, elle voit Galaad qui se tourne, depuis son transat, vers la bibliothèque où il regarde les livres. Le Rêve d’Ana est un livre pour Galaad, Nicole ressemble à son personnage, elle est celle qui transmet des valeurs, qui transmet une histoire, une culture, qui inclut et ouvre les enfants au monde. Elle leur en offre une clé de lecture. Elle met en abîme un acte qui lui est cher : la transmission, non pas tant d’un savoir, mais de valeurs : le courage, l’espoir, le respect de l’autre et des différences. Nicole proclame le droit à la différence -qui est un était de fait-, et ce devoir, qui nous grandit, de tolérer, de respecter, et par notre volonté et notre intelligence : de partager et d’inclure, de faire entrer l’autre dans un monde qui est aussi le sien.
Nicole est professeure, elle est linguiste, son conte met exergue ce qui l’anime dans sa fonction d’enseignante, dans son travail d’écrivain, dans ce qu’elle est et dans ce qu’elle aime : communiquer, comprendre et transmettre. Elle avoue sa préoccupation pour le monde des sourds et muets. Elle n’avait pas encore parlé dans ses textes de la langue des signes, une langue paradoxale presque, une langue sans mots qui permet d’inclure, qui, sans un son, franchit la barrière du silence. « Plus tard, je rêve d’enseigner, de présenter le Journal et de traduire les contes à ceux qui, comme moi, ont vécu dans le monde du silence ».
Le conte de Nicole revêt discrètement une dimension encyclopédique. Nicole explore les langages : l’écrit, l’oral, les langues, audibles, inaudibles, inintelligibles (au réveil, Ana parle de sa voix de cane), le silence et les gestes, les dessins (le bambou gravé), et par toutes ces langues le savoir, le secret et la transmission. Le Rêve d’Ana explore les mots, les mots du français d’ici et d’ailleurs, même si parfois on juge ces mots un peu difficiles (« placide », « audacieuse », « voûtes cristallines », « farouchement » : Nicole est exigeante et fait confiance aux enfants qui comprennent sa langue). La langue de Nicole cherche à dire le monde tel qu’il est, à nommer les choses telles qu’elles sont et telles qu’elles sont nommées : le taro, le faré, les tilapias, les sensitives… en nommant le monde, l’auteure éveille la curiosité, invite à mieux regarder le monde et à mieux en savourer la diversité et la beauté. Elle fait sortir du silence les choses, les plantes et les animaux pour mieux nous en laisser savourer la beauté : « Elle adore les animaux et s’amuse à les voir évoluer sous le soleil », dit-on de Julie p. 10. Ce n’est pas par hasard si la petite cane pense et parle.
Le Rêve d’Ana part de Yaté, gagne Nouméa, fait rêver d’Afrique, pénètre le monde magique des lutins, revient sur terre, évoque la traversée des océans, pour revenir, comme sur un cercle, comme après avoir parcouru le monde, dans la maison de Julie (le mot « maison » est le tout dernier mot du texte).
Le conte explore les quatre éléments : la terre, les airs, l’eau (un lac, la mer, l’océan) et le feu (la porte magique est un cercle de feu). Il joue entre le visible et l’invisible. Il se construit entre le monde réel et le monde de la Reine des Lutins, entre la culture occidentale et la culture kanak (Mwakeny, les lutins, le bambou gravé), le monde d’en haut et le monde d’en bas. Nicole rend hommage au monde kanak, elle intègre dans ce conte comme dans d’autres textes la géographie de la Calédonie et la culture kanak. Nicole parle les langues et les cultures du monde. Un peu comme dans L’Odyssée, Ana traverse le monde des animaux, le monde des hommes, et le monde des esprits, pour mieux définir ce qu’est être humain. Ce n’est sans doute pas un hasard si ceux qui s’opposent à Ana, ses frères, ses parents indifférents, sont des animaux (compris ici comme ce que ne doit pas être un homme, rester « bête » en somme), et ce qui l’aide est un esprit ; les animaux l’aident aussi, parce qu’ils incarnent la droiture, la loyauté, le savoir, la sagesse, ils connaissent des routes que les hommes ignorent parce qu’ils viennent du monde des esprits et en connaissent les codes -nos représentations du monde animal sont heureusement ambivalentes. Parce que le conte intègre tout ce qui fait le monde, il invite chaque enfant à mieux le regarder, à mieux en appréhender la diversité et la beauté. Il aide l’enfant à se situer entre ce qu’il ne faut pas faire et ce qu’il est bon de faire, il montre le droit chemin. Puis il assigne au jeune lecteur une mission : regarder, respecter, apprendre et transmettre.
L’on retrouve dans Le Rêve d’Ana une des plus grandes préoccupations de Nicole : l’exclusion et le refus des différences lui sont insupportables. Le Rêve d’Ana est cet alphabet que Mwakeny nous transmet directement : lorsque l’on exclut ou refuse les différences, on n’entend pas, c’est nous qui devenons sourds aux autres. L’exclusion réduit au silence, et partant à la souffrance : Ana était chassée parce qu’elle était différente, on se moquait de Julie parce qu’elle était trop grande. Le Rêve d’Ana apprend au jeune lecteur un nouvel alphabet qui « ouvr(e) la porte de Lumière », la porte de l’altérité.

Quelques questions pour la classe :

Trouve les mots cachés :
Créé grâce au site puzzle maker : http://puzzlemaker.discoveryeducation.com

B A M B O U M L S V I H H C Y
E S U E I C A D U A I E Q R N
P L L O I E D E S P O L T I E
I K K O A E C F P Y N X Z S K
L D R L Q Q M O D P C Y I T A
I F A R O U C H E M E N T A W
E U L D E A R U T H R M F L M
R W T F M L Q Ê R Y I U K L E
S B Q P N I B S V O R F V I U
Y Y E L G S I I J E Y D I N G
A S T A E L C C S Z I A D E N
N B M N E P L A C I D E U S A
A M G N S N I T U L V B G M L
R I C T D R X Z S K V N C X E
S E L U D H Y S J C P W I Z F

ANA
AUDACIEUSE
BAMBOU
CRISTALLINES
FAROUCHEMENT
HIPPOCAMPES
INVISIBLE
LANGUE
LUTINS
MAGIQUE
MWAKENY
PILIERS
PLACIDE
ROYAUME
RYTHME
RÊVE
SIGNES
SILENCE

*
**

Vocabulaire :
a) Peux-tu expliquer comment est formé le mot « farouchement » ?
b) Cherche dans un dictionnaire le mot « hippocampe ». De quelle langue vient ce mot ? Que signifient, dans cette langue ancienne, les deux mots qui le composent ? Peux-tu citer d’autres mots formés sur la racine « hippo » ? Tu peux dessiner ces animaux !
c) Cherche au moins cinq mots qui renvoient à la culture kanak dans le conte et explique-les.
d) Trouve le nom d’un animal que l’on rencontre en Afrique, aux Antilles et en Nouvelle-Calédonie. Dessine-le si tu veux !

*
**

Le schéma actanciel :
On appelle schéma actanciel le schéma (comme un tableau, un résumé, une représentation) qui permet de présenter les personnages et de préciser leurs intentions.
a) Complète le schéma ci-dessous :
Personnage principal : ——————————  ce qu’elle veut :

Tout ce qui s’oppose à elle : Tout ce qui lui vient en aide :
Opposants Adjuvants

a) Que remarques-tu ? Ana a-t-elle plus d’amis ou d’ennemis ?

*
**

Pour aller plus loin :
a) Les illustrations ont été réalisées par Bernard Billot. Quelle est ton illustration préférée ? Décris-la et dis pourquoi tu l’aimes.
b) Cherche sur Internet la langue des signes. Saurais-tu dire « bonjour » dans cette langue ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Langue_des_signes_fran%C3%A7aise

a) Essaie de « dire » sans parler que tu as faim, que tu veux aller jouer, que tu es fatigué(e), ou quelque chose de simple… Est-ce facile de te faire comprendre ?
b) Connais-tu le film de Nicolas Philibert, Au Pays des Sourds ? Tu trouveras des extraits sur Internet. Si tu le connais, parles-en à tes amis et dis quel extrait t’a le plus ému, ou émue.
c) Y a-t-il quelqu’un dans ton entourage qui est sourd et muet ? Peux-tu parler de lui, ou d’elle ? Comment communiquez-vous ensemble ?
d) T’est-il déjà arrivé de voir quelqu’un rejeté parce qu’il était différent ? Qu’as-tu fait, ou qu’aurais-tu aimé pouvoir faire ? Que penses-tu qu’il faille faire ?
e) Regarde C’est pas Sorcier : https://www.youtube.com/watch?v=4IbWf2CsScM