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La dictée 2013

Conçue par Roland Rossero, la dictée ne présente pas de grandes difficultés, mais pas mal de jeux de mots, donc attention… requise !

La brousse en philo

Peu ou prou, Marcel s’était toujours couché de bonne heure. Le grand air de la côte ouest, son domaine à exploiter et son insatiable curiosité à se cultiver sur tout ce qui l’entourait – phénomènes naturels, êtres animés et inanimés, problèmes métaphysiques liés à l’univers – emplissaient ses journées dès potron-minet jusqu’au crépuscule. Chaque soir, après une soupe aussi réconfortante que roborative, il se plongeait avec délices dans l’étude d’un antique dictionnaire Larousse jusqu’à ce que ses paupières se fassent lourdes, lui signalant un repos bien mérité. C’était un rituel immuable que ces quelques pages verticales avant le « page » horizontal.
Par définition et bon sens qui ne saurait mentir, il avait commencé par la lettre A et en était aux dernières feuilles du P. Aimant débusquer les mots rares ou tarabiscotés, il se faisait une joie d’aborder la consonne suivante. Assurément, de ces mots exceptionnels, il y en avait plein le Q. Au cours de ces soirées studieuses, il s’était constitué un bestiaire fabuleux avec des espèces qui alliaient contrées de rêve et orthographe alambiquée. Fin de la dictée jeunesse.

Ornithorynque, impala, calao bicorne, hippopotame pygmée, wallaby le faisaient fantasmer. Certes, le dernier animal cité se trouvait en fin d’encyclopédie, mais Marcel, en gourmet des mots, ne pouvait s’empêcher, en guise de dessert, de se faire une ligne volée sur le trio attirant des trois ultimes lettres de l’alphabet. Beaucoup de ces mots savants et malheureusement trop peu employés étaient en voie de disparition comme leurs modèles vivants. Il se demandait parfois si les chasseurs mal intentionnés et les braconniers impitoyables ne les supprimaient pas pour rayer de la carte leurs noms à l’étymologie parfois amphigourique.
Marcel avait toujours respecté la vie sous quelque forme qu’elle fût, faune et flore étroitement entremêlées. C’est pourquoi, lorsqu’il sortait son escopette pour une partie de chasse conviviale avec d’autres broussards, il rentrait souvent bredouille et content de l’être. Parfois et par manque de chance, seuls quelques cerfs suicidaires, une infime quantité de cochons sauvages hypermétropes ou des poules sultanes basses du QI (mais n’était-ce pas là un pléonasme ?) venaient squatter sa gibecière.
Vous l’aurez aisément compris, il était d’une manière générale fasciné par l’ontologie qui étudie les propriétés de l’être telles que l’existence, la durée et l’évolution. Ce terrien accroché à son terroir était tout sauf terre-à-terre et ce cultivateur enraciné ne laissait jamais en jachère la moindre partie de ses hémisphères cérébelleux. De son passage militarisé au camp de Nandaï, il avait hérité cette discipline dans son quotidien et cette boulimie d’apprendre. Natif du grand Nord, ces quelques centaines de kilomètres franchis lui avaient fait entrevoir d’autres horizons. D’ailleurs, en cas de panne électrique d’un de ses différents véhicules agricoles, ne chargeait-il pas sa batterie au cri de « Vive l’ampère-heure ! », fort de cette courte osmose avec la gent militaire occasionnellement belliqueuse.
Cependant, revenons à ses moutons car il aimait l’ovin bien qu’il n’en consommât que peu. Précisons que l’animal, si frisé et prisé de ses confrères néo-zélandais, remplissait régulièrement son bas de laine. Marcel était tellement préoccupé de la vie en général et de l’avis des autres en particulier que, lorsqu’une de ses brebis se blessait sur des fils barbelés, il se piquait de la soigner derechef. Maniant l’aiguille et le fil à suture avec dextérité, il laissait toujours une plaie très propre après opération. Cela ne surprendra personne, sa devise hautement philosophique était :
« Je panse, donc j’essuie ! ».