Tags

Related Posts

Share This

Île était une fois Ouessant…

Ouessant, phare de la littérature insulaire

Du 18 au 22 août, le salon international du livre insulaire d’Ouessant a fait la part belle aux pages ensoleillées. Un salon pérenne où règne amour de l’écrit et convivialité dopée au cidre. Île était une fois Ouessant…

C’est sous un crachin breton on ne peut plus exotique que votre serviteur est arrivé sur l’île mythique, consacrée par la géographie, le cinéma (« L’équipier » de Philippe Lioret, entre autres) et la littérature. L’avion prévu ayant été annulé par un plafond désespérement bas, le bateau s’est avéré le meilleur et le seul moyen de transport. Et puis quelle autre option y a-t-il pour aborder un rivage pour la première fois ? D’emblée, avec ses côtes sauvages, ses maisons rurales aux toits pentus, ses moutons et ses vélos sillonnant les chemins, le Néo-calédonien pense à la Nouvelle-Zélande. Que nenni, nous sommes bien à Ouessant car un air de biniou traverse les airs pour nous le rappeler. Et la personne chargée de nous véhiculer à la sortie du bateau est intarissable sur la pêche aux maquereaux, le soir sur la jetée du Stiff, près du phare du même nom. A une heure de Brest, cette île, non contente d’être une rime majeure dans une chanson de Voulzy, s’honore depuis douze ans d’abriter le salon interantional du livre insulaire. Née en 1999, lors d’une journée de tempête, dans la tête d’une professionnelle de la communication (Isabelle – menant – Le Bal), cette manifestation est aussi à l’origine de notre SILO (Salon international du livre océanien) à Poindimié. Ici, le gymnase remplace la salle polyvalente et la cinquantaine d’invités est logée chez l’habitant dans de magnifiques petites maisons avec vue imprenable sur les cinq phares et le large.

Ambassadeurs de la langue bretonne
A Ouessant, les abords sont difficiles, tout le contraire des quatre-vingt bénévoles s’occupant de l’accueil, du bien-être des invités (écrivains, éditeurs) et de la bonne marche du salon. Cette année, la thématique met à l’honneur les îles de Bretagne avec, entre autres, un hommage à l’écrivain Henri Queffélec. L’accueil par l’équipe du salon est chaleureux, le pli et le cidre de l’amitié sont vite pris, les logements – de ravissantes maisons perdues dans la lande avec horizon brumeux – attribués et les vélos incontournables pour les trajets et balades distribués. La fête peut commencer. Le jour de l’inauguration, le défilé en costumes des siècles derniers est une remontée dans le temps pour nous, mais une pratique traditionnelle bien « encrée » dans le salon. Kilts en tartan (aux couleurs de l’île) pour les hommes, coiffes blanches dentellées et robes noires épaisses pour les femmes remontent les rues du village de Lampaul avant de faire la ronde devant l’église. Danse traditionnelle où le rythme du biniou se substitue au martèlement du pilou. Tous sont des ambassadeurs de la langue bretonne, même si le numérique imprègnera tout le salon avec les conférences « Numèr’îles ». La jeunesse et le numérique pour une renaissance de la lecture et de l’écrit. Après les discours d’ouverture, la remise des prix du salon honore en majorité l’île de la Réunion, mais le grand prix du Ponant, toutes catégories confondues, va au beau livre de Valérie Vattier et Vincent Guigueno retraçant l’épopée du phare Amédée (dont nous avions déjà dit le plus grand bien dans ces colonnes). Fruit du travail d’une équipe motivée, cette première journée confirme la position cruciale de la présidente Isabelle Le Bal, débordante d’énergie, toujours au phare et au moulin. Comme au SILO, ventes, causeries, rencontres au bar inondant l’espace de propos pétillants et achats abondants, saturant nos sacs, emplissent nos journées

Les amis d’Henri
En soirée, Youenn Guillanton, avec vingt chants des îles bretonnes a capella, nous ramène en douceur à notre première nuit « décalée ». Le lendemain, vent frais, parcours à vélo vivifiant avant de se plonger dans la saga de la famille Queffélec, traduisible par courlis – un échassier malin. 2010 marque le centenaire de la naissance d’Henri Quéffélec, brestois, grand voyageur et amateur d’îles. La vie du « plus grand écrivain maritime de langue française » fait l’objet d’une conférence par AAHQ (Association des amis d’Henri Queffélec) : biographie chronologique, références aux nombreux écrits (plus de quatre-vingt dix ouvrages), réflexion philosophiques sur les îles. Ce cinéphile (dont « Le recteur de l’île de Sein » a été, entre autres, porté à l’écran) a beaucoup écrit sur « ses » îles. Pour lui, « tout homme était une île » s’ouvrant sur les autres. Présidente du jury, sa fille Anne, pianiste virtuose donne en après-midi, un concert dédié à son père. Dans les morceaux choisis, Debussy et Ravel pour des « jeux d’eaux » impressionnistes du plus bel effet. Les Calédoniens présents se souviennent de l’interprète venue jouer à Nouméa l’an dernier pour exalter vagues et mouvements de barques sur un flux de notes aquatiques. Sublime ! Pour clore la journée en musique, une fanfare celte « Candas », issue des Asturies (Espagne), nous confirme la tradition voyageuse de ce peuple et l’ancrage pérenne de sa culture. Après les agapes vespérales arrosées sous chapiteau, il faut prendre le chemin pentu du retour. Dur pour les mollets !

Deux François en un
L’édition 2010 de Numèr’île propose sous la présidence de François Bon des ateliers d’écriture, des débats et des lectures publiques. Comment imaginer et promouvoir le numérique insulaire à travers les nouveaux univers des médias et des éditions en réseaux. Internet changeant le récit du monde, l’écriture numérique s’adapte aux dispositifs de lecture, aux contraintes d’une nouvelle écriture, engendrant des bouleversemenst de comportements. Grâce aux blogs, par exemple, les liens sociaux des insulaires sont renforcés dans un espace de libre pensée. La technologie façonne autrement les objets livres, la circulation des textes s’accélère et l’imaginaire y trouve de nouvelles formes. C’est ce qu’a développé François Bon avec son atelier d’écriture « Ecrire avec île et mer » sur trois jours. Scientifique de formation, ce boulimique de livres est aussi un écrivain prolifique et éclectique. Cet ogre tendre dévoreur de pages est une mine de digressions érudites. Il passe de la meurtrière bataille de Lépante à Ambroise Paré, de Cervantès – inventeur du cinéma avec « Le rétable des merveilles » – à Panurge, du statut des femmes au latin de cuisine, des groupes mythiques du rock des seventies à un autre François qu’il vénère : Rabelais. Son humour dévastateur est au service d’un savoir universel, rassasiant le public ouessantin par des lectures où sa voix multiforme fait autorité. Une rencontre qui laisse des traces et augmente les bibliothèques des chanceux qui le croisent. Dans l’espace du salon, une des conférences parle de la vie de famille d’un gardien en résidence forcée sur un phare, accroché sur un rocher de moins de deux ares. Au contraire de Laure Morali, une écrivaine qui ne s’est pas faite prier pour une résidence d’écriture sur un sémaphore d’Ouessant. A cheval entre Montréal et sa Bretagne natale, cette belle et talentueuse jeune femme nous fait revivre ses voyages initiatiques par la poésie de ses mots, mêlant les trois éléments primordiaux que sont la mer, le ciel et la terre. Comment, après sa lecture, continuer à voir les cieux sans y dénicher des ours conteurs, comment passer à côté des autres sans essayer d’entrer dans leurs histoires pourvoyeuses de « g-rêves » ?

Cidre et convivialité
Des contes, liés au monde maritime, il y en a forcément beaucoup et Lucien Gourong nous en raconte, le dernier soir, avec une faconde irrésistible. Chansons à boire et à voir dans une pantomime digne des Frères Jacques succèdent aux textes accompagnés par un accordéon qui gémit comme le vent du large et dont le soufflet gonfle nos poumons d’un rire « hénaurme ». A l’aide de ce remède universel qu’est la déconnade, la choucroûte de mer, abondamment offerte avant le spectacle, se digère sans problème. Le salon, c’est également la lecture d’oeuvres primées pour la « nouvelle » génération, des rencontres avec des écritures îliennes lointaine (Réunion, Nouvelle-Calédonie), des découvertes étonnantes de la culture celte dont une cérémonie dédiée au soleil dans un cercle druidique battu par les vents. Hélas, malgré ces prières, la lumière et les rayons de l’astre solaire nous réchauffent peu dès le troisième jour. Heureusement, cidre, bière et convivialité sont des rendez-vous quotidiens sous le chapiteau, jouxtant le gymnase. Au salon d’Ouessant, la lumière des phares projette aussi un faisceau magique et cinéphile. Yann Queféllec (homonyme de l’écrivain fils d’Henri) oscille entre documentaire (« 23 jours sur une île » des Glénans) et fiction (« L’île Louët »). Journal de bord immobile filmé, le premier, en couleurs, est un portrait en creux du réalisateur et ancré dans la solitude du marin. Le second, en noir et blanc et sans paroles, est une mise en abîme fantastique où plane la noirceur des « Oiseaux » d’Alfred Hitchcock. Troublant ! Le brunch littéraire de la dernière matinée ouvre les portes virtuelles de l’édition de demain, la revisitation des droits d’auteurs, la perception d’un dialogue enrichissant tous azimuts et un nouveau baptême de la ligne. La toile, espace de liberté ou carcan surveillé ? Enfin, après la clôture du salon, le film de Jean Delannoy « Dieu a besoin des hommes » (adaption du roman d’Henri Queffélec « Le recteur de l’île de Sein ») rassemble les ultimes invités au phare du Créac’h. Décidément, la littérature a besoin d’Ouessant !

Rolross