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Evolution de Pierre Humbert

Evolution

Cette nuit, comme toutes les nuits, aussi loin que se portent mes souvenirs, j’ai rêvé. Une voisine, un peu parente, un peu cousine, m’avait dit un jour, il y a déjà bien longtemps, qu’il faut rêver pour être heureux. Je suis donc un homme heureux, mais, à mon grand désespoir, mes songes ne me laissent que très rarement des réminiscences suffisamment nettes pour être racontés. Cette nuit, pour une fois, j’ai gardé un souvenir précis de mon escapade onirique.

Il y avait un petit oiseau, gris, malingre, dont l’aspect était loin, très loin des flamboyants oiseaux de paradis. C’était un tout petit oiseau sans grâce, sans voix, n’inspirant qu’indifférence, et qui, perché sur une branche regardait curieusement et sans indulgence mais avec peut-être un peu d’envie, les humains vivre sous les frondaisons du bourao qui lui servait d’observatoire.

Il les voyait, petits, gris, riches et gras. Le petit oiseau gris et malingre avait déjà vécu bien longtemps, et, selon lui, ces humains qu’il contemplait étaient loin, très loin de ceux que, jadis, les Dieux avaient créés. Il les avait vus se trahir, se haïr, se battre, se combattre, se débattre avec leurs petites bassesses , et tenter les transformer en triomphes, mentir, tricher, s’entretuer au nom de tout et de n’importe quoi, parfois même pour rien.

Il les voyait maintenant ramasser des pierres pour le chasser, car ils le trouvaient laid, pauvre, petit et malingre. Et il ne les comprenait pas, puisque, étant lui aussi issu des œuvres du même créateur, quelque part , il leur ressemblait…

Mais lui n’éprouvait pas de haine, pas d’envie, pas de violence. Il voulait simplement manger pour finir en paix sa petite vie de petit oiseau gris et malingre.
Mais il leur était à la fois tellement semblable et tellement différent qu’ils ne pouvaient le supporter et cherchaient toutes sortes de prétextes afin de s’en débarrasser et se donner , sans honte, bonne conscience.

Toute cette agitation attira d’autres petits oiseaux gris et malingres. La faim les avait chassés de leurs nids, là-bas, dans les Suds oubliés, au delà des sables. Les migrateurs leur avaient appris que là-haut, dans le Nord, il y avait beaucoup de graines, et que la vie était bien plus facile pour eux, oiseaux, et qu’ils pourraient y élever aisément leurs petits. C’est pourquoi ils venaient par centaines, par milliers.
Il en vint tant que le ciel se cacha derrière leurs hordes indisciplinées, dont le bruit des battements d’aile couvrit celui du battements des cœurs des humains qui, inquiets, effrayés, affolés, coururent cacher leurs fortunes et leurs misérables biens, se terrer même, fermer leurs maisons à double tour. Il élevèrent des clôtures, et des barrières et de hauts murs.

Ils lancèrent leurs armées à l’assaut des envahisseurs ailés.
Ils en capturèrent qu’ils mirent en cage avant de les renvoyer dans leurs cieux arides sur leurs terres sans blé, d’où ils revinrent, têtus, implorants, terribles.
Alors ils les tuèrent par centaines, par milliers, mais ceux qui tombèrent furent instantanément remplacés par d’autres, plus misérables, plus affamés, plus assoiffés encore.

Alors les humains devinrent petits, gris et malingres et se cachèrent, s’enfouirent sous leurs terres riches, ne pouvant résister à la faim qui poussait ces innombrables petits oiseaux gris et malingres, et ils finirent par se dissoudre et finalement par disparaître.
Les petits oiseaux gris et malingres alors, dévorèrent tout, s’empiffrèrent, saccagèrent, se battirent, se déchirèrent et, petit à petit, insensiblement, se transformèrent pour, finalement, quitter leur statut de petits oiseaux gris et malingres.

Et ils devinrent, lentement, inexorablement, misérablement, humains.

Et là-bas, assis sur un tas d’humanités disparues, tranquille, l’Initiateur Originel contemplait curieusement ce qu’était devenue sa création, et pensivement se dit :
« Je ferai mieux la prochaine fois », en jetant le trognon de la pomme qu’il venait de finir.

En tombant, le divin déchet fit un bruit de fin du monde et m’expulsa de mon rêve.

Troublé, ne trouvant plus le sommeil, j’ai allumé la télé. Un reportage était retransmis, montrant d’innombrables clandestins à l’assaut de Ceuta et de Melilla, riches enclaves européennes en terre d’Afrique…..

Pierre Humbert