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Cinquième édition du SILO (Salon international du livre océanien) 2011

SILO brille

La cinquième édition du SILO (Salon international du livre océanien) a, une nouvelle fois, rappelé l’importance du livre et de l’écrit en général dans un pays en construction. Si, paraît-il, seuls les écrits restent, les paroles échangées pendant dix jours prouvent l’importance du partage culturel. Silo à plumes…

Pour sa cinquième édition et malgré les difficultés financières de la bibliothèque Bernheim, le SILO a innové en commençant par deux grandes journées d’ouverture à Nouméa. Réclamé depuis la première édition en 2003, ce week-end a été fructueux pour les organisateurs comme pour le public qui a répondu présent. Et ce, malgré une météo capricieuse favorisant la sortie en plein air le samedi avec un soleil radieux et confinant les réunions familiales en intérieur lors du dimanche pluvieux. L’attente était là et les lecteurs, les curieux sont venus se régaler non seulement en achetant un « volume » conséquent d’ouvrages, mais aussi en assistant aux rencontres programmées entre écrivains, aux conférences, en se savourant les lectures en direct dans les cafés littéraires vespéraux et en se délectant des intermèdes dus au duo célèbre des « Bataclowns » qui fait partie intégrante de la grande famille du SILO.
Ces deux jours dans l’enceinte du Surf Hôtel était une sorte de SILO, version brousse, en miniature. Un condensé qui n’est pas comparable avec les cinq jours sur la côte Est où l’on donne du temps autant à l’écrit qu’à la convivialité, où l’on prend le temps de l’échange entre auteurs, public et personnel de l’accueillant Teiti Tera Hôtel. A renouveler, donc, en équilibrant peut-être plus les deux parties, sachant que la population de Poindimié et des alentours traîne un peu les pieds (du poète ?).

Secteur économique fragile

Comme chaque fois, riche en paroles, le salon du livre océanien a mis le doigt, parfois douloureusement, sur des thèmes récurrents aux quatre éditions précédentes. L’éternel problème de l’édition en berne localement depuis la disparition du dernier grain de sable balayé par le vent des îles… polynésiennes. Certes le SILO est un élément précieux du réseau Pacifique pour un contact entre anglophones et francophones, mais que dire du protectionnisme de nos voisins australien et néo-zélandais pour l’instant hermétiques à la traduction de nos textes? Alors qu’à l’inverse, eux sont traduits sans problème ici. Notre pays en construction « littéraire » aurait bien besoin de cette visibilité qui a un coût, le travail d’édition requiert de la patience, son secteur économique est fragile et un auteur n’est rentable (en moyenne) qu’après cinq ou six œuvres publiées. Une maison d’éditions doit s’installer dans la durée, se construire un catalogue solide et tenir une vingtaine d’années avant d’être totalement rassurée.
Après le rapport Tertius (audit sur la filière libre), le choix politique tarde à se dessiner et l’on ne peut être que pessimiste en entrevoyant les masses d’argent qui vont être employées dans l’image télévisuelle pour des fins purement électorales. Il est vrai que nos hommes politiques ne sont guère portés sur l’écrit et ne voient toujours pas le bénéfice (maître mot ici) à retirer de la culture en général. Et pourtant, le destin commun est réalisé depuis longtemps dans le domaine artistique au sens large. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?
Alors que de nouvelles plumes locales se trempent dans l’encrier d’une inspiration qualitative, le résultat de cette pénurie éditoriale est une autoédition sauvage et ses corollaires : défaut de travail éditorial professionnel avec réécriture, défaut de relecture, maquette et objets bâclés, ventes et vraies critiques souvent inexistantes.

Ecrire en Océanie

La MLNC (Maison du livre de la Nouvelle-Calédonie) a dressé un bilan de son fonctionnement, ainsi qu’un état des lieux. Plutôt positif avec cet endroit empli d’Histoire et prompt à en faire écrire d’autres en son sein. Concours initiés avec parfois un succès incroyable (les 90 manuscrits de « Métiers de nuit »), animations régulières (« Quoi de neuf ? », « Lectures gourmandes »), manifestations (« Paroles et Musiques dont nous avons parlé dans le N°442), résidences d’écriture montrent sa montée en puissance. Ne manquent plus que volontés politiques et une solide maison d’édition implantée pour les fortes attentes d’auteurs émergents.
A ce propos, on a bien perçu lors des quatre jours à Poindimié que les lignes ont bougé. De nouvelles tonalités se font paradoxalement entendre sur le papier avec, notamment, Léopold Hnacipan et Noëlla Poemate. Avec ces plumes qui ne sont pas duvets, la parole se libère par l’écrit, on donne de la voix à la femme kanak, on fait écho à la société mélanésienne et à sa sexualité en particulier. Révélés par le concours « Ecrire en Océanie » et l’opiniâtreté de Claudine Jacques, ces textes disponibles (« Olé, Oléti ! ») ainsi que ceux de Frédérique Viole, entre autres, gagent d’un souffle renouvelé qui va oxygéner le landernau local et engendrer l’émulation. En deux mots, oser et entreprendre.
C’est le manque de visibilité de la « littérature calédonienne » qui est en jeu. Une intervention a signalé l’apparition de textes calédoniens dans des sujets d’examens, dans des cahiers d’évaluation et dans un livre scolaire « A la croisée des chemins où auteurs locaux contemporains ou non sont confrontés à des auteurs francophones et métropolitains. Ne reste plus qu’à convaincre tous les enseignants de s’en servir… et aussi aux étudiants de s’y intéresser.

La voix de Sia Figiel

Le lien est fait avec la jeunesse du pays, véritable enjeu et cible de toute la filière livre. Le SILO, avec ses ateliers jeunesse dans la salle omnisports de Poindimié – le pool bédéiste à ossature « Banana Studio », le plasticien Christian Voltz et ses créations poétiques, Yannick Prigent contant sa « petite tresseuse » – et avec ses visites scolaires, est dans un avenir de lecture par tous le moyens : des bébés/lecteurs aux concours de slams. Cette année encore, l’équipe de « livre mon ami » était sur place avec toujours autant d’enthousiasme pour promouvoir une lecture/plaisir qui, par l’intermédiaire de neuf romans et d’un album, regroupe dix mille participants du CM1 à la 6ème. Un système audio ayant été mis en place pour les enfants malvoyants, c’est dire l’investissement de tous ces bénévoles que nous saluons.
Chapeau bas également pour une invitée, Muriel Szac, journaliste confirmée, qui désormais tient les rênes de trois mensuels chez Bayard (Popi, Tralalire et Les belles histoires). Dirigée vers la petite enfance comme vers l’adolescence, cette travailleuse insatiable a dans son escarcelle d’auteure deux livres sur la mythologie et dirige des collections, plutôt… révolutionnaires, (« Ceux qui ont dit NON ! » et « Karactères »). Transmission de sujets universels pour se construire sur les bonnes bases du passé.
Pour terminer, on retiendra la gentillesse et la disponibilité des invités de marque : Michael Robotham, son humour noir et son œil pétillant (lire l’entretien ci-contre), Chantal Spitz, son roulement vocal et ses réparties identitaires malicieuses, Sia Figiel, Samoane rappelant Ella Fitzgerald au physique et au beau brin de voix en lecture chantée, sans oublier Witi Ihimaera, invité phare de ce SILO. Il a dispensé sa notion de « maoritude » capable de coloniser la langue anglaise à travers ses romans (« Paï », « Bulibasha, roi des gitans », « Nights in the gardens of Spain »), poèmes, nouvelles, films et chansons car l’écrivain est multiforme. Quand les mythes (océaniens) trouent le tissu occidental… Pour preuve, son prochain livre revisite l’énigme du « Masque de fer » dans une tribu maorie. Quel plus bel hommage pour la francophonie et le SILO ?

Silolross

ENCADRE
Palmarès 2011

Prix Popaï : Nicolas Kurtovitch « Les heures italiques »
Prix Popaï jeunesse Yannick Prigent « La petite tresseuse kanak »

Prix Ecrire en Océanie et MLNC : Frédérique Viole « J’ai tout plié »
Prix médiathèque Ouest : Joël Paul « Che si asciuga le castagne ora ? »

Prix Vinimö Poésie : Nicolas Kurtovitch « Les arbres et les rochers se partagent la montagne »

AU SILO DIT, AU SILO FAIT

Au SILO, on croise différents invités, tous animés par la passion de l’écriture et de la lecture. Voici des rencontres, faites au hasard des interventions et des cafés littéraires, racontées en quelques mots. Confidences…

Traduire et trahir – Frank Macken, un des traducteurs en direct au SILO, pense que la traduction est forcément une trahison car il n’est pas possible de garder le texte original. D’une langue à l’autre, la précision des mots diffère et il y a forcément des nuances que l’on ne peut pas traduire. Donc, pour garder le sens, le traducteur doit réécrire le contenu. Le message ne change pas, mais pour cela la traduction devient une adaptation. C’est dire la même chose avec d’autres mots, la trahison préserve le sens.
Mireille Vignol, traductrice anglais/français de littérature, a confirmé que le traducteur est un auteur à part entière légalement parlant en touchant des droits (d’auteur) sur la traduction d’un texte. Le travail n’est évidemment pas le même, l’écrivain créant un monde, une architecture dans laquelle le traducteur doit se couler pour le rendre accessible à un lecteur d’une autre culture, d’une autre langue. Depuis une dizaine d’années, elle fait ce travail avec passion en ne ménageant pas son temps, comme tous ses collègues. Malgré un côté solitaire, elle adore vivre avec les personnages d’un écrivain et il lui arrive même d’en rêver… Elle a dans son catalogue Kenneth Cook (« Le koala qui tue »), ainsi que Kate Grenville (« Le lieutenant », « Le fleuve secret ») auteure australienne de sagas historiques avec contacts entre Aborigènes, premiers colons et bagnards.
Lu et rebut – Autodidacte, Christian Voltz a commencé par la sculpture en récupérant de vieux boulons rouillés, des morceaux de fil de fer et des bouts de bois patinés par le temps qui, tous, avaient une mémoire temporelle… Avec, il fabriquait des personnages ou des animaux, tout en travaillant dans le secteur social d’aide aux personnes en difficulté. Après des études d’Arts déco, il s’est orienté vers l’illustration et la narration. La sculpture l’attirant plus que le dessin, il est revenu à ses matériaux de récup’ pour la réalisation de livres jeunesse. Son premier livre « Toujours rien ?» est donc illustré avec ces personnages en volume bricolés, assemblés et photographiés. Ses sculptures, rappelant Calder, ont des yeux écrous où passent poésie et humour. Dans ses ateliers, comme ici à Poindimié, les enfants étaient réceptifs et sont entrés sans problème dans cet univers simple, lui permettant de transmettre des thèmes qui lui sont chers.
Dame en noir – Ingrid Astier est entrée dans la cour des grands de la littérature policière avec « Quai des enfers (éditions Gallimard). Pour elle, être invitée dans des salons, ultramarins comme Tahiti ou ici à Poindimié, est une forme de restitution à l’imaginaire développé par l’écrivain en solitude. Tout tournant autour du livre, il s’instaure une circularité reliant voyage rêvé et voyage réel. Les couleurs du Pacifique lui donnaient une image d’Epinal contrariée par la découverte des auteurs locaux chez qui, comme dans son polar, le noir prédomine. Elle considère comme une chance de découvrir les littératures du Pacifique avec leurs sensibilités et des rencontres formidables. Elle préconise de ne pas avoir peur du noir, ni de la nuit afin d’aller au bout de l’humain, sans réserve. Dans ces conditions, elle peut m’intéresser à l’acte ultime de tuer, chose très éloignée de sa vie. Forte de cette distance, elle a la liberté d’écriture pour se balader à travers toutes les consciences.
Pilote de lignes – Après avoir été traducteur (on lui doit la co-traduction de la série « Millénium ») et éditeur (chez Actes Sud, notamment) pendant quarante ans, Marc de Gouvenain est devenu agent littéraire à l’agence Pontas, basée à Barcelone. Fondée par Ana Soler-Pont, bien nommée pour construire des passerelles multiples entre les auteurs et les autres cultures, cette agence profite, désormais, de sa grande expérience en tant qu’associé. Ce métier d’agent, mal connu, consiste à se substituer à l’auteur pour la recherche d’un éditeur, pour la gestion et la protection de ses droits. L’agent conseille également l’auteur, lui bâtit une carrière dans le monde littéraire. Agissant comme un filtre, l’agent doit être efficace dans le temps pour être crédible et, surtout, penser international. Un livre, dans lequel il croit, doit être placé et donc traduit dans plusieurs pays à la fois. L’éditeur doit s’occuper purement d’écriture avec l’auteur alors que l’agent, tout en flairant le potentiel d’un écrivain, doit s’occuper de l’intendance, doit faire la promotion de la publication et être un lien indispensable avec le réseau littéraire mondial. Son carnet d’adresses, bien rempli par ses expériences (Collection Antipodes, entre autres), en fait un élément incontournable de la sphère littéraire internationale.
« Ed’îleteur » – Christian Robert, directeur des éditions tahitiennes « Au vent des Îles », était au SILO pour la quatrième fois consécutive. Ce professionnel de l’édition est conforté par l’expérience 2011 consistant à commencer par un long week-end à Nouméa. Conscient de tout ce qui est fait ici pour la lecture publique et l’écriture (contrairement à la Polynésie), il sait que les livres doivent trouver les lecteurs et cela passe par la vente. Cet aspect économique est à prendre en compte et, à Nouméa, il a été ravi de voir le public conquis par les rencontres avec les auteurs et les conférenciers, tout en achetant beaucoup de livres. Cependant, pour lui, le lieu Poidimié n’est pas à remettre en question car c’est l’âme du SILO. Les deux localités sont donc à garder. De plus, il s’est réjoui de la découverte de nouvelles plumes kanak (Leopold Hnacipan et Noëlla Poemat) gages de répercutions éditoriales.
« Poés’îles » – Ayant dirigé pendant dix ans le département éditorial de poésie chez Seghers, Bruno Doucey vole de ses propres ailes avec les éditions portant son nom. Il se définit comme poète et éditeur de poètes, tout en écrivant des romans, des nouvelles ainsi que pour la jeunesse. Vivant littéralement « en état de poésie », cette dernière est pour lui une manière de vivre. Et quand il n’est pas traversé par cet état, il l’assigne en résidence en éditant des poètes. Un pari fou économiquement qu’il a relevé avec la création en Métropole de sa maison d’édition qui pratique une « hospitalité éditoriale » pour les poètes du monde entier aux richesses insoupçonnées. Au cours des derniers dix-huit mois, les poètes édités viennent de tous les horizons (Irak, Iran, Balkans, Haiti et Outremer). A signaler la première anthologie de poésie ultramarine française reliant trois océans et où la Nouvelle-Calédonie a une part importante avec douze auteurs (de Jean Mariotti à Paul Wamo). Pour la seconde fois au SILO (la première ayant laissé des traces pour sa création propre), il est venu présenter les publications de poésies d’Anne Bihan et d’Imasango. L’ailleurs le suscite et le rend plus humain.
SILO à bulle – Solo, Jar, Jilème et Vhans, quatuor de bédéistes, sont venus dispenser également de la ligne (claire ou pas), du trait et de la couleur en rencontrant un maximum de scolaires dans des ateliers pratiques. Pour eux pas question de buller, c’était plutôt la crampe au poignet qui les guettait… Auteurs et dessinateurs étaient très heureux d’être invités car la BD est très importante en Calédonie en se développant, désormais, dans le grenier du SILO. Genre plus du tout mineur, la BD est une forme de récit passant par l’image, très présente chez les jeunes ; c’est aussi une manière d’approcher la lecture par bulles interposées et ludiques. L’icône, l’enluminure, le dessin d’art ont été les premiers signes d’histoires racontées par l’image et la BD a pignon sur rue comme la littérature où tous les genres existent et où les travers du monde sont dénoncés par la subversion. Ici, en terre d’oralité, les jeunes océaniens sont plus sensibles aux dialogues omniprésents dans les cases. Finie la mauvaise presse pour des bulles destructrices d’orthographes, le roman-BD est le chaînon qui manquait pour relier littérature, cinéma et illustrations. À suivre…

Rolross