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« Venir au jour » de Frédéric Ohlen

Naître et le néant

Dans sa conception, sa fabrication et son propos, « Venir au jour » de Frédéric Ohlen, publié à L’Herbier de Feu, est un livre unique. Comme pourraient le dire les parents d’un enfant qui vient de naître. De la naissance à la mort, il y a la vie que seuls les mots justes du poète peuvent évoquer. Ici et ailleurs…

On ne peut aborder cet ouvrage sans parler de sa forme, de sa belle couverture rouge rigide, ornée d’une étonnante photographie d’Eric Dell’erba – un corps de femme tagué/signé comme un mur – des dos de couverture et pages de garde gaufrés avec des inserts végétaux multicolores, des trois superbes collages d’Isabelle Simon et des papiers variés qui le composent. Seulement tiré, pour l’instant, à vingt-cinq exemplaires numérotés, l’objet/livre allie les cinq sens qu’exaltent la poésie : la vue (beauté intrinsèque de l’ouvrage et de ses illustrations), le toucher (grain du papier crème, douce rugosité de la couverture), l’odorat (senteur du papier encré), l’ouïe (le bruit des pages qui tournent) et, évidemment, le goût… des mots. Composé de vingt-et-un poèmes, ce recueil est à ouvrir, à déplier tel « l’origami lisse » pour naître à la nature, se fondre dans les éléments « au cœur de la terre ». Le poète sait exprimer les impressions visuelles – « La ville montée en neige / poreuse / de s’être encore oubliée / dans la nuit » – et les actions simples – marcher, dormir – avec des mots évidents.

Véritablement vivant
À l’heure des signes identitaires, on y trouvera l’hymne « Kanaky- Calédonie », lu avec force dans l’enceinte de la Maison du Livre, lors d’une ultime réunion conviviale de lectures avec les derniers invités extérieurs du SILO 2009. Un texte historico/lyrique, juste et sans emphase, à répandre et à apprendre dans toutes les écoles. « Voici le cercle… », le poème sûrement le plus émouvant, est une évocation terriblement humaine du naufrage de la Monique, survenu le 31 juillet 1953. Ces vers sauvent littéralement de l’oubli, sur une bouée, la confraternité des hommes telle qu’on la souhaite. On trouvera, aussi, d’autres souvenirs moins tragiques de navigation par gros temps, des départs et des arrivées à quai et la description de petits métiers, grandis par des pratiquants attentifs à l’autre – Le Photographe, Le Peintre, Au Calligraphe inconnu. Quelques pages plus loin, l’éternelle folie des hommes n’arrivera jamais à éteindre l’étincelle d’espoir que fera toujours surgir un archet – Le violoniste de Vukovar. La dernière partie s’attache à décrire les multiples naissances qui parcourent les étapes essentielles d’une vie. Pourquoi faut-il la quitter alors que les rares images précises du bonheur sont enfin et pleinement savourées ? Il est difficile de paraphraser la pensée et les images du poète, surtout dans un recueil aussi dense que celui-là, c’est pourquoi la sensation propre à chaque lecteur devra s’exprimer. Faisant appel, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, à tous les sens, ce livre est véritablement vivant. Alors ouvrez ses pages pour qu’il respire, faites-le parler à haute voix et surtout ne le laissez pas mourir. Car seule sa lecture peut le et vous maintenir en vie !

Rolross