Tags

Related Posts

Share This

« Ton ventre est l’océan » d’Anne Bihan

Écrire à l’entre

Publié aux Éditions Bruno Doucey, « Ton ventre est l’océan » d’Anne Bihan
est un recueil de poèmes liant deux horizons. Deux mondes éloignés et proches, deux océans reliés par les flux poétiques qui traversent l’auteure depuis toujours. Entre-deux mers…

La couverture unie et sobre est déjà une étendue d’eaux turquoise, sereine, à peine ridée. L’élément aquatique est une constante dans l’œuvre poétique (et théâtrale) d’Anne Bihan et l’on peut dire que, depuis toujours, elle a baigné dedans. Pour elle, native de Bretagne, l’océan a toujours été présent, immuable, un second liquide amniotique, immense, en mouvements permanents pour l’emporter vers d’autres rivages. Sa masse même, « insondable » à ses dires, le rend mystérieux. Par ses flux incessants, l’océan est également un lien précieux entre les hommes. C’est sûrement pourquoi Anne Bihan est littéralement traversée par le sentiment océanique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si sa propre maison d’éditions, fondée il y a quelques années, porte ce fameux nom de « Traversées ».
Du mot océan à celui d’océanienne, il n’y avait que vingt mille kilomètres que l’auteure a franchi pour se trouver un second chez soi. Et la voilà, dès le premier abordage en terre kanak, agréablement tiraillée entre ces deux pôles, chers à son cœur/pirogue qui balance de l’un à l’autre. C’est cet entre-deux que son écriture s’évertue à traduire depuis maintenant plus de vingt ans, date de son arrivée ici.

Îlots sur la page blanche

Le recueil comporte trois parties « Amer », allant de la Bretagne à la Calédonie pour finir en un triptyque épuré. De courts poèmes tels des îlots sur la page blanche, quelques mots/rochers s’en détachent, s’en échappent, essentiels. En alternance, de brefs paragraphes en prose, induits par la même écume de mots, se superposent comme des vagues renouvelées ressassant les souvenirs, les paroles du père, les lignes baptême teintées des couleurs du ciel, sonorisées par les cris d’oiseaux de mer et salées par les embruns. Deux variations qui se reflètent, se répondent et se complètent. Les hirondelles de son enfance se retrouvent à sillonner les bâtiments abandonnés de la « colline aux oiseaux » et la mer grouillante de vie, ici comme ailleurs, met des civelles dans son ventre de gamine repue, recréant l’océan. La nature qu’on ne commande pas incite aux voyages, le vent pousse les nuages, dirigeables à suivre, pointillés entre la mer et la montagne. En Nouvelle-Calédonie, ciel, mer, montagne se cognent ensemble dans un microcosme naturel et foisonnant. En arrivant aux antipodes, elle découvre l’épreuve du feu pour ressentir de violentes odeurs, des formes telluriques nouvelles sous un soleil différent, des femmes et des hommes aux gestes mesurés, des chemins de « traverse » pour les accompagner et… plus longtemps, si affinités culturelles. Un recueil comme celui-ci ne se résume pas, c’est un tout, un flux d’impressions dans lequel le lecteur doit s’immerger plusieurs fois pour trouver le rythme des mots, la houle des phrases, le ressac des résonances.
Voici, cependant, quelques lignes pêchées pour définir sa place, pour approcher ses courants… alternatifs : « …Océanie océanienne, femme entre à jamais, ta mer n’est pas la fin des terres jamais la fin, femme entre à jamais, à cloche-pied sur la crête des dunes et des vagues, entre la mer et le sable, femme entre à jamais ». Par ses images, ce recueil vous donnera des yeux encore plus gros que le ventre océanique de l’écrivain.

Rolross