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« Pue Tiu – Au cœur de la parole », recueil de poèmes et poésies kanak de Luc Enoka Camoui et Georges Waixen Wayewol.

Deux hommes de paroles

Les éditions de la Province Nord ont récemment publié « Pue Tiu – Au cœur de la parole », recueil de poèmes et poésies kanak de Luc Enoka Camoui et Georges Waixen Wayewol. Ces deux acteurs de la vie « poli-éthique » kanak fonctionnent en binôme amical et leurs écrits unissent la souveraineté de leur peuple et l’ouverture vers les autres. Écrits essentiels.

Dans la préface, Hamid Mokaddem rappelle la « permanence orale des civilisations kanak » où « la poésie, forme culturelle classique, existait bien avant l’écriture ». Comme la danse et le chant – formes très proches – la poésie est un art de vivre, un rapport à l’être. Comme dans la danse où le mouvement rejoint l’esprit, la parole du poète reste fidèle à l’esprit des ancêtres, aux racines et survit aux situations les plus violentes ayant pu les affecter. Le préfacier n’hésite pas à préciser que, pour Luc Enoka Camoui et Georges Waixen Wayewol, la poésie, « c’est affirmer la véritable souveraineté »… Parcourant une décennie de textes, le recueil, avec une majorité de poèmes de Luc Enoka Camoui, se divise en quatre parties : Textes liminaires, Mémoire, Identité, Moments – Instants – Intimes. Ce qui est intéressant dans cette écriture non pas à quatre mains, mais « côte à côte » (Est et Loyauté ?), ce sont les textes pour croiser les regards dans lesquels Georges complète, amplifie ou répond à Luc et vice-versa. S’il fallait résumer en deux vers leur démarche, nous citerions Georges Waixen Wayewol dans Quête de soi : « Dans notre case à nous (…), il y a toujours le vieux sage pour donner la dernière parole ».

Titres évocateurs
Sans pouvoir être exhaustif, nous relèverons quelques textes emblématiques, donnant le ton de l’ouvrage. Dans cette volonté « d’essentialité », les deux hommes veulent « acter les mots » afin qu’ils ne demeurent pas vains. Textes et vers politiques, sans langue de bois, titres évocateurs – Engagement, Scrutin local fatidique, Kanaky mon pays, Destin commun – vont droit au but pour dénoncer les multinationales rapaces, la religion/corset, la mondialisation pernicieuse ou l’incompréhension de la différence : « Car d’aucun, ni peuple, ni nation n’a l’excuse, ni la justification de l’asservissement et de l’aliénation d’autrui, d’autres peuple, d’autres nations ». Sur un air de Kaneka, la passation du « précieux passé » par le vieil « homme de la tribu » à qui l’on dit : « Inculque-moi, initie-moi, mais ne t’en va pas sans m’avoir serré la main, dirige-moi mais ne meurs pas sans m’avoir livré tes secrets ». Sans l’indispensable transmission, « l’étranger devient le maître des lieux et le maître des lieux devient l’étranger ». Ici, loin des effets de style, la poésie dénonce et c’est ce qui fait la force de ce recueil submergé par « l’avalanche » des mots. Après ces constatations historiques sans amertume, les deux vieux sages se tournent vers les années à venir décisives. Ils veulent respirer avec tous « l’air de l’océan », ce parfum d’Océanie, et marcher sur cette « Terre-Racine ». Si elles ne deviennent pas paroles d’Evangile, ces lettres de Luc (et de Georges) aux Calédoniens n’en sont pas moins importantes pour le pays en construction. « Ainsi… Soit-il »

Rolross