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« La chasse » de Claudine Jacques

L’école Claudine

Après « Le cri de l’acacia », la maison d’éditions tahitienne Au vent des îles publie un deuxième recueil de nouvelles, intitulé « La chasse ». L’ouvrage regroupe dix-huit textes, issus de quatre anciens recueils publiés localement par l’auteure. Florilège…

Depuis quelques mois, l’actualité de Claudine Jacques est décidément débordante avec la revue littéraire calédonienne « Episodes », la parution de son roman policier « Nouméa mangrove » (très apprécié dans ces colonnes) et, maintenant, ce choix éclectique de ses meilleures nouvelles. L’éditeur tahitien a eu la bonne idée de ce florilège afin que des textes introuvables pour cause d’épuisement aient un nouvel écrin et une nouvelle diffusion. Une possibilité de relire ou de découvrir des lignes écrites pour certaines il y a quinze ans. Signalons que l’éditeur « Au vent des îles » s’apprête dans un avenir proche à rééditer trois romans de Claudine Jacques : « Les cœurs barbelés » coup d’essai et de maître, « L’homme lézard », très abouti et « Nouméa mangrove », le tout dernier qui a été une des bonnes surprises du dernier Salon International du Livre Océanien à Poindimié. Dans le présent recueil, toutes ces nouvelles dessinent un portrait en profondeur de la Nouvelle-Calédonie et spécialement de la brousse et de ses valeurs que l’écrivain affectionne particulièrement. Claudine Jacques a vraiment une œuvre et est le chef de file d’une école d’écriture calédonienne.

Enracinement
Lors d’une chasse initiatrice et buissonnière, un adolescent découvre sa sensibilité dans un monde rural et viril. Dans ce même monde, l’opiniâtreté et l’entêtement peuvent s’adoucir au contact d’une « autre » part féminine. On peut bâtir des châteaux en Espagne sur la montagne tonnerre (Tiébaghi) et redescendre sur la terre du présent. L’enracinement, au propre comme au figuré, n’est pas sans danger. Le conflit mère/fille, doublé d’une rivalité amoureuse, débouche sur une renaissance porteuse d’espoir. Cependant, ne pas tomber dans les filets d’un futur tueur en série s’avère difficile. Cerné par l’élément aquatique, un jeune mystique incompris subit une métamorphose kafkaïenne. De même après veuvages, deux vieilles « sœurs/cières » voyagent enfin en toute liberté. La vieillesse empoisonne la vie rurale et tourne au drame passionnel. Un mensonge de petite fille révèle une filiation secrète et une autre filiation renaît malgré le fléau de la lèpre. Mais on peut aussi partir en beauté dans la lumière d’une fin de vie esseulée. Si grâce à la coutume, la mort ne prend pas les âmes, la prison sexuelle sans fin et le mal-être aboutissent à des meurtres rituels, alors que maladresse et incommunicabilité conduisent au suicide. Dans toutes ces tranches de vie, l’auteure brosse des ambiances où la précision des décors le dispute à la description des couleurs et des senteurs de la terre. Les corps charnels sont révélateurs de caractères âpres, de gestes séculaires, d’amours dévastateurs et de racines profondes. Bien évidemment, les personnages de femmes fortes abondent, tous âges confondus. Cultivant l’art de la chute, le mystère perce le quotidien jusqu’à devenir explosif. Au final, des nouvelles noires comme le diamant que le temps n’altère pas.

Rolross