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« Enfance meurtrie », autobiographie de Endrix Elie Pidjo

Aux gnons du père

Les éditions Persée viennent de publier « Enfance meurtrie », autobiographie de Endrix Elie Pidjo. A travers ses souvenirs d’enfance maltraitée, l’auteur exalte surtout l’amitié rédemptrice. Cependant, l’amateurisme de ces écrits dessert la sincérité du témoignage. Déception…

Les maisons d’éditions à compte d’auteurs fleurissent en Métropole et attirent un grand nombre de passionnés de l’écrit, leur permettant pour une somme modique la réalisation d’un rêve et d’un objet/livre, très tentante. La médaille a évidemment son revers car le travail d’éditeur est absent et une belle couverture, ainsi qu’une maquette et une typographie soignées ne pallieront jamais la faiblesse d’un texte. Peu ou pas de relecture professionnelle aboutissent à une foule de coquilles, d’approximations syntaxiques, à un défaut de construction et à une enfilade de clichés. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de l’auteur dont la sincérité n’est pas à mettre en doute, mais la soumission d’un texte à des proches ou des amis débouche rarement sur un travail critique capable de corrections pour accoucher d’un texte fort. C’est d’autant plus dommage que Endrix Elie Pidjo est un des premiers hommes Kanak à s’exprimer sur un sujet plutôt tabou, l’enfance maltraitée. Les femmes océaniennes le font depuis quelques années, Déwé Gorodé et « L’épave » pour ne citer qu’elle. Mais, avec cette œuvre, la dame de la littérature kanak a produit un écrit majeur que l’on ne peut taxer d’amateurisme (que l’on prise son livre ou pas).

Confusion
On comprend bien la démarche d’Endrix Pidjo qui, en mettant sur papier son mal-être, fait œuvre d’exorcisme. Il fallait que ça sorte et la couverture le montrant dans l’huis d’une porte entrouverte résume bien la situation. Là où le bât blesse, c’est que le sujet, l’enfance meurtrie du titre, est très peu traitée. Ce fameux géniteur alcoolique et violent envers l’auteur est peu présent, on l’oublierait presque au bout de quelques pages. En effet, l’auteur parle plus des personnes ayant facilité sa renaissance et les moments heureux foisonnent tout au long du livre. De plus, le livre se présente comme une version orale qui aurait été retranscrite de manière brute, après enregistrement. C’est un torrent passionnel de réflexions, de paroles se déversant avec urgence. Cela est compréhensible car c’est manifestement la traduction d’une libération, d’un trop-plein à évacuer. Hélas, en ne bénéficiant pas d’un vrai travail d’écriture, tout se bouscule, les faits, les dates, les digressions et cela crée une confusion extrême pour le lecteur, même patient. Le père devient un bourreau suite au départ de la mère, battue elle aussi. Dans les lignes qui suivent, la fratrie est avec la mère et le père est toujours présent ; on passe de treize à douze, puis à quatorze ans pour Endrix dans la même courte page, voire le même paragraphe. Ici, le protagoniste principal tire la faim, ne fête pas Noël faute de moyens et un peu plus loin, ce sont des agapes conviviales avec cadeaux. Un défaut de construction assurément. On n’évite pas non plus les anecdotes maladroites sans réel motif pour faire avancer le propos, les poncifs et clichés, les naïvetés, les longueurs, les dialogues plats malgré l’envie de sonner juste avec quelques mots triviaux. Quel dommage pour cet affamé à la recherche d’un amour paternel inconnu car même le message d’amour et d’amitié, finalement le vrai thème du récit, s’en trouve écorné. Restent un désir de communiquer tout à fait louable, une galerie touchante de photographies des « proches » à la main (sur le cœur) tendue et, au final, une confession à coup sûr bénéfique pour son auteur. Les lecteurs restent, quant à eux, sur leur faim…

Rolross