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« En courant vers le Minotaure » de Pascal Gonthier

Dédale dur

Avec « En courant vers le Minotaure » édité chez Publibook, Pascal Gonthier signe son retour en Nouvelle-Calédonie avec brio après un faux départ breton. On le suit sans problème dans ce labyrinthe noir avec des Parques/maîtres du destin, son regard plus que désabusé sur la nature humaine nous happant du début à la fin. Sans issue…

Alors que Firmin Mussard tarde trop, à notre goût impatient, pour trousser un nouveau polar dont il a le secret et après lecture du « polarnésien » mou du genou de Patrice Guirao (critiqué récemment dans nos colonnes), quel régal de mettre sur le haut de la pile de sa table de nuit le dernier opus de Pascal Gonthier. Un coup à fermer les paupières très tard car, une fois plongé dans son dédale de papier, il est dur de retrouver les chemins du sommeil. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, il a déjà commis cinq romans sombres dont l’excellent « Une obscure attente » où il déclinait une intrigue glauque sur deux époques. Heureux furent les lecteurs des Nouvelles Calédoniennes qui ont pu lire cette pépite en feuilleton dans leurs pages. Un temps, hélas révolu, où les médias s’intéressaient encore un peu à l’écrit. Ici dans sa dernière publication, il met en abîme son personnage d’auteur à cheval sur deux lieux : la Calédonie qu’il a fuie un temps et la Bretagne où il s’est réfugié. En effet, ce dernier pense avoir échappé, avec sa famille, à un massacre, une autre famille ayant payé à leur place. On avait entendu parler du cri qui tue aborigène et voici l’écrit qui tue.

La bête dévoreuse de vies
Son alter ego sur papier a cruellement déblatéré sur les habitants de la région de Koniobo (un vrai faux village) et, apparemment, cela méritait réparation. Entre écriture et écrit tue, il y a un R de différence et un air de ressemblance… qui pourrait bien rejouer la même tragédie à vingt mille kilomètres d’intervalle. Avec ce personnage atrabilaire, velléitaire et misanthrope, ne se sentant bien nulle part, Gonthier pratique l’autodérision et, sûrement aussi, garde à son endroit une certaine lucidité. Personne n’est épargné, tous les protagonistes du roman sont décortiqués par la plume qui gratte leur part obscure jusqu’à l’os. Et de futurs os, il y en aura car le Minotaure (une Psyché killer) a besoin de nombreuses victimes. Tout le monde va vers lui, toutes les impasses du labyrinthe mènent à lui, l’entonnoir étriqué de toute existence aboutit à la bête dévoreuse de vies. On sait qu’en sortant du labyrinthe par les airs, on se brûle les ailes et que les Thésée n’existent plus de nos jours ce qui n’est pas une raison pour perdre le fil d’une intrigue à la fois tordue et limpide. Ce roman, habilement construit, alterne sept personnages ayant pris différentes entrées du dédale. Les chapitres sont courts, l’auteur va à l’essentiel, la noirceur aligne des formules jouissives. Doté d’un style incisif et dévastateur, Pascal Gonthier ne voit que le négatif des gens, la médiocrité ambiante, le côté merdique (le futur lecteur comprendra) et le ver qui gangrène le fruit le plus parfait. On ne fait pas l’amour, on baise triste, on fornique mécanique et l’on s’enfile pour oublier la grande faucheuse Les sentimentaux seront déçus, c’est un roman à « l’eau de rosse » qu’on adore au sein de la rédaction. Que les susceptibles de tout poil rangent leurs colts ! Par pitié, ne tirez pas sur le nihiliste ! Dans son livre de recettes, ce dealer de lignes a sûrement encore une collection de cocktails vitriolés à nous concocter.

Rolross

Juin 2010