Edoardo Sanguineti, « Novissimum Testamentum » Août18

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Edoardo Sanguineti, « Novissimum Testamentum »

[…]
je laisse, à qui reste, des aurores boréales,
et rois des souris, et femmelette barbues ;
je laisse les chevaux de Phrysie et de Troie,
la Juve, les virus, l’Otan, les virgules :
et je laisse aussi loteries et auberges,
rébus, rosaires, ouvre-boîtes et boîtes,
disques d’Ellington, films avec la Vlady,
diminutifs, tanches, vendredis :

après moi, viendront les nouveaux Adams,
avec des ichtyosaures, et minotaures, et laures,
et avec des minoëns, des martiens, et jésuites :
et de nouvelles expositions universelles,
joutes mondiales, guerres nucléaires,
et empire d’Occident, et mahométans :
après moi, le déluge, et les balles,
et les familles, les chaussures, les toupies :

notre monde est un grand magasin,
et pour en faire ici le catalogue complet,
et raisonnée, et illustré, et mis à jour,
avec tous les prix, en gros ou au détail,
une heure est courte, et une vie très courte :
et maintenant que je donne un coup de pied à tout,
même les dromadaires je ne veux les sponsoriser,
ni les bois tendres, les roues, les rotules :

moi, jour après jour, pendant un demi-siècle,
errant, à pas tardifs, dans tous les sens,
j’ai fait le tour de tous les rayons :
pendant les années fastes j’ai vécu de soldes :
ce que j’ai eu, j’y ai eu droit au rabais,
une autre remise on ne me l’a pas admise :
ici, si se flaire à peine une juste affaire,
de toutes parts : on ferme, c’est un calvaire :

et vous, si vous y regardez, vous y voyez :
celle qui pousse vers l’issue, c’est la vie :
rigide beaucoup est l’horaire de fermeture,
et mon temps, pour moi, ce temps est périmé :
qui a donné a donné, mais qui a reçu a reçu
et mon temps, pour moi, ce temps est perdu :
et seul, et les mains vides, et lentement
je m’en vais, désormais, puisque m’attend mon néant :
[…]

Edoardo Sanguineti, « Novissimum Testamentum », traduit de l’italien par Jean Portante,