Juin27

Tags

Related Posts

Share This

Variations sur les mots de la francophonie : texte de Fabienne DESEEZ

« Dis-moi 10 mots » 2022

 

Le Paradis évanoui.

 

Je retrouvai, ce petit microcosme tellement décalé du reste du monde : l’île du Paradis,  à la fois si près et si loin du tintamarre infernal de la ville.  Cette parenthèse de deux années époustouflantes  que j’avais vécues là-bas,  demeurait gravée  au plus profond de mon cœur.

Sur la plage déserte, je scrutai l’horizon ainsi que j’avais coutume de le faire.

J’observai machinalement, le bleu du ciel se mélangeant  avec celui du lagon et qui s’éclaircissait au fur à mesure que le niveau de l’eau se rapprochait du sable. Le ciel, la mer,  et moi sur le siège le plus confortable qui fût, enrobés de cocotiers. Je me persuadai de l’immuabilité du bonheur dans ce cadre idyllique qui me transportait dans le film de ma vie. J’allais retrouver tous ceux que j’y avais croisés et que j’avais, pour nombre d’entre eux,  appris à aimer.

 

J’entends le bruit d’un moteur. C’est Jade !  Elle vient me chercher dans son pick-up rutilant dont le rouge se marie si bien avec le paysage verdoyant de mon jardin. Elle s’arrête juste devant ma porte et me lance un sourire communicatif qui lui va si bien. Les petites frimousses de ses trois enfants débordent de la vitre.

En route pour une nouvelle journée dans notre collège en forme d’étoile !

 

Au détour d’un chemin bordé d’herbes hautes, François et sa ravissante Michèle, avancent d’un même pas, unis par une pensée commune, loin des regards malveillants. Je les salue, mais n’ose m’attarder de peur de leur voler leur intimité si précieuse. Une autre fois, je les retrouve. François est assis à l’ombre d’un flamboyant, vêtu d’un jeans, d’une chemise blanche ouverte au col et ses éternelles santiags alors qu’il fait une chaleur suffocante. Il est absorbé  par la lecture d’un vieux  livre pendant que Michèle, dans sa robe de coton bleue, sébaudit à travers une danse qu’elle improvise pour l’homme qu’elle aime. Va-t-il sortir de sa lecture et la rejoindre ? Je pense que oui. Mais je ne regarde pas la suite et m’éloigne. Ils ne sauront jamais que je les ai vus, et moi, je m’en veux presque d’avoir été curieuse.

 

C’est vendredi soir, la semaine est terminée. Sur le deck, Donie  me tend  un verre de « One-sina », notre cocktail favori. Nous nous asseyons sur un transat et ensemble, nous suivons du regard les mouvements du soleil au milieu du ciel assombri. Délicatement, celui-ci déroule autour de lui des bandelettes rouges et  rosées mal découpées. Puis, progressivement, il s’enfonce dans la mer laissant derrière lui un ciel rougeoyant.  Je demande à Donie : « Pince-moi ! ».  Et, comme mon amie aime beaucoup farcer,  elle y met toute son énergie ; ce qui me coûtera un magnifique bleu sur le bras.

Soudain, un hurlement de chien me sort de ma rêverie. Kaï ! Kaï ! fait ce grand animal blanc aux côtes apparentes. Je le regarde, médusée, se débattre pour tenter de se défaire de l’étreinte d’un crabe qui a refermé sa pince sur  sa patte ensanglantée et ne veut plus la lâcher.

J’entends une voix derrière moi. « Saperlipopette ! Mais c’est Madame  Diérez ! ». Je reconnais Félix, mon élève que j’ai suivi pendant toutes ses années de collège. Il a gardé ses locks, son tee-shirt Kanaky, son look Bob Marley.  Il ne veut pas divulgacher les nouvelles des uns et des autres car il préfère que je les découvre par moi-même, mais devant mon insistance, il finit par céder.

Jade est partie en métropole pour suivre la scolarité de ses enfants qui ont bien  grandi.  Donie qui a brillamment réussi un concours, a dû partir vivre à Nouméa.

Et j’apprends médusée  le décès brutal de Michèle, renversée par un chauffard alcoolisé, un matin, alors qu’elle se rendait à l’école à vélo. Personne n’a rien compris, et François a quitté le territoire emportant avec lui le cercueil de sa bien-aimée.

 

Non, l’île du Paradis n’avait pas changé, mais je ne la regardais plus comme avant. Depuis, j’y retourne souvent, dans mon cœur, et je les retrouve tous,  intac-s. Ils ne me quittent pas.

 

 

 

Je dédie ce texte

à Monsieur MOSCHETTO, mon professeur et inspecteur de Lettres

et à Michaella, sa compagne.