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Une mésaventure.

Une mésaventure, par André MARTIN

Très jeune, vers cinq ans, tous les jours j’aidais mes parents à faire descendre le café trempé et rincé dans la bouche béante du « dépulpeur ».  Cette machine enlevait la peau et la pulpe du grain. L’engrenage était entraîné par une large courroie qui mesurait plus de dix mètres de longueur. Cette bande était entraînée par un petit moteur qui faisait tourner une roue assez imposante. A son tour, elle actionnait trois ou quatre engrenages de plus en plus petits. Cela permettait à la machine de tourner avec une force décuplée.

J’étais à mon poste avec un bâton, debout sur une caisse pour arriver à la hauteur. Je faisais descendre les grains de café dans le « dépulpeur ».  Celui-ci servait à écraser le grain et séparer les deux cotylédons pour chasser la peau et la pulpe.  J’étais habillé d’un petit débardeur (appelé chez nous « tricot de corps ») et d’une culotte bouffante cousue par maman, tenue par des élastiques au ventre et aux cuisses.

Le moteur Bernard propulsait la courroie avec sa poulie et faisait un bruit  permanent de même intensité.

Chacun avait sa tâche et s’en tenait à celle-ci. Maman triait les grains de café dans de grandes barriques. Le mauvais grain flottait dans le contenant rempli d’eau et était mis de côté.

Joseph, l’homme de main et de confiance, rinçait à grande eau les bons grains multicolores et les déposait dans une grande cruche.

Papa,  adroitement, l’attrapait et la soulevait à bout de bras pour déverser le contenu   dans la gueule de l’engin… Avec mon bâton, je pressais la masse de café, qui tombait, pour faire descendre les grains dans la gueule béante de l’engin.

A l’arrière du « dépulpeur », un amas de peaux colorées s’amoncelait dans la pente du terrain et glissait inexorablement dans le fond de la vallée.

Soudain, Papa hurla. Il lâcha la cruche de grains à terre et se précipita avec tout son corps, dans la courroie, qui tournait inexorablement. Le mécanisme, n’étant plus entraîné par la courroie, s’arrêta net et le moteur s’emballa. Ma culotte bouffante s’était engagée dans l’engrenage à la même hauteur, risquait de me happer dans la crémone et aurait pu me blesser dangereusement.

Maman et Papa vinrent me détacher des systèmes qui s’étaient bloqués faute de pression.

Quelle frayeur, lorsque j’eus compris ce qui aurait pu se passer !

Les cris de mes parents et de Joseph avaient alerté les cueilleurs, qui arrivaient en courant des « caféeries ». On me mit la tête sous le robinet de   l’énorme citerne métallique qui récupérait l’eau de pluie du toit grâce aux gouttières.

Le moteur s’était emballé faute de pression, car il roulait dans le vide. Papa l’arrêta.  Maman me nettoya et vit quelques griffures, dues aux élastiques. Une fois changé, j’eus droit aux applaudissements des cueilleurs. Je bénéficiai d’un bol de lait chaud, alors que tous les adultes eurent droit soit à une rasade de vin ou à  un bol de café bien chaud.

Le travail reprit un peu plus tard, et mon père avait changé ma caisse en évitant que je fusse placé face aux engrenages.

Souvent, je revois cette scène qui fait partie de mes souvenirs d’enfance et j’en rêve assez souvent.