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Pirouette, arabesque, une nouvelle de Joël Paul

Pirouette, arabesque

Cloé se réveilla en gémissant et en toussotant. Elle remua un peu ses jambes qui enserraient un ours en peluche accoutré d’un chiffon mal ajusté sur le museau. Un de ses yeux de verre était masqué, il avait l’air d’un pirate. La petite fille, couchée en chien de fusil au milieu du lit en désordre, s’agita encore. Elle allongea ses jambes en expulsant l’ourson qui roula par terre. Réveillée, elle s’étira en appelant : « Maman ! ». Les yeux écarquillés de l’enfant, assise sur son lit, exprimaient sa peur. Cloé retrouva son visage poupin en recouvrant ses esprits. Elle se parla à elle-même à haute voix : « J’oubliais, tu ne parles plus, maman, depuis des jours, tu ne parles plus. Tu m’entends peut-être ? Tu m’entends?», ajouta la gamine en élevant le ton.

Un rai de lumière éclairait la chambre. Le soleil était levé depuis longtemps. Le faisceau, comme celui d’une lampe torche, dévoilait une constellation de poussières en suspension, invisibles en dehors de ce coup de pinceau du ciel, entré par l’ouverture des pans des rideaux mal fermés. Il annonçait le jour à une ribambelle de jouets épars dans la chambrette, des poupées plus ou moins démembrées, des peluches, et même des robots. Ils étaient tous affublés d’un masque de tissu. Le sol était jonché d’objets, de paquets de gâteaux vides, de bouteilles de soda jetées négligemment. La petite fille, haute comme trois pommes, se laissa glisser du matelas épais comme on descend d’un toboggan. Elle enfila ses chaussons en poils de peluche avec des oreilles de lapin. Elle empoigna sa poupée préférée, tombée du lit pendant son sommeil agité. Fiona était son indispensable compagne. Elle lui rajusta son masque, un petit bout de chiffon retenu par un élastique. « Il faut mettre un masque, il faut toujours mettre un masque, disait maman ». Elle parlait à sa poupée comme une maman miniature qui grondait sa fille.

Elle était bien seule dans cette grande maison. Aucun bruit n’indiquait la présence d’une autre personne dans la demeure ou dans la rue de cet étrange endroit, véritable décor de film d’horreur. Une grande maison et une fillette seule. Sauf que l’enfant ne jouait pas la comédie. Elle était victime d’un sort terrifiant, d’une malédiction, d’une incroyable situation, un cauchemar inexplicable. « Une vilaine sorcière avait endormi tout le monde », c’était probablement son interprétation de la situation. Elle ne savait pas ce que signifiait la mort. Un mort pour elle, c’était quelqu’un qui dormait. Elle était persuadée que les gens allaient se réveiller. « Viens Fiona, on va voir si maman est réveillée », dit-elle à la poupée.

Cloé, en suçant son pouce, cala sa poupée dans un coude et rajusta avec l’autre main sa culotte qui tombait. Elle était vêtue d’une petite robe à froufrous ultra-courte. Un justaucorps rose délavé, très sale, complétait le haut de sa tenue. Depuis combien de jours portait-elle ces mêmes vêtements ? Des semaines peut-être ! Ses joues, ses jambes, ses bras étaient recouverts de crasse, de chocolat séché ou de saleté, qui se confondaient avec les bleus qu’elle devait se faire en tombant mais qui pouvaient également être les marques d’un problème de santé. Des détritus jonchaient le parquet. Il y en avait partout, même dans le couloir qui menait à la chambre où sa mère « dormait ». Elle approcha de cette pièce en déclamant en boucle, sans savoir pourquoi, sa ritournelle. Deux mots, deux expressions qui sonnaient bien, qui lui rappelaient ses cours de danse quand papa était là. « Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque… ». La porte était grande ouverte ainsi que la fenêtre. L’enfant ne les fermait plus car maman ne criait plus. Elle pouvait partir sans les refermer. Maman ne disait rien.

Cloé pénétra dans la chambre à petits pas feutrés pour ne pas la réveiller et la mettre de mauvaise humeur. Pourtant, elle en rêvait. Elle rêvait de mettre sa maman en colère, de l’entendre crier, mais elle se doutait que, comme la veille, l’avant-veille et les autres jours, elle allait la trouver raide, verdâtre, momifiée, étendue sur son lit, son Smartphone à la main, muet comme elle. Bien qu’habituée à la voir ainsi, défigurée par la momification, dans une expression de douleur terrifiante, elle eut néanmoins un mouvement de recul à l’idée que la monstrueuse créature puisse se réveiller soudainement, en laissant peut-être échapper des vers de terre de sa bouche. Les premiers temps, l’odeur était insoutenable. Mais désormais, le corps avait terminé d’évacuer ses fluides vitaux absorbés par le matelas. La putréfaction était achevée et le cadavre de la mère avait commencé à se dessécher. Le phénomène était normal, même si la petite l’ignorait. En ouvrant les deux battants de la fenêtre, Cloé avait favorisé la circulation de l’air sec de l’été.

Elle se ressaisit. « Fiona, tu me déçois, n’aie pas peur ! Une maman, c’est gentil. » Ses pensées de petite fille immature étaient confuses. Elle était convaincue qu’elle devait lui rendre visite chaque jour. Elle espérait que les choses redeviendraient comme avant. Elle gardait l’espoir que sa maman refasse des crêpes, que papa la soulève encore et la lance en l’air pour la rattraper en riant. Il était parti avec l’ambulance comme de nombreux voisins. Elle osa faire un reproche à sa maman : « Pourquoi, tu ne veux plus parler, pourquoi tout le monde dort ? J’en ai marre, je ne vais plus venir te voir. » Sur ce, elle tourna les talons et descendit à la cuisine, où régnait un capharnaüm sans nom. Elle fouilla dans les placards juchée sur un tabouret pour pouvoir les atteindre. Elle dégota un paquet de biscottes entamé et un pot de confiture de fraises. Une pellicule de moisi recouvrait la surface mais au fond, la marmelade semblait intacte. Elle se désaltéra avec un peu d’eau. Un maigre filet coulait du robinet. Petit à petit tout s’arrêtait. Elle avait peur quand la nuit tombait, car la lumière ne fonctionnait plus. Elle avait essayé tous les interrupteurs. Dans la rue, c’était pareil, plus d’éclairage la nuit. Elle s’y était aventurée pour le vérifier. Elle vivait seule depuis des semaines, il n’y avait plus personne dans le quartier.

Aujourd’hui, elle sortirait du lotissement. Elle irait jusqu’au bout de la rue vers la route qui conduit à la campagne. Elle avait préparé dans sa tête son expédition depuis plusieurs jours. « Je vais aller me promener, je vais peut-être rencontrer quelqu’un. Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque », chantonna-t-elle pour se donner du courage.

Après son petit déjeuner de mendigote, elle ressassa ses préparatifs : « J’emmène Fiona, elle ne supporte pas d’être seule. Je mets mes baskets et je prends une bouteille d’eau comme pour l’école ». « Pirouette, arabesque », c’est en chantant qu’elle remonta dans sa chambre pour se préparer. Elle redescendit toujours en chantonnant, en s’aidant de la rampe d’escalier. Les marches étaient très hautes pour ses petites jambes. En ouvrant la porte d’entrée pour sortir, elle cria : « Au revoir, maman ! » Elle s’engagea dans l’allée bordée de parterres de fleurs en désordre. Le chant des oiseaux la rassura, tout le monde ne dormait pas, elle n’était pas complètement seule. Les chiens n’aboyaient plus, mais les oiseaux piaillaient joyeusement.

En temps normal, une petite fille dans la rue déserte aurait attiré l’attention, mais il n’y avait plus âme qui vive dans le quartier. Petite ballerine quittant la scène d’un ballet tragique, elle cheminait vers son destin. La dimension chorégraphique et poétique était évidente, car la petite avait la grâce et l’allure d’une danseuse. L’image était pathétique. Comparable à celle d’un cliché d’enfant qui s’éloigne d’un pâté de maisons rasé, encore fumant après un bombardement. Les maisons de son village étaient encore debout, mais un mystérieux fléau avait tué ses habitants. La mort, à la différence de l’argent, a une odeur, la même partout, quelle que soit la couleur et la race du cadavre.

« Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque… », elle marchait vite malgré ses courtes jambes. La petite danseuse s’éloignait du quartier pavillonnaire, persuadée qu’elle devait fuir ce lotissement maudit. Elle longea bientôt des champs d’herbes hautes, de la luzerne. L’air de la campagne lui faisait du bien. Un petit ruisseau lui chanta son clapotis. Il était caché par la végétation, mais sa voix indiquait sa présence. Elle imagina des poissons, jolis et mignons, qui faisaient des bulles comme sur ses livres de coloriage. Le ciel était bleu, le soleil ardent, mais déjà bas, elle n’avait aucune idée de l’heure. Ses joues, sous l’effet du soleil et de l’air vivifiant, devinrent rouges comme deux petites pommes. Elle respira en écartant ses bras, sans lâcher Fiona. Elle revoyait sa mère faire cela. Comme sa maman, elle dit : « Ça fait du bien. »

Elle s’éloignait de plus de plus de son village, poussée par une irrésistible envie d’avancer vers nulle part. Elle était grisée par son audace et conquise par la nature qui s’étalait autour d’elle. Le vol d’un papillon, le bourdonnement d’un insecte, la grâce d’une libellule, l’adresse d’un oiseau gobant une mouche à la sortie d’un piqué, avant de reprendre de l’altitude, la fascinaient. Elle ouvrait les yeux pour se repaître avec avidité de tout ce qui l’entourait. Sa randonnée tournait à l’émerveillement. La nature, pleine de vie, lui procurait un réel plaisir. Elle avait oublié ce qu’était le bonheur.

Un champ de maïs à perte de vue se profilait sur sa droite envahi par une nuée de corbeaux. Un champ de pommes de terre aux fanes jaunies, signe que les tubercules auraient dû être arrachés depuis longtemps, lui faisait face. Les croasseurs fouillaient le sol de la plantation abandonnée. La route de campagne, un long ruban en ligne droite, semblait avoir été posée pour couper le paysage d’un trait d’asphalte. Les maïs étaient hauts, plus grands que la petite fille. Ils se balançaient doucement sous le poids de gros épis chargés de grains jaunes, à l’étroit dans leur gaine de feuilles plus assez larges pour les envelopper. La récolte du maïs avait aussi été oubliée. Il allait pourrir sur pied faute d’agriculteurs. L’odeur de la terre et des senteurs des pommes de terre remontaient du sol pour s’offrir à l’odorat délicat de l’enfant et effacer l’insoutenable puanteur de la mort.

Elle ressentait la fatigue. Elle avait envie de dormir. Pour un peu, elle s’allongerait sur la route désertée de voitures. Elle devait trouver un endroit pour se reposer. Elle opta pour le champ de maïs, séparé de la route par un fossé, un obstacle de prime abord infranchissable, mais, à la lisière des maïs, un lapereau, qui se déplaçait par petits bonds en montrant son derrière surmonté de sa houppette, lui donna le courage de le franchir. Elle réussit à se hisser jusqu’au niveau de la première rangée des graminées. Le lapin semblait l’attendre. Il l’observait au rythme de son nez qui remuait de haut en bas lorsqu’il respirait. Elle se baissa pour tendre une main vers la touffe de poils. Elle aurait voulu le caresser, mais l’animal, quoique pas farouche, ne bronchait pas. « Viens, lapin, viens », lui dit-elle doucement. « On s’amuse un peu, tu veux, oui ou non ? Si je t’attrape, tu me laisses te caresser ».

« Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque… », la petite s’enfonça dans le champ de maïs en suivant son ami effrayé. Engloutie par le champ, elle allait se perdre, mais elle n’y pensa pas. Trop engagée, désorientée, elle ne se rendit compte qu’elle était égarée que lorsque le lapin, lassé du jeu, fila vers son terrier. La nuit tombait, et son instinct l’avait averti qu’il devait rejoindre son repaire. L’enfant, épuisée, s’assit, adossée contre un pied de maïs. Elle scruta le ciel qu’elle entrevoyait à travers le feuillage des plants, géants à ses yeux d’enfant. Le ciel s’assombrissait à grande vitesse. « N’aie pas peur Fiona, arrête de pleurer. Maman est là ». Elle releva son masque qu’elle portait autour du cou. Elle ouvrit grand ses prunelles pour discerner ce qu’elle ne voyait plus, cette belle nature enchanteresse. Dans l’obscurité, tout devenait différent, hostile. La nuit s’ouvrait sur un monde de prédateurs, rapaces ou rats des champs qu’elle entendait, sans les voir.

« Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque… », marmonnait-elle. Sa voix était étouffée par le masque, mais la mélodie la rassurait. Elle avait soif. Elle avait faim.

Elle sortit la bouteille d’eau de son petit sac de randonnée. Elle en but une gorgée en lorgnant un épi pas très haut au-dessus de sa tête. Après de gros efforts, elle réussit à l’arracher en tournicotant sa tige jusqu’à ce qu’elle cède. Elle le dépiauta et croqua dans les graines dures et compactes. Elle les mastiqua longuement une à une sans calmer sa faim. Néanmoins, petit à petit, cette mixture ingurgitée laborieusement soulagea ses maux d’estomac. Elle grelottait. Elle se mit en boule et creusa la terre meuble comme un petit chien. Les bruits cessèrent, sa peur s’envola avec le sommeil.

Quand le jour se leva, elle dormait toujours, groggy par le froid. Les sons diurnes de la campagne, le chant des oiseaux et le sifflement du vent qui s’engouffrait dans les rangées de maïs finirent par la sortir des bras de Morphée. Elle se réveilla comme elle le faisait chaque jour, en oubliant sa situation d’esseulée. Sa mère n’était pas là à son réveil. Elle réalisa qu’elle n’était plus dans la maison en ouvrant les yeux. Elle transféra sa peur et son angoisse sur Fiona son inséparable poupée. « Tu ne vas pas te mettre à pleurer, sois forte ! On est perdues dans cette forêt de maïs, mais on va trouver le moyen de sortir. Cloé est là, je vais te ramener à la maison ». Elle renfila son petit sac à dos. La bouteille d’eau était vide. Elle lécha des feuilles de maïs pour s’abreuver de gouttes de rosée.

Cloé s’apprêtait à se faufiler entre les pieds de maïs pour retrouver la route quand elle aperçut le lapereau de la veille. Le lapin lui redonna confiance. « Tu es là mon ami lapin, tu es venu me chercher. Tu vas me ramener sur la route, j’espère. Tu vois, Fiona, tu avais tort d’avoir peur ». Le lapin la regardait sans comprendre, mais ne semblait pas être effrayé par cet humain miniature. Il était disposé à la guider, interpréta l’enfant. Il s’éloigna par petits bonds. Elle suivit son cicérone. Mais après un bon moment à tourner en rond, elle perdit confiance en lui en découvrant à terre l’épi de maïs dévoré la veille. Elle s’assit en tailleur, découragée. « Je sais, ce que tu penses, nous sommes encore perdues », dit-elle à la poupée. « Eh bien oui, c’est vrai ! » Elle sanglota. « Pirouette, ara… » Elle n’eut pas la force de continuer, des larmes perlaient sur ses joues en creusant des sillons sur son visage sale, maculé de ce qui ressemblait à des escarbilles après sa nuit à même la terre du champ.

Soudain, un vrombissement bizarre l’interpella, un frelon géant ou un essaim d’abeilles semblait voler dans les parages. Elle se pinça la lèvre inférieure avec les dents. Elle se sentait en danger. Le bruit, fort désagréable, se rapprocha. Elle était tétanisée. Elle poussa un petit cri en découvrant un engin spatial en vol stationnaire au-dessus d’elle. Une sorte d’hélicoptère à quatre hélices avec de multiples capteurs sur chaque côté. Une caméra, un gros œil, scrutait le sol, puis une voix sortit d’un haut-parleur. « N’aie pas peur, petite fille, je ne veux pas te faire de mal. Je m’appelle Kévin, je suis le pilote de ce drôle d’engin ». Elle eut moins peur. La voix était douce et avenante, une voix de jeune homme rassurante.

— Je n’ai jamais entendu un « coptère » parler, dit-elle en fronçant les sourcils.

— Tu parles de mon drone, c’est un drone. Ce n’est pas lui qui parle, c’est moi Kévin. Je suis dans une camionnette à quelques kilomètres sur la route. Je te parle comme dans un téléphone, je peux te voir aussi. Tu comprends ?

— Oui, comme le téléphone à maman. Avant, je parlais à papy et mamy et aussi à papa, à l’hôpital. Avant que maman ne se réveille plus. Tu connais ma maman ?

— Non, je ne la connais pas, mais je sais qu’elle t’aimait beaucoup. Comment tu t’appelles, petite demoiselle ?

— Cloé. Elle, c’est Fiona, on est perdues !

— Plus maintenant, Cloé, je vais t’aider.

La voix semblait exciter, pleine d’enthousiasme. « Laisse-moi une minute. Je m’éloigne un peu pour faire moins de bruit ».

La petite fille, rassurée, regarda le drone légèrement à l’écart, facilement stabilisé par Kévin, un as du pilotage. Kévin, haut-parleur du drone coupé, partagea sa joie avec ses camarades, le chauffeur et les deux jeunes femmes assises à l’arrière du véhicule de la sécurité civile. « J’ai trouvé une survivante, une survivante ! Une petite fille adorable perdue au milieu d’un champ de maïs ! Nous allons la récupérer. Ma caméra thermique m’a permis de la localiser, je le savais ! Je savais que l’on finirait bien par trouver quelqu’un. Je vais la guider avec mon drone pour sortir du champ. Elle semble en relative bonne santé. Repère-toi avec la géolocalisation. Mets le cap sur mon drone », dit-il à l’adresse du chauffeur. Le tableau de bord de la camionnette était bardé d’écrans de contrôle et de commandes sophistiquées comme un véhicule de météorologiste chasseur de tornades. « Je dois continuer de converser avec la petite. Il faut la rassurer ». Ses compagnons, calfeutrés leurs combinaisons blanches étanches étaient, comme lui, fébriles par la trouvaille. Ils étaient masqués avec de grosses lunettes sur les yeux, équipés comme les techniciens pour circuler dans une zone radioactive. Des micros, intégrés dans leur capuche, leur permettaient de parler entre eux.

« Cloé, c’est Kévin ». Le drone s’était rapproché. La petite fille invisible entre deux rangées de maïs retira son pouce de sa bouche et répondit : « Je sais que tu es Kévin. Tu vas me montrer le chemin ? »

— Oui, mon « coptère » va voler en direction de la route, tu vas le suivre. Tu veux bien ?

— Je veux bien, mais doucement, Fiona est fatiguée, je dois la porter.

— Je vais t’attendre, regarde quand je fais comme ça, ça veut dire par là.

Kevin, par un mouvement de balancier de son drone, indiquait la direction à prendre.

— Tu as compris, Cloé ?

— Oui, mais ne fais pas comme le lapin, il m’a fait tourner en rond.

— Le lapin ?

— Tu ne connais pas le lapin des maïs ?

— Non, répondit Kévin.

— C’est un lapin mignon. C’est lui qui m’a conduit là. Je peux te chanter ma chanson en marchant ? Fiona aura moins peur.

— Tu peux, j’adore les chansons.

« Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque, pirouette, arabesque… » La petite chantait très fort pour que Kévin entende. Elle suivait comme elle pouvait le drone en avançant avec difficulté. Le drone effectuait parfois un demi-tour. Kévin le faisait osciller au rythme de la chansonnette. Cela faisait rire Cloé.

Quand elle arriva au bord du champ, Kevin et ses compagnons étaient là devant elle. Ils s’empressèrent de la porter dans la voiture en la cajolant et en lui proposant des friandises. Cloé se laissa faire. Elle était épuisée. Ils prirent la direction du centre de secours. Aussitôt en route, la petite s’endormit, la tête posée sur la cuisse d’une des jeunes femmes. Les jeunes secouristes étaient silencieux après ce sauvetage d’une rescapée de l’hécatombe. L’humanité allait survivre et surmonter la grande épidémie, devaient-ils penser.

Kévin rompit le silence en entonnant doucement dans son micro : « Pirouette, arabesque, pirouette, arabesque… ». Ils fondirent en larmes sans chercher à se cacher. Kévin ordonna au chauffeur d’accélérer, la mission était terminée.

« On rentre à la base, la petite a besoin de soin ».