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Nature et Violences climatiques en Océanie, chronique de Dominique MARINET-CARRIER

Nature et Violences climatiques en Océanie, chronique de Dominique MARINET-CARRIER

 Le Cyclone NIRAN, cyclone de catégorie 5 annoncée s’abat sur Nouméa ce Samedi 7 Mars .

 

Jusqu’à11H 30 pas de pluie ni de vent.  11H30  Le vent arrive.

 Premières rafales à 15 H 30. Bizarre : dans un bruit de train qui roulerait vers nous alternent souffles et presque silences. Niran en monstre annoncé inspire et expire comme un saltimbanque hors norme et le plus puissant cracheur de vent de ces dernières dizaines d’années. Le jardin sursaute. Les tourterelles sont affolées.C’est la débandades chez tous les oiseaux du jardin. Ils crient, déversant dans les aigus leur peur.

 15 H45  Plus d’électricité. Nous montons aussitôt à l’étage qui reçoit encore la lumière déjà plombée du jour. Par les vasistas nous assistons à un spectacle de démolition. Des branches de l’araucaria sont brutalement arrachées et atterrissent sur le toit. Une longue séance d’épilation systématique commence pour lui.  15H50 : Une forte pluie arrive,tambourinant sur les tôles. Pourvu que la parabole tienne face à la pression de Niran qui s’ accentue et ne fait pas de détails dans sa démonstration de pouvoir !

 16 H  Perfidement de l’air rugit dans la mezzanine derrière les valises. Des tôles du toit craquent. Je me rassure avec ma confiance en sa solidité, malgré les gémissement qui s’en échappent. Niran se renforce encore. De la fenêtre de toit qui donne sur le quartier nous pouvons voir, Mic et moi, les palmiers et les cocotiers qui se couchent. Leurs plumes d’autruches géantes, plaquées à l’horizontale sous chaque attaque du rugissement, s’agitent comme pour une exceptionnelle revue tropicale des Folies Bergères locales. A l’oreille nous tentons de deviner ce que nous ne pouvons voir. La casse dans le jardin s’accélère. De toute évidence même de très grosses branches tombent sur les toitures de la dépendance, sinistrement. J’en suis sûre, d’instinct, l’arbre jaune vient de « morfler » !

Dans la mezzanine Mic reste imperturbable sur son sudoku. Ne rien voir, ne rien entendre, rien, attendre que le temps passe est sa philosophie du moment. Cyclone de niveau 5 contre Sudoku de niveau 7.  Avec des oreilles maintenant paresseuses il n’entend que la moitié des coups qui pleuvent sur la toiture. Cela l’aide bien à la concentration alors que mon ouïe fine, perturbée par la tension à l’extérieur, m’enlève toute disposition éventuelle d’imiter sa placidité.

16 h 15  Dans la mezzanine Niran  réussit à faire pivoter par une petite fente le système de fermeture de l’une des fenêtres. Elle s’ouvre subitement. Dans un claquement je la happe au vol, empoignant sa poignée, juste avant de laisser Niran l’arracher. Sacrée peur rétrospective! Avec une  bande dessinée des Schtroumpfs à portée de main j’en bloque aussitôt verticalement le système d’ouverture pendant que mes jambes en flageolent d’émotion.Comme quoi , nouveau dicton à intégrer  en situation cyclonique violente, « bleue de rafales » : On a toujours besoin de petits Schtroumpfs chez soi.

Niran continue sa furie et je crains la suite logique de son déchaînement et toujours pas d’électricité.

 A cette heure, le cyclone et ses vents estimés à plus de 150  km/h, n’en sont pas encore à l’apogée de leur puissance.Après l’épisode de la fenêtre menacée,  une vraie crainte  de l’inconnue puissance peut  donc me saisir. Les fracas, non identifiables au-delà des volets prudemment tous fermés, peuvent malgré moi faire monter mon inquiétude d’un cran dans la nervosité.

 Mic, imperturbable, continue de remplir ses cases de sudoku dans la mezzanine maintenant dans une lumière basse. Je l’abandonne à son sport cérébral pour  redescendre dans la salle de séjour.   Fuir au moins les bruits de chocs répétés sur les tôles.  Entre deux rafales du monstre j’entends encore des oisillons appeler dans le ficus. Irréel !

 L’électricité revient, momentanément. Une autre coupure la suit. Heureusement j’avais pensé à éteindre l’ordinateur et la télévision pour leur éviter de subir ces sautes de tensions hautement nuisibles et à débrancher l’électroménager. Comme le jour baisse et qu’il n’y voit maintenant  plus assez pour jouer de son crayon Mic redescend à son tour de la mezzanine. Il allume alors sa lampe- tempête sur la grande table. Le sudoku peut continuer..Réflexe d’artiste peintre : je pense  spontanément  à l’un des tableaux intimiste de Vuillard pour la similitude du cercle de lumière posté au centre de la table et pour ses dégradés subtils de plus en plus foncés dans lesquels la pièce s’enfonce. Mais avec la sérénité de la scène  en moins !

 Niran rugit toujours autant,  ronfle, pousse les airs devant lui,  faisant le tour de la maison en casseur spécialisé de jardins, même bien entretenus. Nous le savons, le nôtre sera, après seulement quelques heures de  cette furie programmée,  méconnaissable  Lui et  tous ceux de la ville et de la Calédonie.

 16 H 30 L’électricité revient, rassurante. Et toujours  pas de pluie pour accompagner les rafales. Étonnant ! Voilà une inquiétude de moins pour la Calédonie, épargnée au moins  par d’autres  inondations. Niran pour une fois est un cyclone sec.

17 heures Calme apparent. Pause-café du monstre. Nous devons être dans l’œil. Temps mort puis reprise des rafales monstrueuses. Une idée me traverse le cerveau : on va pouvoir rejouer aux billes avec les petits citrons quatre-saisons certainement tous jetés à terre avant d’avoir mûri. Mon Dieu faites que les pamplemousses tiennent au moins, eux. !

 17H25 Des ronflements sous le toit, qui reviennent subitement, me fichent la trouille. Soudain la radio n’émet plus, elle  qui nous tenait au courant de la progression géographique du déchaînement et banalisait la situation de sa voix  tranquille en accompagnement. Cette fois Niran est un prénom d’homme. Pour plaire aux féministes ou pour une parité plus que facile à appliquer en météo? La nuit s’apprête à tomber, prématurément et sans soleil couchant, dans le vacarme d’un gros déménagement vraiment pas très catholique. Je reste surtout dominée par la peur de dégâts possibles au toit de notre voisin en contrebas, car à portée de  la chute éventuelle de notre vieil araucaria. Et s’il cédait sous les coups répétés de Niran, le cyclone de trop ? Un étau que je sais dû au stress  s’installe dans ma gorge par nervosité intérieure plantée  tout droit dans le cœur de  ma propre impuissance. Subir passivement  le choc des sons contre  notre maison-tanière  me met les nerfs en pelote. Ma forte imagination naturelle et ses supputations diverses  me jouent leurs mauvais tours.

 17H30 La radio émet de nouveau…

Elle annonce aux auditeurs la fin du phénomène sur Nouméa, .Niran commencerait à s’ éloigner pour rejoindre le grand Sud puis l’île des Pins, qui fera comme elle pourra pour lutter à son tour… Mais il faut encore attendre avant d’oser ouvrir les fenêtres, puis pousser fort  sur les volets encore sous pression, et oser se faire une idée des blessures du jardin, et des chocs infligés aux toits du carport et de la dépendance.  Le moment est d’autant plus irréel qu’il est nimbé dans une lumière violacée inexplicable. Maintenant un silence monstrueux  règne sur un spectacle atterrant. Dès le premier coup d’œil, malheureusement sans surprise,c’est  la constatation d’un massacre généralisé. Un soulagement toutefois : l’araucaria a tenu ! Il n’ est qu’épilé sauvagement  à  mi- hauteur de son tronc, hauteur moyenne du circuit des rafales mais rien de grave. Par contre, le vieux bougainvillée, tombé contre le mur de la maison, qui l’a retenu par la force des choses, obstrue complètement la fenêtre de notre chambre. Il gît en biais, baignant dans son  feuillage comme une victime dans son sang. Sa .défaite était un peu prévisible, les dernières grosses dépressions précédentes l’ayant à chaque fois incliné de degrés supplémentaires jusqu’à le pencher comme un vieillard au fils des ans.

Mais le pire n’est pas arrivé là. Un  spectaculaire bilan s’impose, dans la désolation, juste derrière la maison !

Il suffit de tourner la tête et de s’avancer sur la terrasse  couverte de feuilles, de branches, d’aiguilles d’araucaria, de pitoyables débris de toutes provenances,  pour le découvrir. Mic et moi en restons stupéfiés ! L’immeuble voisin semble s’être introduit dans le jardin par le haut du talus.On ne voit plus que lui.Mais qu’il est devenu laid subitement ! Devant lui, nos grands arbres fétiches,totalement déshabillés de leur feuillage, dressent en implorantes victimes vers le ciel des moignons, amputés de leurs branches, comme en 14-18 à Verdun autour des tranchées .Ils ne proposent plus à voir que leurs squelettes, en écorchés d’étude pour les sciences de l’environnement.

 « Allons bon ! Regarde Mic, ! » La fenêtre de notre chambre est condamnée.par  le bougainvillée  qui bloque l’ouverture des volets !».Nous devrons tailler dans ses restes pour retrouver de la clarté en attendant la venue de l’entreprise de jardinage, qui sera débordée avant de pouvoir venir nous aider.

Ironiquement, le cyclone Niran a fait mentir les prédictions agressives de nos voisins de l’immeuble déclaré visuellement « pourri » dont il va falloir s’accommoder de sa triste vue pour un bon moment.  Les  seuls arbres que les voisins nous sommaient d’élaguer, sont ceux qui ont précisément résisté à la furie de Niran. Ils semblent même en narguer ses autres victimes. Un comble !

Et dire que jusqu’à il y a quelques heures seulement, l’ image du jardin était encore solidement installée dans nos crânes. Un deuil de jardin commence.

 « Tu as vu là, derrière le manguier Mic ? Cet entrelacs de grosses branches, d’arbustes arrachés, de plantes déracinées…On dirait une pitoyable forêt vierge inextricable . Ça plairait aux gamins, tiens, les seuls que cela amuserait ! »

Des feuilles de toutes les espèces, des branches cassées, des touffes d’aiguilles vertes et piquantes, se prennent partout sous nos semelles, s’accrochent à nos chevilles  jusqu’au milieu de nos pelouses.

-Viens on rentre ! C’est trop triste. On commencera le nettoyage à notre portée demain matin.De toute façon il va faire nuit maintenant. C’est l’heure de dîner déjà. Tu as faim toi ? » Hochement de tête.

 « Moi non plus. Pour le dîner, une boite de maquereaux et de la salade, ça t’ira ?  Écoute ! Les oiseaux, de nouveaux postés sur les branches devenues nues, commentent déjà l’évènement » !

Dès demain matin la musique lugubre des.tronçonneuses battra son plein dans tout Nouméa. Et la ville, oublieuse du calme pénible d’avant la furie de Niran, vrombira haut et fort pendant  plusieurs jours.

                                                                                                                                 Nouméa, Mars 2021.