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Les rescapés du « Reste à terre »

Les rescapés du « Reste à terre »

Quel père de famille n’est pas désireux d’offrir une sortie en mer à tous les siens ? Raymond le pompier possédait une vieille plate, un petit bateau en aluminium de quatre mètres cinquante ; son âge et un entretien irrégulier, voire négligé, faisaient qu’il n’avait pas navigué depuis belle lurette.

Devant la pression familiale, qui voulait profiter des beaux jours, Raymond entreprit la remise en état du moteur, de la remorque et il fit quelques soudures sur la coque fissurée. En père dévoué il s’attaqua à la direction à câble, système archaïque de commande du bateau. Il procéda à un inventaire, trop bref : ce réparateur du dimanche démantela le vieux système rouillé ; après la remise en état du moteur, de la remorque et quelques soudures sur la coque, Raymond, en bon père de famille pressé de reprendre la mer avec les siens, ne se soucia pas d’une méthode en règle pour le montage.

Il changea tout d’abord les poulies d’angle puis déroula le câble flambant neuf qu’il accrocha au tendeur gauche du moteur. Il passa le câble dans les poulies, dans les guides, l’enroula sur la risse sans fin à l’arrière du volant permettant de sélectionner la bonne direction et s’attaqua au retour sur le moteur.

Un travail superficiel dans la prise des mesures, faites en un clin-d ’œil, une approximation sur la longueur de l’embarcation, un câble insuffisant dont il manquait un mètre cinquante pour boucler le montage… Tout était réuni pour la catastrophe !

L’adorable papa racheta au bout de quelques jours la bonne longueur de câble nécessaire et installa définitivement la nouvelle direction, faussée. La pression montait dans la famille, qui trépignait d’impatience. La promesse fut faite pour une sortie en mer le week-end de Pâques. La veille du départ, Raymond, de sa voix de patriarche, hurla :

  • Mam ! Mam ! Va chez Michel-Ange chercher le casse-croûte pour la sortie de demain !

Des hurlements de joie retentirent dans la maison, jusqu’au départ de la maisonnée dans la Renault ; cette dernière, à la carrosserie quelque peu percée par la corrosion, avait déjà bien servi : transport de matériel de pêche, de crabes et autres picots ou mulets.

Pain, saucisson, pâté, coca-cola et bières pour Papa, tout était enfin prêt pour le lendemain. La nuit parut interminable aux bambins.

Récit de Raymond :

Lundi 8h ; nous voilà à la mise à l’eau de l’arroyo de la BAN-TTA, le moteur démarre.

  • Nom de Dieu ! Je tourne le volant à gauche et le bateau tourne à droite !
  • Oooh ! s’exclament les enfants. Il suffit de de faire la manœuvre inverse souhaitée !

Le conseil est bon, ça marche, on part. Pas d’encombre durant la descente du chenal jusqu’à l’îlot Moustache, à l’entrée de la baie de St-Vincent où nous passons une excellente journée.

Vers 15 h nous rassemblons les affaires, chargeons le canot et les enfants fatigués mais heureux. J’attaque l’arroyo et au fil des méandres il faut toujours être vigilant dans les manœuvres inversées, tourner à gauche pour aller à droite, dans une incommensurable concentration et une infinie maîtrise. Pour un pompier de 46 ans, je m’en sors bien, ma foi…

Et soudain dans le septième virage, l’imprévisible surgit sous la forme d’une moto marine hors de sa trajectoire de navigation ! Le capitaine est surpris. Avec un hurlement de colère il reprend le réflexe de tant d’années de conduite en mer et donne un violent coup de volant à gauche ; le « Reste à terre », projeté sur la droite, s’encastre dans la mangrove toute proche. Cris de terreur, vociférations, le bateau est perché dans les palétuviers, moteur sur vive allure, continuant son travail de poussée au maximum !

Tous sont alors projetés de ci-de-là. Raymond dans la boue ordonne l’arrêt du moteur au plus âgé de ses enfants qui s’exécute en tremblant. Le silence est de mise, mais plus de peur que de mal. Les deux occupants de la moto s’approchent penauds, ils se savent coupables. Soudain, dans un immense craquement, de racines, le canot s’enfonce de vingt centimètres dans les palétuviers. La peur redouble. Un crissement sous la coque, et le canot, alourdi, redescend des racines vers le chenal.

  • Papa, j’ai peur ! dit le petit dernier de cinq ans.

Mais Raymond, rassurant, lui rétorque :

  • Tout va bien, mon fils ! Papa gère.

Le « Reste à terre », après quelques modifications plus réglementaires, a permis bien d’autres heureuses aventures à cette famille de Tontouta.

Cette mésaventure m’a été racontée par une institutrice toujours prête aux confidences après le week-end ou les vacances.

Le Rêveur de la Tamoa