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À l’horizon par Christine Bourrelly

À l’horizon 

par Christine Bourrelly

 

 

Tu liras certainement cette lettre quand je ne serai plus.

Qui récupérera mes quelques affaires ? Mon frère ? Peut-être qu’ils les brûleront.

J’écris tant que j’ai encore un peu de force.

J’ai froid. Les vertiges ne me laissent pas de répit. J’ai déjà des hallucinations. Je connais les prochaines étapes. Bientôt, je ne pourrai plus bouger. Je suis triste, fatiguée, mais un peu de force m’anime encore.

Un médecin est venu me demander si je souhaitais qu’on m’hospitalise. Il semblait sincère. Ceux qui l’ont envoyé doivent espérer que je crève.

J’ai dit « non » !

Non, je ne vivrai pas. J’ai choisi de mourir.

Je continue à refuser de manger.

Je me suis raccrochée à cette solution avec l’espoir que ma démarche pourrait servir ma cause. Un procès équitable. C’était trop demandé. Ça a bien dû les faire rire. Rire… Cette notion m’est douloureuse.

Je sais que c’est trop tard. Maintenant je prie pour que ma mort soit utile à d’autres.

D’en haut, je voudrais ne plus voir le confort des uns et le malheur des autres. Ne plus entendre le son victorieux des tyrans et le silence des opprimés.

 

J’ai craint que ma mort ne soit vaine. Je vais m’éteindre dans l’indifférence la plus totale. Cela n’intéresse pas les médias. On est trop nombreux. Et les politiques au pouvoir se réjouissent de nous voir disparaître.

Djalil m’a dit que les étrangers se soucient de mon devenir. Les étrangers et les exilés. Ceux qui essaient de combattre loin d’ici. Ils portent mon combat sur la scène internationale. Piètre consolation,quand, ici, les médias se taisent. Le peuple veut du changement, il croit en ma cause, mais il est mal informé et tellement impuissant.

 

Toi, ma fille adorée, tu n’es pas là, mais je te sens si proche de moi. C’est ce qui me permet d’y croire encore.

Je sais que tu mènes aussi ton combat, que tu te caches, et que tu œuvres.

Que prépares-tu ?

Toi aussi tu te sacrifies. Toi qui pourrais partir d’ici, qui pourrais mener une vie presque paisible dans une contrée libre et accueillante. Mais le sang de nos ancêtres coule dans tes veines. Ils se sont battus pour leurs libertés. Tu te bats. Tes enfants se battront.

Je crois en toi, en ta force, en ta jeunesse. Oui, mon espoir, aujourd’hui, c’est toi.

Je suis tellement fière de toi. Pour ce combat que tu mènes, mais surtout pour ce que tu es. Une femme honnête, forte et combattive, aimante.

Oui, ton combat, notre combat paiera, l’amour et la justice triompheront.

Il faudra du temps, mais nous y arriverons.

 

Ne t’inquiète pas pour moi. Je sais que je ne veux plus vivre dans ce monde absurde.

À l’horizon, dans cette vie, pour moi, il n’y a plus que souffrance. Après la souffrance, j’aspire à la paix.

À l’horizon pour toi, il y a la souffrance, mais aussi, j’ose y croire encore, l’espoir d’un monde meilleur.

 

Je pars en sachant que ma flamme et mon amour brûlent en toi.

Je t’embrasse avec toute mon affection, elle est intacte, elle me portera jusqu’au bout.

Embrasse les enfants pour moi. Dis-leur bien que je pense à eux.

 

Ta maman qui te chérit plus que tout au monde