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Tristan Derycke

Dessins communs

Après « Le syndrome des Maldives », Tristan Derycke publie un deuxième roman « 2084 NC » aux éditions Amalthée. L’auteur a opté pour une anticipation de près d’un siècle qui ne fait que parler de l’actualité… brûlante. Plein d’humour pour aborder des choses graves, cette brève fable, où les cycles hasardeux de la vie se répètent, se lit avec beaucoup de plaisir. Eternel recommencement…

Son premier roman avait enchanté la rédaction par sa construction, son originalité et sa qualité d’écriture. Le difficile passage au deuxième est toujours redouté car aussi bien l’auteur que le lecteur craint soit la redite, soit une baisse de niveau. Ici, pas de problème, Tristan Derycke transforme l’essai dans une forme plus courte en adoptant un humour qui va crescendo alors que l’action – un road-movie futuriste – tutoie dangereusement le cul-de-sac géographique et l’impasse biologique. Il a choisi le roman apocalyptique pour narrer une Nouvelle-Calédonie (a-t-elle encore un nom ?) qui frise la vétusté, la faillite, voire le dépotoir de bilan, et regrette les temps anciens, toutes ethnies confondues. Car au lieu de pinailler sur des querelles politico-sémantiques ou de se draper dans des tissus de bêtises, le pays en formation aurait dû – comme tous ceux de la planète – réfléchir à une débâcle annoncée (et pas prise en compte) de l’environnement. La flore a donc ou repris ses droits anarchiques et exubérants ou disparu complètement. Quant à la faune, c’est l’idée directrice du roman, elle a suivi une voie particulière, en reformulant une espèce humanoïde pour le moins surprenante… 

La guerre des « feu »
À l’aide d’un prologue de deux pages, modèles de concision efficace, l’auteur évoque la colonisation qui débarque et les événements de 1984, compensés par deux traits d’intelligence et d’humanité. La réflexion au moment de l’inéluctable peut toujours aboutir à une solution artistique et humaine. Des dessins communs à méditer dès… aujourd’hui. Cependant, tous ses membres n’ayant pas cogité dans le même bon sens, la race humaine est face à son butoir. Elle ne se reproduit plus et sa population devient peau de chagrin tandis qu’une nouvelle espèce a une multiplication exponentielle. Juste au moment où tous les cousins du caillou (même s’ils s’en défendent) sont fortement métissés et unis dans l’adversité. Avec un physique destructeur et belliqueux style Hulk en grosse colère, les Ocres (n’oubliez pas la liaison et prononcez « Zocres »), c’est le nom des envahisseurs, semblent issus de contes de fées – pas beaux, géants, tout nus, muets et agressifs. Sur notre île paumée, entre les deux populations, c’est la guerre des « feu »  car ceux qui vont disparaître inexorablement brûlent leurs dernières cartouches à bouffer paradoxalement de l’Ocre. Et ce dernier, attaqué par un virus létal, rit… jaune. Dans ce chaos, deux bras cassés essaient de rallier l’extrême Nord, en partant de Nouméa ou de ce qu’il en reste, pour ramener une précieuse cargaison de sel. Denrée qui saupoudre, par ailleurs, tout le roman. Cultivant l’ambiguïté, l’humour noir, la satire et le récit picaresque, l’auteur nous entraîne dans un voyage jouissif plein de rencontres, valant forcément le détour, avec des paysages connus modifiés par sa plume acide. Quelques personnages croquignolets et dangereusement cocasses complètent ce bestiaire autour de Jonas, l’anti-héros, de Riton la brute au grand cœur et de Victor, le dernier grand chef consensuel. En dire plus serait gâcher votre bonheur de lecture, c’est pourquoi nous vous laisserons découvrir les pérégrinations de ce trio, parfois pagnolesque. J’allais oublier une formidable fin ouverte qui n’est pas sans rappeler le bouquin légendaire d’Arthur C. Clarke « 2001, odyssée de l’espace ». Bon voyage dans le temps!

 

Ocrolross
Roland Rossero
Paru dans « Les infos » du 8 avril 2011