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Questions à Manuel Tourraille à propos des Guerriers Pacifiques

Questions à l’auteur (par Nicole Chardon-Isch)
⁃ Pourquoi avoir choisi Nan Madol ?
⁃ Je me souviens déjà de l’Antiquité rêvée du poète romantique allemand Hölderlin, qui n’a jamais quitté les brumes de son Allemagne natale. Mon peuple à remonter le temps aurait moins de saveur sans Nan Madol. La Venise du Pacifique. Une Antiquité rêvée, sans besoin d’y aller pour en parler. Sur le déroulement de la fiction, je me suis plutôt inspiré du théâtre et du cinéma. La représentation visuelle et la prise de parole de mes personnages. Habituellement, j’ai un ou plusieurs personnages. Là, j’ai un peuple, une entité à défendre, à faire exister sur le papier. Comme sur d’autres nouvelles, j’avais la possibilité de changer les noms. Les vrais noms correspondaient bien à la fiction du monde avec un effet de réalité. L’animateur multimédia du Rex, Jorge Vallero Torres, m’a parlé pour la première fois de cette cité. Il m’a montré des photos. J’ai pensé qu’il s’agissait d’une invention. Puis Frédéric Ohlen, qui connait bien le sujet. A partir de là, j’ai tiré le fil d’un peuple intemporel, qui s’excuse presque d’exister, qui ne revendique rien, et qui pourtant obtient tout. Il était déjà important de faire connaitre l’existence même de cette civilisation disparue. Nan Madol est le pivot autour duquel s’articule la fable.

⁃ Vous semblez jouer du double sens, local et géographique, mais aussi sémantique, du terme « pacifiques » Expliquez-nous le titre, qui contient un oxymore ; guerriers va-t-il avec pacifiques ?

⁃ Il est un peu illusoire, aujourd’hui, de se rapporter à une vision trop pacifiste d’un monde à feu et à sang. Il faut être vigilant. Dans ma famille, j’ai un arrière grand père qui a fait la guerre de 70 et la guerre de 14, un grand père qui a résister durant la Seconde Guerre mondiale, un père et un beau père qui ont fait la guerre d’Algérie. Un guerrier est là pour éviter la guerre, pour rétablir la paix. Pour témoigner de ce qui s’est passé. Avec les guerriers pacifiques, je propose plutôt une fable, un texte allégorique, où l’autorité est incarnée, d’emblée, par la présence sans faille du corps, une forme d’autodéfense, qui défie l’adversité. Ces guerriers sont des acteurs de paix. Ils sont là pour apaiser les tensions.
⁃ Vous n’accusez jamais vos contemporains, vous focalisant sur la valeur exemplaire des guerriers pacifiques. Mais la satire sociale, politique, comportementale de nos sociétés de profit n’est-elle pas manifeste ?
⁃ Mes guerriers pacifiques vont du présent au passé et inversement. Je n’oppose rien. Mais je vois au quotidien une culture occidentale humaniste, qui se juxtapose à une culture océanienne coutumière. En Nouvelle-Calédonie nous supposons. Parfois, nous opposons. Ou simplement, nous juxtaposons. Dans le meilleur des cas, la rencontre se produit. En écrivant j’ai pensé aux nomades des océans, au pèlerinage gitan des Saintes-Maries-de-la-Mer, aux réfugiés de la mer Méditerranée. Des migrants viennent s’installer là où ils ne sont pas attendus sur nos côtes océaniennes. On les aime bien. Ils squattent un peu. On leur demande de s’adapter au monde moderne. Un ethnologue imagine que ce peuple provient de l’origine des temps. Ce peuple étrange, étranger finit par réconcilier la société avec elle-même, notamment au regard des jeunes.
⁃ Au-delà de l’image du professionnel, gestionnaire rigoureux, n’avez-vous pas gardé une âme d’enfant ?
⁃ La littérature pourrait être observée à travers le prisme de la loyauté envers l’enfant que nous avons été. Là, si je me tenais face à l’enfant que j’étais. Il me dirait quoi. Je lui dirai quoi ? Je pourrai le regarder droit dans les yeux et lui dire : Je ne t’ai pas trahi. J’ai construit ma vie d’adulte sans trop renier ce à quoi je croyais enfant. Une part d’idéal, d’innocence, d’utopie. Et lui pourrait me répondre : ça va, nous y sommes arrivés pas trop mal. Il y a comme un serment de loyauté passé entre l’adulte et l’enfant qu’on a été.
⁃ Le moment de la parution n’est-il pas judicieusement choisi dans un contexte de référendum et de vivre ensemble parfois difficile ? En clair Les Guerriers pacifiques est-elle une œuvre politique ?
⁃ Ecrire en Océanie a choisi de publié ce texte, dans une nouvelle collection « fable ». La création littéraire me motive plus que l’aspect politique pour aborder, comme je l’ai fait, le grand chef Ataï, la présence de combattants de la Nouvelle-Calédonie sur le front de Gallipoli. Je travaille aujourd’hui sur Maurice Leenhardt. J’imagine la conversation que pourrait avoir Maurice Leenhardt avec son premier étudiant en théologie et futur pasteur indigène, appelé « nata ». Le jour de leur rencontre Waa Wi Luu dans la propriété achetée pour en faire une station missionnaire, baptisée Do Néva, le vrai pays. Puis à mi-chemin de leur vie. Ils s’allègent du poids de l’histoire, du poids des secrets et se disent tout ce qu’ils ont sur le cœur. Avant de devenir BAO, qui signifie ancêtre, esprit dans la culture kanak et que j’emprunte à un projet mené par Saskia Cohen Tanugi en 1988*
 » La bonté des uns et le geste fraternel des autres, l’échange et le respect mutuel  » – dit le Pasteur Leenhardt.
(Extrait)
⁃ Le Bao : Un jour, tu te sentiras comme un Bao.
⁃ Le Pasteur : Un vieux
⁃ Le Bao : En passe de devenir un ancêtre
⁃ Le Pasteur : Et de retourner à la terre.
A la fin du texte. Bao Noir et Bao Blanc entonnent, fredonnent, chantonnent une forme d’hymne au possible vivre ensemble. Dans cet état d’esprit, la fable, la chanson de geste, les guerriers pacifiques nous parle bien de notre monde d’aujourd’hui.
⁃ Les uns diront :  » On nous a volé notre mémoire « . Les autres diront :  » On nous a volé notre histoire « . Et moi je vous dis : Ne laisser personne parler à votre place. Nous participons tous les uns des autres. Dites-moi que nous avons plus de ressemblances que de différences. Dites-moi que nous avons la nostalgie de ce qui n’a jamais été.

*1988. BAO. Festival des arts du Pacifique, Nouméa, Townsville Australie. En 1988, Saskia Cohen Tanugi (metteur en scène, dramaturge et scénariste française) arrive en Nouvelle-Calédonie où elle travaille pendant plus d’une année à la préparation du 5ème festival des arts du Pacifique. Cent kanaks (écrivains, danseurs, acteurs et chanteurs) représentant la grande terre, Lifou et Maré participeront à cette œuvre (BAO), qui allie la culture contemporaine et la tradition retransmise par les anciens.