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La Mémoire des Gaïacs de D. Marinet Carrier présentée par P. Artigue

Un recueil de 56 textes en vers libres, généralement assez courts (parfois juste une phrase ou quelques mots), nous livre ici une poésie solaire, vivante, colorée, une poésie qui raconte une multitude de petites histoires où s’invite parfois l’humour (utilisation du champ lexical de la cuisine : « recettes à cuire debout », « le ciel mijote une pluie de larmes de crocodile », « la pelouse prend des airs de potage » etc .). Mais il s’agit avant toute chose d’un recueil qui célèbre la nature calédonienne et fait le constat que sur cette ile du pacifique homme et nature sont véritablement connectés et vivent en harmonie, l’art étant le remède au temps qui, inexorablement, s’écoule. I) Une peinture de la Nouvelle-Calédonie : On sent l’œil du peintre en chaque texte car les descriptions sont toujours très visuelles mais c’est par le biais des réalités locales, l’utilisation de poèmes-tableaux et de références à la culture Kanak que Dominique Marinet- Carrier nous offre une peinture colorée de la Nouvelle-Calédonie. 1°) Réalités locales : A) La météo : Un sujet que l’on retrouve dans de nombreux titres de poèmes : « cyclone » « saison fraîche » « saison chaude » « déluge » « météo » « dépression tropicale » « coup d’ouest » . (lecture de déluge p45 et de la première strophe de coup d’ouest p59). B) La mine : « Terre rouge » , « Nickel ». (lecture de la première strophe de Nickel p32). 2°) Des poèmes- tableaux : Pour certains de ces poèmes, grâce à l’évocation des couleurs, des jeux de lumière et à une certaine dimension géométrique, c’est un véritable tableau qui s’impose à nos yeux. A) L’évocation des couleurs et de la lumière : Dans le poème Saison fraîche « Sans occulter la lumière ni la couleur de nos moissons », le poème « Terre rouge », dans Lagon « le code turquoise », dans Vermeer » un certain jaune », dans Noces « Les terrasses s’éprennent de l’ombre », dans Orientation « le jour arrive toujours du même côté du jardin », dans Terre calédonienne « Dans les jardins poussent cent huit verts ordinaires »etc . (lecture des deux premières strophes de Phare p56 et du poème Couleurs p55). B) Une certaine dimension géométrique : L’auteur parle de « lignes droites et élancées », de « traces ondulantes », « l’air y calcule l’angle de ses caresses » et dans Couchant p50 « Le jour part en franges sous le coup de ciseaux des hirondelles ». 3°) Références à la culture kanak : Les mots utilisés, les situations et les objets décrits font référence à la culture Kanak : Dans Langage P9 utilisation des mots « vieux » et « pilou » (lecture de ce texte). Dans Harmonie « les femmes savent comme personne tresser la patience, tisser l’affection ». Chambranle parle de masque (lire P14). Dans Ilots « pirogues de silence ». (lire Haïku Kanak P54 et Tropique P19 ( Tropique poème préféré de l’auteur dans ce recueil) II) Homme et nature sont connectés : « Tourne la terre et celle du potier », « Terre aride qui roule et rougit d’ocre mon sang ». 1°) Une nature vivante et personnifiée : « La peau étroite des jardins » Une nature qui agit (choix des verbes) : « Le soleil affute ses rayons, sculpte la fraîcheur », « les ilots glissent », « la piste cherche sa voie dans la savane et se tourmente » (au passage noter l’allitération en S qui évoque la sinuosité de la piste), « s’endorment les sensitives », « les terrasses s’éprennent de l’ombre » etc . La nature est tellement connectée à l’homme que lorsqu’il est dans le chagrin, elle souffre avec lui (lire le poème Lagon-linceul P58. 2°) Comme l’homme, la nature est sensuelle : « La tempête souffle en ondulant des hanches », « noces brutales de l’été », « les feuilles ferment les doigts avant de lâcher prise », « le cœur de la terre bat », « j’ai envie de l’herbe et des gestes qui attendent tes bras ». III) Apprivoiser le temps : Le temps s’écoule. L’homme et la nature n’y peuvent rien et doivent l’accepter. Il n’y a donc pas lutte mais acceptation de cet état de chose en pleine conscience, la parade à la fuite inexorable des jours se trouvant dans l’art et la contemplation de la beauté du monde et plus particulièrement de cette nature calédonienne si vivante, colorée et variée. 1°) Références au passage du temps : Utilisation des mots « mémoire », « graines du temps », « nostalgie ». A noter les phrases ou expressions : « Les heures s’en vont en cachette », « Tresser la patience », « Patiner de sa loi le bois solide du temps », « Marquer les heures comme les bêtes du troupeau », « Les couleurs repliées ensemble hors de portée du sablier et de l’horloge », « Remonter quatre à quatre l’escalier de la mémoire », « Les oiseaux organistes, les seuls à faire le compte à rebours des minutes solaires qui précèdent la nuit ». 2°) L’art, parade à la fuite du temps : Homme et nature sont tous deux des artistes. L’homme peut exprimer son art de diverses manières, par exemple à travers la peinture mais aussi à travers les mots. Quant à la nature elle est artiste à travers sa beauté qui, en elle-même est un spectacle. Mais la nature va encore plus loin, exerçant par elle-même l’art de la peinture : « j’ai bien peur que les arbres ne déteignent », « Le printemps, ce souffleur de verts », « Les mouettes cochent d’un trait de plume criard l’écran du ciel ». Conclusion : Pour conclure, dans ce recueil qui nous livre ses instantanés, sa multitude de petites histoires, il se dégage un sentiment d’acceptation en pleine conscience du monde et de la nature calédonienne dans leur vérité. Dans chaque poésie se niche l’œil du peintre et, sans difficulté, il est possible de visualiser la toile sous-jacente aux mots. Lorsqu’on referme ce recueil de poésies, on a dans le cœur un patchwork coloré comme l’est la peinture de Dominique et ce patchwork forme un tableau, un tableau de toute la Nouvelle-Calédonie. Questions posées à l’auteur : 1°) Avez-vous un autre recueil de poésie en préparation ? 2°) Envisageriez-vous de mêler plus étroitement poésie et peinture (dans un livre, une expo…) ? 3°) Votre peinture très colorée a tout pour plaire aux enfants, n’êtes-vous pas tentée par l’illustration d’un livre destiné aux enfants (poésies, contes…)?