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La Balançoire, support pédagogique de Nicole Isch

Nicolas KURTOWITCH, La Balançoire
Présentation de Nicole CHARDON-ISCH à Calédolivres
Mercredi 17 mai 2017
Introduction
La Balançoire pièce de NK parue aux éditions Ecrire en Océanie, apparaît comme le théâtre du temps et de l’espace qui s’échappent et que l’on s’efforce de retenir, de dompter.
La pièce commence in medias res avec des personnages désenchantés, dont le destin est emboîté dans une temporalité floue et un espace non dénués de réalisme.

– Le temps comme obstacle
Ce sont d’abord des considérations sur la météo et l’environnement, dans un lieu qui ressemble à un squat en bord de mangrove ; considérant la pluie, la boue, les palétuviers et la vase, deux frères, Theo, Mouaeou et leur ami Manuel font assaut d’imagination et supputent à quel jeu les enfants pourraient se livrer dans un tel paysage. En dépit de la forme dialoguée les personnages crient, se désespèrent et soliloquent, emmurés dans leur désarroi.
Car le temps et l’espace deviennent obstacle ; plus le temps passe, plus Théo, Manuel ressentent le manque d’horizon, de liberté; plus ils s’interrogent sur le devenir de leurs frères de misère, de la piètre qualité de leurs concitoyens, de la mauvaise gestion de la planète ; l’ennui, la répétition, la cruauté leur sont pénibles; ils pressentent que l’essentiel de la vie est ailleurs et autrement.

Lectures p.9, p.13, p.22 : la boue, la pluie, la dureté du travail , le sable, le ciment, la sueur exaspèrent les corps et fatiguent les âmes. Charlotte Mackay, qui a consacré sa thèse à deux romans de N K écrit à propos du travail que c’est le lieu de la dégénération mentale et physique ;

Lecture p.34 (dernière réplique de Manuel)
– Le temps et l’espace facteurs de réunification familiale et amicale
Très vite les personnages évoluent, se réunissent, échangent et finissent par trouver un terrain d’entente, dans l’action.
Nous assistons à la tentative de recomposition d’êtres malmenés par la vie. Une famille kanak de quatre enfants, Léa, Mouaeaou, Théo et Johanna s’interrogent sur leur existence, leur environnement, leur famille cassée par les tragiques événements du passé. Ces éléments distillés dans la trilogie romanesque constituée par Good night friend , Les heures italiques et Dans le ciel splendide , trilogie entamée depuis plusieurs années par N. K ; se retrouvent et aboutissent à cette pièce finale, achevant un cycle, un récit de vie, où la composante personnelle, psychologique, esthétique et existentielle tiennent une grande place.
Outre cette famille de quatre jeunes adultes, interviennent des amis, tels Camille ou Jérémie, et on retrouve surtout Manuel, qui a des racines en Bosnie-Herzégovine et qui partage , par son vécu, à la fois la désespérance mais aussi les sursauts d’espoir et la force vitale, s’agissant de Léa qui va mourir.
– Le temps et l’espace vécus et vaincus
Le personnage se transforme, subit des mutations, n’est plus le même au début et au fil du récit ; il franchit un double passage, celui de la jeunesse à la maturité, celui du temps lui-même ; même s’il découvre la boue métaphorique, les chaînes et la dureté du travail, les affres de la maladie, la dictature de l’acharnement thérapeutique, il n’abdique jamais ses revendications légitimes ; né libre, il n’aura de cesse de retrouver cette liberté, construisant au passage son bonheur d’homme ou de femme. Le temps est vaincu, l’espace réapproprié de manière consciente, enfantine, jouissive dans une énumération aphrodisiaque. Un enthousiasme est généré.
L’on passe alors progressivement de propos pessimistes à une vision plus positive de la vie, « de la boue nous tue, elle nous épuise » à « La boue fait la vie » ; des gosses à l’anniversaire de Léa, enjeu supérieur qui leur demande de composer avec leur environnement en faisant preuve d’altruisme et d’amour.
Le temps devient le lieu de l’accomplissement ; le héros se dresse et s’envole vers un avenir de reconquête de soi et de la société ; les conversations le forment ; les projets le confortent, tel celui de fêter l’anniversaire de Léa, toujours absente ; il fuit les contraintes de l’environnement en le sublimant.
Lecture p.14 et 15
– Hypothèses d’interprétation

Dans la récurrence de ces personnages et de ces thématiques, il y a sans doute un dessein à long terme, que vous voudrez bien nous expliquer.
Question 1 : Qu’apporte cette pièce à la compréhension de l’ensemble ?

Question 2 :Quel sens donner au titre, La Balançoire ?
Il pourrait a priori donner l’illusion d’images romanesques, d’instants idylliques, de moments privilégiés où sonnent des rires d’enfants. Il pourrait évoquer l’adrénaline du plaisir, dans ce va-et vient dynamique où se mêlent érotisme et peur, selon l’analyse de Freud.
Est-ce un rappel de ces vies qui s’enlisent dans un conflit qui les dépasse, dans l’image entêtante de la boue, de l’eau glauque des palétuviers, de cette balançoire qui sans crier gare vous revient à la figure, comme un retour du bâton ou la conséquence des mauvais choix passés ?
Est-ce l’expression d’une fuite en avant, comme se plaindre de la médiocrité ambiante, comme l’idée saugrenue de Camille de se marier à l’instant, avec n’importe lequel de ses amis ?
Est-ce une allégorie de la résistance, d’une tentative désespérée pour trouver le bonheur, et fêter l’anniversaire de Léa, la sœur atteinte d’une maladie incurable ?

Cette pièce où s’expriment tour à tour des sentiments d’euphorie et de désillusion, de pitié et de révolte, peut être rattachée à l’absurde et à la résilience ; on y perçoit la tentation du désespoir et l’appétance pour la vie. C’est aussi un hymne à la liberté de mourir au sein de sa famille, contre la rage de survivre dans l’acharnement thérapeutique et l’enfermement.
Lecture p.26-
– Oui, c’est pour ça…
– -…vivante.
La Balançoire est aussi est le lieu d’une esthétique littéraire et cinématographique où l’auteur joue de l’insertion de tableaux, de la superposition de scènes simultanées, de cadrages juxtaposés, de défilés de paysages par l’embrasure de la fenêtre.
Ainsi par la fenêtre ouverte, p.38et 39 lecture
-Là, regardez, ce n’est pas la montagne qui repasse ?

Conclusion
Cette pièce où se mêle une part de biographie, me semble porter les fantasmes des personnages ayant chacun sa propre logique ; ils sont blessés à des titres divers mais s’accrochent au réel, dans une tentative désespérée de s’en accommoder pour mieux l’appréhender et ne pas sombrer ; son caractère singulier, entre l’absurde et l’espoir, érige les personnages en types universels et les rend attachants ; c’est en fait un théâtre de l’identité perdue puis retrouvée, une lecture de l’existence décryptée, assumée, avec ses miasmes, ses échecs et ses beautés. Enfin au-delà de la trame narrative, on peut percevoir en filigrane un appel à la construction de soi, avec un aujourd’hui et un passé accordés, comme un plaidoyer pour la vie.
L’écriture poétique de cette pièce aborde des thèmes graves : l’immobilisme, la désespérance, la maladie, mais aussi la nourriture, la fête, le mariage l’espoir. D’un monde social et organique perverti, les protagonistes s’efforcent de faire un monde libre et reconstruit. Il s’agit d’un théâtre du dépassement de soi.
Le poète-dramaturge s’est donné une mission : le théâtre, dans son acception première, part de la vie, représente actions et conflits de la destinée humaine. On peut donc dire que la littérature théâtrale, en se fondant sur les séquences de la vie, essaie de représenter le monde et de le déchiffrer, dans ses avancées et ses stagnations. Cette mission est particulièrement vraie pour le théâtre de N.K qui se fonde sur la vie, qui l’interprète, l’analyse.
La tragédie existentielle est en effet, pour cet écrivain calédonien, l’occasion de s’affirmer comme guide du peuple, d’être la voix des sans voix, l’éveilleur des consciences et le déchiffreur du monde ; ne pourrait-on pas lui appliquer la même définition qu’au théâtre césairien et définir cette pièce comme«le drame des affligés dans le monde » ? On a bien affaire à une pièce à thèse suscitant la réflexion ; c’est aussi vrai du Sentier que La Balançoire. Il s’agit bien d’un théâtre engagé dans le monde mais il n’est pas tragique, mais résistant et résilient. Réfléchissant à l’absurdité de l’existence, ce théâtre ne condamne pas les personnages: ils finissent par trouver du sens dans l’action et dans l’environnement délétère qui les entoure.
C’est pourquoi, reprenant la devise de la ville de Paris, l’on pourrait dire « Fluctuat nec mergitur » de l’ensemble des personnages qui bien que ballotés par les.flots, ne sombrent pas.

Nicole CHARDON-ISCH
7 mai 2017
Membre de l’association Ecrire en Océanie