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Etude par N. Isch de « En cavale »

Etude du roman En Cavale de Jean-Marie CREUGNET

Par Nicole Chardon-Isch

 

Comment la littérature témoigne-t-elle des conditions des bagnards en NC, notamment de la vie d’un fugitif ? Quelles sont les représentations de l’époque sur les évadés ? Quel panorama de la vie nouméenne à la fin du XIXème siècle Jean-Marie CREUGNET nous offre-t-il ?

L’exploration du genre, de la structure et du parcours du héros de JMC nous permettra de répondre à ces questions.

Le Genre

Ce roman calédonien est une double fiction, se déroulant de 1855 à 1902.

Sous le pseudonyme de Bob Cooper, journaliste, JMC ménage la vraisemblance, comme l’ont fait d’autres auteurs (Lettres de mon Moulin, DAUDET, qui commence par l’acte notarié fictif d’achat d’un moulin à Fontvielle).

Sur une base historique le « journaliste » évoque l’existence d’un personnage, Camille Bochet, ancien condamné, libéré, en concession à Boghen, qui l’aurait mis en contact avec un fugitif en cavale, Otto Oppenheimer, né le 6 mai 1855 à Turckeim près de Colmar en Alsace.

Exceptionnellement doué pour le bricolage, la mécanique et les réparations techniques (nids de cigogne, horloge, porte de poêle, lampe, serrures, téléphone…), le protagoniste va pouvoir exercer ses compétences à Nouméa, où il est injustement déporté.

C’est une biographie historique et fictionnelle où l’écrivain retrace la vie d’un personnage, qu’il ait ou non existé, en mettant l’accent sur la singularité d’une existence individuelle et la continuité d’une personnalité ; en effet Otto a de la suite dans les idées et tient viscéralement à son indépendance et à sa terre d’origine. Au passage le contexte historique, économique, politique et social permet d’identifier les différents moments de l’histoire calédonienne, celle du bagne notamment

 

C’est enfin une épopée dans la mesure où le héros, au destin exceptionnel, vit des aventures rythmées par le déplacement, la fuite, le danger et un objectif incompressible, retourner dans son Alsace natale. Il suscite la sympathie et la pitié, comme dans les tragédies grecques.

La structure

  • Point de départ : l’enfance fondatrice ; la prise de conscience de son talent ; le rôle des parents et des éducateurs, des voisins qui bénéficient des services et du savoir-faire d’Otto.
  • Le parcours du héros  est exemplaire et exceptionnel : aussi le récit se caractérise-t-il per son dynamisme, ses déplacements, ses fuites ; le mouvement est permanent et la halte toujours provisoire. Fils conducteurs ils sont les véritables acteurs qui accompagnent Otto dans son périple, faisant de sa vie une véritable odyssée ; de multiples péripéties, des rebondissements, des dangers et agressions, la nécessité de changer de nom vont le lâcher sur les routes, de l’Alsace au sud de la France, de la France en Nouvelle Calédonie. L’évocation d’un retour dans sa région natale en 1902, sur le même bateau qu’à l’aller, donne une structure circulaire au roman.

Ainsi né le 6 mai 1855 Turckheim il va y rester une quinzaine d’années jusqu’à ce qu’un oncle l’adopte (p 15).

On le retrouve à Cornimont près de Gérarmer ; chez l’oncle, il parfait son apprentissage par des études de mécanique.

Puis il est recueilli par le Comte Bernard de St Gilles à Ronchamp.

Enfin hébergé par le curé des Saïx, il est accusé d’avoir dévalisé le château où il travaillait et est condamné au bagne ; transfert de Castres à Bordeaux, puis embarquement pour La Nouvelle.

Causes des départs

Sa vie, mouvementée est faite d’une série de déplacements, volontaires ou forcés ; autant il est épris de liberté, autant il est déplacé, exilé au bagne en NC, obligé de ses cacher et n’aura de cesse de retourner dans son Alsace natale.

Son premier déplacement, contraint, est la prise en charge de son éducation par son oncle, de 15 ans à sa majorité ; il quitte le foyer parental.

Les assauts de Ninette, jeune épouse de son oncle (p 20), l’indisposent ; la gent féminine ne l’attirant pas et pour éviter d’être en porte-à faux avec son oncle il s’enfuit de Cornimont.

Il fuit encore pour éviter l’emprisonnement par les sens, l’amour de Clotilde, fille des gardiens du château de Ronchamp, l’aliénation de sa liberté (p 40).

Après deux ans de sérénité au service du curé de Saïx et de ses habitants, il est injustement arrêté, emprisonné à Castres et condamné au bagne de Calédonie.

Il vogue sur le Nicolas Brémontier, entravé partiellement, durant 73 jours de traversée. Sur le bateau et à Nouméa il jouit d’un statut particulier, ses talents lui procurant une certaine liberté, voire de l’empathie auprès des colons chez qui il est missionné par la Pénitentiaire. Il est surnommé Tako, pour ses conversations avisées sur la mécanique automobile et son admiration pour le savant A. Bolle.

Chez Desmazures il répare le téléphone.

Chez Déméné il redonne vie à la machine à coudre de Madame.

Il est invité à table chez le Commissaire Joan Paul, on le tutoie !

Mais la reprise de la cavale ne tarde pas : sollicité par le Commissaire pour être enquêteur, il entrevoit « la contrainte nouvelle qui exigerait de lui une soumission morale pire que l’engagement ». Fidèle à son honneur et à ses idéaux, Tako décline l’offre et envisage la fuite ! (   p.99)

Aimé et apprécié de tous, Tako mène une vie tranquille à la Pénitentiaire jusqu’en 1895 : il est embauché comme apprenti topographe pour les tracés du train : camp volant des Koghis, à Nondoué à Dumbéa en compagnie de sa chienne Mirza.

Il prend la fuite à l’occasion d’un orage providentiel en janvier 1901 et se cache dans les collines de Katiramona et de Nogouta, passant pour mort aux yeux de la Pénitentiaire.

L’ingénieur mécanicien devient homme des bois jusqu’en octobre, avant de rallier le Mont Mou. Il y rencontre un vieillard, Jacques Théry, ancien jardinier qui l’héberge ; le transfuge prendra une nouvelle identité et des documents de circulation à la mort de son hôte.

La visite à Bourail sur la propriété de son ami Camille Bochet, fin 1902, sera déterminante pour la transmission e sa biographie et son retour :

En effet à Bourail il rencontre Bob Cooper et acquiert des informations sur le départ du voilier Nicolas Brémontier vers l’Europe.

Lecture de l’épilogue supposant le départ de Otto-Roland Mailloti-Tako-Jacques Théry pour la France.

 

Aparté de l’auteur

L’aparté p 80 relance le récit, réaffirme la fiction en orientant l’interview (Bob Cooper interrogeant le faux bagnard) ; en même temps JMC se protège en mentionnant les modalités d’introduction des noms de famille, avec parcimonie et en employant des initiales.

Epilogue : évoque le retour du faux bagnard en France

Lecture d’un ou deux passages

Intérêt de l’œuvre

En ancrant le récit dans un temps et un espace identifiables JMC en précise le genre littéraire, au carrefour de l’épopée et du roman historique.

Il raconte, montre les représentations, dénonce les travers de la société et campe un personnage doué, sensible, devenu malgré lui le jouet d’un système de répression aveugle qui manque le détruire. Mais c’est sans compter sur ses talents, sa chance, son pouvoir de résistance et sa résilience.

JMC nous offre là une oeuvre d’importance, qui interroge l’histoire pour mieux comprendre et construire la société d’aujourd’hui.

 

 

Questions

  • Le long périple d’Otto à travers la France, à pied, peut-il paraître vraisemblable ?
  • Cette fiction historique richement documentée ne pourrait-elle servir de support au cours sur le statut des bagnards, ou donner lieu à une conférence ?
  • Quelle a été ton intention : témoigner, montrer les représentations négatives de l’époque, voir la vie du bagne du dedans, retracer les contours d’une odyssée ?
  • Farouche conservateur en terme de liberté, ton héros n’est-il pas un brin misogyne ?
  • Ce personnage, qui est tout de même considéré comme bagnard, bénéficie de la confiance et de la sympathie des familles de Nouméa. Le trait n’est-il pas forcé, quand on connaît les mentalités de l’époque ?
  • Jean Creugnet, colon de Portes de fer, est-il un personnage inventé ou bien a-t-il eu une existence historique ?
  • Peux-tu préciser le rôle de l’aparté ? Inséré en plein récit, n’interrompt-il pas de manière gênante le cours du récit ?
  • Tako n’est-il pas ton porte-parole, en dénonçant les élucubrations du gouverneur Feillet et son petit train de Païta-Bourail, la dette énorme payée par les colons et les niaoulis, la religion ?

 

 

Païta le 13 décembre 2017

NCI