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Etude « Nouméa Mangrove » par Nicole Isch

ETUDE DUNE ŒUVRE INTEGRALE EN CLASSE DE PREMIERE
Nouméa Mangrove, un roman policier original
INTRODUCTION
Familiarisés dès le collège avec l’étude d’œuvres intégrales, les élèves doivent néanmoins apprendre en seconde et en première à approfondir leur lecture et à maîtriser à travers un travail méthodique des analyses stylistiques plus précises. Nouméa Mangrove de Claudine JACQUES se prête bien à cette approche :
– D’environ 300 pages, il présente un niveau de difficulté dans sa structure à la portée d’un élève de lycée : linéarité de l’action alliée à des anticipations et des retours en arrière, alternance narrative et variété des points de vue, personnages principaux nettement détachés sur un fond historique et social clairement situé. Il constitue une avancée vers des lectures plus ambitieuses que celles du collège.
– Les héros, qu’ils soient de la marge, enquêteurs, ou privilégiés, portent sur le monde un regard qui reflète des questionnements, des sentiments, une recherche identitaire dans lesquels les élèves de première peuvent retrouver ou percevoir l’écho de leurs préoccupations et de leur devenir.
– Une adaptation cinématographique est appelée par le réalisme saisissant des lieux et des portraits qui, éloquents pour un élève du Pacifique, n’en a pas moins une portée universelle.
Depuis une vingtaine d’années, Claudine JACQUES écrivaine et chantre de la terre calédonienne, note avec talent les bonheurs et les drames de la société du Caillou grâce à des romans que nous qualifierons globalement de sociaux ; elle examine pas à pas la force intrinsèque d’une Calédonie mouvante, son aspiration foncière à se positionner dans un siècle qui n’a jamais été une banale importation hexagonale. Nous tâcherons de répondre aux questions suivantes :
Comment l’auteure se positionne-t-elle face à la Ville et à la Brousse ?
Dans quelle mesure les romans de Claudine JACQUES accompagnent-ils le progrès social, s’inscrivent-ils dans une perspective de description et de promotion du peuple cosmopolite de Nouvelle Calédonie ? Enfin comment classer génériquement ce roman à plusieurs voix, entre incursion sociale, préoccupation politico-économico-écologique, structure policière complexe, d’où la sensualité et l’érotisme ne sont jamais absents ?
Sensible à l’observation de la réalité, préoccupée par l’éducation, Claudine Jacques, la Dame de Bouraké, fait du roman social une rhétorique savoureuse et efficace, ancrée dans la modernité, en guise de revanche sur le tragique et la mort. L’univers calédonien, en continuelle expansion, composé d’éléments divers et complexes, échappe à l’entendement. Il n’existe pas d’autre moyen pour comprendre le pays que d’accepter de s’y perdre et d’en rire, de s’ouvrir ainsi à des rencontres inattendues. C’est la méthode adoptée dans Nouméa Mangrove, en un parcours urbain et rural, insolite et décliné à travers une chronique en étoile, qui illumine tour à tour les différents protagonistes. Avec, pour principe de navigation une progression de l’anecdote vers le général, de la périphérie vers le centre, du sous-jacent vers l’officiel, de ce qu’en dit la rue vers une réflexion didactique.
Le parcours pédagogique qui suit va tenter de saisir l’excellence, le dire et l’amour de ce roman résolument policier par une analyse attentive de l’œuvre.

FICHES CONTENU
1 Représentations préalables sur la mangrove
Etude de la couverture et explicitation du titre
2 Galerie des personnages
3 Structure de l’œuvre et résumé par chapitre
4 Genre et marginalité
5 Héros et anti-héros
6 Un bonheur de femme : Emilie
7 Une atmosphère fantastique : le cimetière
8 Portraits d’enquêteurs
9 Topographie : carte, symbolisme des lieux
10 Une société passéiste, nostalgique, dominante
Conclusion

1. Représentations préalables sur la mangrove
Etude de la couverture et explicitation du titre :
Centrale par ses occurrences dans le roman, son symbolisme polyvalent et son étendue géographique, la mangrove, nous dit le dictionnaire, vient étymologiquement de l’anglais mangrove où *mang, comme le français manglier, sont à rattacher à mangue ; mais le suffixe est obscur : peut-être de grove (bocage). La connotation est double ; la mangrove est un espace obscur, inconnu, où l’on s’enlise et se perd ; la mangrove a aussi cette connotation gustative, nourricière, puisque la mangue évoque un fruit délicieux ; elle sert d’abri aux crustacées qui s’y reproduisent, mais aussi d’asile aux déshérités du squat, aux hors-la-loi qui en connaissent les lacis. Elle est glauque et vivante, elle côtoie la vie et la mort. : « La mort conduisait également à l’enfer par le cloaque des mangroves, où la vie s’empêtrait avant de se noyer. » (exergue page 5 et chapitre 11 p.55). La mangrove est dantesque et participe du chaos et de la destruction corporelle et psychique.
Aussi la couverture est-elle en noir et blanc ; l’élément aquatique, dominant, fait la part belle à la partie terrestre gonflée d’eau qui accueille mangles et palétuviers : la nature est belle, bucolique et fraîche mais aussi ambivalente, inquiétante.
Le titre – éponyme puisque l’axe central, quasi protagoniste, est la mangrove – est bâti comme un titre anglais : la mangrove de Nouméa devient Nouméa Mangrove, clin d’œil accrocheur aux films et romans policiers classiques.
Le thème de la mangrove est soutenu dès la première ligne, page 11, par un abondant champ lexical : rivière ; cœur régulier et profond ; pièges de ses eaux obscures ; ses tourbillons funestes ; eau étendue, retenue, contrainte et silencieuse ; retour à elle comme à un ventre ; ténèbres tranquilles ; alanguie, elle semblait l’attendre, dévoilant ses appâts. L’eau dans sa quiétude et ses débordements, apparaît dès la première page, associée à Ruddy, l’un des protagonistes ; prémonitoire, leur attraction mutuelle va se sceller dans une rencontre fatale, où la séduction et la mort vont de concert. Venu chercher du travail à Nouméa, Ruddy y trouvera aussi son destin, toujours associé à l’eau : rivière, squat en bordure de mangrove. La Ville apparaît alors comme une ensorceleuse qui mène l’homme à sa perte à travers ses réseaux aquatiques et bourbeux. Elle préfigure la Mort.
De manière récurrente l’Enfer est cité : ainsi lors de l’épidémie chimique provoquée à Nouméa :
« Le spectacle qui s’offrait à eux alors qu’ils parcouraient les couloirs de l’hôpital Gaston-Bourret était dantesque (page 275). »
Ou au chapitre 44, quand Vinimo souffle dans le didgeridoo pour exorciser sa déception amoureuse, de sombres pensées lui viennent :
« …il se rendit compte qu’il s’était envolé haut, très haut au-dessus du ciel, et tombé si bas qu’il avait vu les rives de l’absence. C’est alors qu’une image de mangrove obscure avait bousculé le rêve, elle s’était accrochée à son esprit avec ses entrelacs de racines, le grouillement de ses eaux sombres et ses bruits inquiétants de succion, tétée malfaisante ou respiration morbide. Et loin d’arriver à l’éden attendu, il se retrouvait dans l’errance, auprès d’un jeune garçon dont le souffle s’éteignait. » (page 258) A la même page, « le visage de Joseph s’apaisa en effet ; Christophe le sauvait des géhennes entrevues. »

2. Galerie des personnages :
Les personnages principaux, Ruddy, Pierrot, Emilie, Emma, Joseph Vinimo, s’éclairent et ne se complètent qu’à la lumière, ou à l’ombre des personnages secondaires qui, selon le point de vue, l’étape de la narration ou l’avancée de l’enquête, deviennent à leur tour protagonistes. La découverte progressive de l’œuvre permettra à l’élève de compléter le tableau par la mention des chapitres où les personnages apparaissent.
Personnages Traits physiques et/ou moraux chapitre
Ruddy Bon garçon ; kanak à la coiffure rasta ; amoureux d’Emilie.
Pages125-126, rappel de son parcours symbolique et assimilation à Orphée, victorieux des Enfers et ramenant son Eurydice. Blessé par Didier Ragot, soigné par Pierrot, assassiné par ordre de Miguel-Wiz qui lui tend un piège.

Miguel-Wiz Ami d’enfance de Ruddy, « métis sans coutume, sans terre, sans loi ; pas d’école, pas de formation ; s’est enrichi dans le trafic de cannabis. Aime le paraître et l’ostentation.
Fier et fanfaron, trafiquant de cannabis, il travaille à la perte de Ruddy car il est amoureux, lui aussi, d’Emilie : « rictus mauvais », page 126
Kivalo Chef du premier squat qui accueille Ruddy ; l’avancée de la route du péage menace le squat.
Mme Wright Mère d’Emilie ; restée longtemps dans le coma.
Désiré Ragot Gardien du cimetière du 5ème km en bordure de mangrove ; jaloux de son espace ; a blessé Ruddy ; est pris d’épouvante en le revoyant car il croit aux revenants et au boucan.
Emilie Wright Belle fille un peu dérangée , épileptique, née sur le tard ; ange gardien de Ruddy, dont elle est amoureuse ; a un faible pour le lait de la marque « Sunshine », d’où son surnom « Miss Sunshine » ; est la protégée de Pierrot. Loge au Faubourg Blanchot et fréquente le squat.
Meurt dans l’incendie de sa maison au Faubourg.
Pierrot Tony Médecin français rayé de l’ordre ; officie dans la rue et dans le squat ; soigne les petites gens ; chef du microcosme du squat, protecteur de Ruddy et d’Emilie. Schizophrène, il est pourtant respecté et entendu.
Jony Vieil alcoolique vivant au squat
Inspecteur Vinimo BKBG, « beau kanak belle gueule », amoureux d’Emmanuelle Cartier ; intègre, résout les meurtres successifs et se retire en brousse, épuisé par les miasmes nouméennes.
Capitaine Christophe Daniel/CD Adjoint de Vinimo, fonctionnaire « zoreille »
Philippe Cartier Canadien du Québec. Ingénieur à Goro ; mari d’Emmanuelle ; terroriste sous des couverts écologiques ; assassiné.
Emma Salvatore devenue Emmanuelle Cartier Infirmière en brousse ; difficultés d’intégration. Fasciné par Samy qui la fait jouir et la détruit moralement. Métamorphosée en Emmanuelle, épouse Cartier à Nouméa et vit dans des sphères de prestige ; reçoit beaucoup et fascine par sa beauté.
Samy Broussard violent et dominateur ; amant d’Emma, qu’il humilie et avilit
Enora Wongso Journaliste indonésienne ; idylle avec Vinimo ; se marie avec l’homme de sa vie, Dr Toubon.
Eugénie Vercors Employée de maison du couple Cartier ; a découvert son patron mort dans la salle de bains.
Raphaël Meryeux Psychiatre ; ami d’Emmanuelle Cartier, au centre d’un groupe caritatif et pseudo- écologique.
Hervé Brizel Broussard tué aux pesticides
Mike Khenos Kanak humble et altruiste qui dirige une association écologique ; milite avec Vinimo.

3. Structure de l’œuvre et résumé par chapitre :
Partie I

chapitre page résumé
Aparté 11 Truganini l’Aborigène de Palawah en Tasmani revendique son identité.
1 15 Un jeune jardinier Kanak arrive à Nouméa à l’embouchure de la mangrove ; il cherche du travail, évoquant le refus de l’illégalité comme le lui proposait son ami d’enfance Miguel ; il est accepté dans un squat.
2 21 Il cultive le champ de Kivalo qui l’a accueilli ; le bruit des travaux pour l’avancée de la route et du péage le chasse vers la ville.
3 25 Jeudi ; Wizz, descendu de Voh, vient faire des livraisons d’alcool et traite des affaires en marge de la légalité : cannabis, cerf en fraude…
4 29 Cimetière du 5ème km, sur lequel le gardien Désiré Ragot règne en maître.Le jeune jardinier entretient machinalement les tombes.
5 33 Désiré Ragot n’apprécie pas les intrusions sur son territoire. Ses morts ne lui répondent plus.
6 37 Le jeune inconnu revient ; D.Ragot le poignarde près de la mangrove, le laissant pour mort.
7 41 Ruddy est secouru par Pierrot, médecin marginal itinérant et Miss Sunshine.
8 45 Chambre d’agriculture : réunion autour du scandale des pesticides.
9 47 Projet Goro Nickel présenté à Goro par l’ingénieur Philippe Cartier. Il assiste au Mont-Dore à un accident de circulation ; la voiture de Wiz est abîmée ; violence de Wizz envers le vieux Man Tanna.
10 51 Au squat Pierrot veille sur Ruddy blessé puis fait du stop pour se rendre Place des Cocotiers.
11 55 Conception fantastique et mystérieuse de la mort par D.Ragot ; la mangrove est la porte de l’Enfer.
12 61 Rage violente de Wiz qui s’en prend dans le cimetière aux sépultures. Sur le parking du cimetière il reconnaît la famille de Sosefina, venue l’enterrer.
Aparté 63 Entrelacement temporel dans la narration : temps présent avec les funérailles de Sosefina, retours en arrière sur le parcours de Sosefina la Wallisienne de Rivière Salée, tombée dans un guet-apens.
13 69 Univers d’Emilie dite Miss Sunshine au Faubourg Blanchot.
14 73 Consultations de Pierrot Tony « médecin empêché par l’administration », place des Cocotiers ; son réseau pharmaceutique.
Aparté 79 Bûcher pour une sorcière en Papouasie Nouvelle-Guinée ; loi du silence.
15 81 Convalescence de Ruddy ; malaise et crise de Pierrot hanté par un souvenir (arme biologique à l’anthrax envoyée par Churchill contre Hitler, en 1941).
16 85 Le microcosme du squat : une cité dans la cité ; amours d’Emilie et de Ruddy.
17 91 Amours d’Emilie et de Ruddy ; fantasme lacté d’Emilie.
18 95 Emilie amoureuse recherche une robe de mariée au Secours catholique, mais elle a un malaise et s’évanouit.
19 99 Deux jours après, Ruddy apprend la vérité sur Emilie, « Miss Sunshine » qui vend ses charmes pour du lait, esprit égaré aux crises fréquentes ; idéaliste et amoureux, il la défend contre tous et part la chercher au cimetière sur les indications de Matelot.
20 103 Ruddy découvre son pouvoir sur D.Ragot effrayé de le voir réapparaître.
21 107 Ruddy apprend l’hospitalisation d’Emilie ; Pierrot comprend leur amour et le conseille : il les soutient et croit en la guérison d’Emilie ; gratitude de Ruddy.
22 111 Mûri par l’amour et sa nouvelle responsabilité, Ruddy comprend le pouvoir de l’argent ; il traite une affaire avec Miguel-Wiz et négocie la sortie d’hôpital d’Emilie.
23 115 Crise de Pierrot, hanté par la psychose de l’empoisonnement ; il se rend chez un confrère, le docteur Raphaël Meryeux, qui le soigne.
24 119 Cité de Tindu, atmosphère d’émeute ; Miguel, affichant sa réussite et ses relations avec les flics, instruit Ruddy et lui donne rdv pour le lendemain ; ils croisent Jony, à moitié ivre. Mise en garde de Jony à Ruddy contre Wiz-Miguel.
25 125 La nuit ; Emilie et Ruddy enlacés au Faubourg ; Miguel klaxonne et vient chercher Ruddy pour une opération commando, en fait un piège ; préfiguration du drame : atmosphère lourde et inquiétante, rictus et mutisme de Miguel. Assassinat de Ruddy : « La rivière le saisit alors pour l’emmener dans ses profondeurs. »
26 131 Gastro-entérite épidémique à Nouméa ; Miguel semble en savoir beaucoup ; vérifie si la mort de Ruddy apparaît dans le journal ; se félicite de son coup de maître ; balbutie devant l’annonce d’une maison incendiée Faubourg Blanchot et pense avec terreur à Miss Sunshine. Serait-elle morte dans l’incendie de sa maison ?
27 133 Désespoir d’Emilie, qui parcourt en folle les couloirs de l’hôpital et les rues ; à bout de souffle, elle est recueillie par un passant anglais.

Partie II
chapitre page résumé
Aparté 137 Récit d’Emma l’infirmière selon un triptype résumant son histoire douloureuse et masochiste : Jouir, adorer, haïr ; relai de la narration : narrateur principal et narration relayée selon les points de vue interne et omniscient.
28 143 L’inspecteur Joseph Vinimo et son adjoint Capitaine Daniel dit CD travaillent à la résolution de meurtres commis à la Baie des Citrons, dont celui de Philippe Cartier, vendredi.
29 147 Janvier ; menace du cyclone Gene ; chaleur intense ; un retraité est tué à la Vallée du Tir, samedi. CD et Vinimo se rendent auprès du cadavre.
30 151 Premiers résultats fournis par le médecin-légiste ; Vinimo se rend à l’Anse Vata chez les Cartier. Première rencontre avec Emmanuelle. Il n’est pas insensible à son charme.
Quelque chose qui fait mal 155 Récit relayé : Emma s’installe en brousse ; premier contact avec une femme battue ; première invitation. Premier échec amoureux.

Partie III
chapitre page résumé
31 173 Jeudi. Dans un hôtel. Suicide aux pesticides d’un agriculteur de Bourail, Hervé Brizel. Enquête de CD et de Vinimo.
32 177 Un jeune des îles est défenestré à Normandie, quartier des tours. L’enquête conduit les enquêteurs dans un squat.
33 183 Nouveau déplacement de Vinimo dans l’appartement chic d’Emmanuelle Cartier ; le gratin mondain de Nouméa s’y trouve. Le fantasme se mêle à l’enquête.
34 187 Vinimo n’a pas osé se déclarer auprès d’Emmanuelle ; il se rattrape avec la jolie journaliste indonésienne Enora Wongo.
35 191 La nuit d’amour avec Enora a été un échec ; elle pointe du doigt dans son journal l’impuissance de la police ; Goro Nickel est autorisé à installer ses tuyaux d’effluents toxiques dans la mer.
Quelque chose qui fait mal 195 Chronique d’Emma ; sa première aventure amoureuse est étalée en public dans la tribu ; lors d’un déplacement professionnel première rencontre avec Samy, qui la comble sexuellement.
36 205 Rassemblement écologique dans le Nord, Emmanuelle Cartier et Joseph Vinimo sont de la partie ; prise de conscience de Vinimo des écarts économiques dans la population et du désastre écologique. Nuit d’amour au Méridien.
37 213 Bilan des enquêtes et des affaires amoureuses par Vinimo et CD ; la conscience écologique de Vinimo est confirmée par une nouvelle à la radio : importance économique de la biodiversité calédonienne.
38 215 CD tente en vain de séduire Enora ; par lui elle obtient le courriel et l’occasion de revoir Vinimo, lors d’une revendication environnementale à Yaté.
Quelque chose qui fait mal 219 Chronique d’Emma, trompée et chosifiée par Samy ; soumise, elle se laisse faire.
39 225 Entente et harmonie entre Mike Khenos qui défend la terre et les intérêts kanak contre le projet Goro Nickel, champion d’émissions de CO2.
40 227 Enora fournit des renseignements qui font avancer l’enquête de Vinimo.
41 233 Toumy le Javanais, cousin d’Enora fournit de précieux renseignements à Vinimo.
Quelque chose qui fait mal 237 Chronique d’Emma, qui enfermée, découvre sa maigreur et réalise son asservissement. Révolte.

Partie IV
chapitre page résumé
42 247 Dans l’appartement des Cartier, Vinimo découvre l’histoire d’Emmanuelle son triptype « Jouïr, Adorer, Haïr » ; surpris par elle, il finit par recueillir la suite : elle va soigner Samy, atteint de leptospirose, à l’hôpital Gaston Bouret.
43 251 Suite de la confession : elle tente d’euthanasier Samy au chlorure de potassium. Autres révélations sur Enora et Philipe. Doutes de Vinimo, troublé.
44 257 Déception de Vinimo envers Emmanuelle, éternelle figure de victime ; fin de leur histoire. Il en informe CD.
45 261 Enora, interrogée par Vinimo, lui apprend l’appartenance de Philippe Cartier à un mouvement radical, extrémiste et terroriste, le Front de Libération de la Terre, FLT.
46 267 CD et Vinimo reconstituent le puzzle des morts mystérieuses dont Emilie est la clé, grâce à son amour du lait et aux tickets de caisse retrouvés chez ses divers amants ; ils interrogent les habitants du squat. Miguel-Wiz est démasqué et reconnu coupable de plusieurs meurtres.
47 273 Terrorisme chimique sur Nouméa atteinte d’épidémie ; spectacle dantesque dans les couloirs de l’hôpital Gaston-Bourret. Les réservoirs de la ville ont été empoisonnés.
48 277 Wiz en larmes se rappelle le film des événements qui ont fait de lui un meurtrier et un empoisonneur ; il est arrêté par Joseph Vinimo.
49 279 Réception du gratin chez Emmanuelle Cartier, qui rend hommage à son défunt mari ; elle écrit une longue à Joseph ; Arrivée de Samy Tyres ; elle l’empoisonne et se suicide.
50 285 Joseph Vinimo reçoit la lettre d’aveu d’Emmanuelle, le manuscrit de sa chronique et des documents sur le terrorisme.
51 287 Au petit matin, devant sa case face à la chaîne, Joseph se décrasse de Nouméa, « ville aux mille bras fourchus » ; retour en arrière : il se rappelle son entretien avec Wiz et veut comprendre ses motivations.
52 291 La fascination de l’argent et du pouvoir, puis la jalousie amoureuse ont fait de Wiz un monstre ; les craintes et rumeurs sont fondées : catastrophe écologique sur le site de Goro. La nouvelle mission de Joseph, redoutable, est de protéger la terre.

4. Genre et marginalité
S’il fallait définir ce roman, j’évoquerais l’opinion de la critique littéraire Marthe Robert dans Roman des origines et origines du roman : le roman est pluriel, il échappe à toute définition, il est le lieu de tous les possibles. Ainsi le roman Nouméa Mangrove, paru en 2010, se situe-t-il en rupture avec les romans colonialistes, identitaires. Pour le définir, je l’appellerai roman social, écologique et policier, qui échappe au totalitarisme de la littérature d’idées, de langue, d’histoire, de pays où des objets sont présentés, plutôt que de l’humain. On ne s’intéresse pas assez à l’individu, à l’homme, rendant ainsi une littérature désincarnée. Or ce que recherche le lecteur, c’est de l’histoire sur les hommes, les rapports de construction pour s’en réjouir, les rapports de déconstruction pour dénoncer et militer.
Dans ce roman, où l’on perçoit une volonté de revenir à l’humanité calédonienne, on peut remarquer ces thématiques croisées, la géographie liée à l’inconscient, l’errance associée à la mangrove nouméenne , la figure du driveur, thème ancien réactualisé, le temps qui passe (marche, errance), les eaux usées (mangrove souterraine), le canal (mémoire, histoire qui englue, long canal de la mémoire) et des références intertextuelles explicites : L’Enfer est partout, dans le cimetière qui ouvre le roman, dans le squat, dans l’amour dominateur, dans l’écologie terroriste. L’influence dantesque est manifeste, et les élèves seront invités à en relever l’inspiration.
Par-delà les carences évidentes d’une société urbaine égoïste, la marginalité pose le problème de la condition humaine, soumise aux lois cruelles d’insertion sociale et de bonheur. C’est contre elles que les habitants du microcosme des squats se révoltent. C’est en désaccord avec un développement économique qui perturbe la nature que se dressent des idéologues écologistes fanatiques, avatars d’un terrorisme menaçant. Perçues comme positives, rationnelles et allant de soi pour les gens d’en face, nantis de Nouméa côté Anse Vata, les lois sociales prennent dans le roman la forme d’un destin déterministe qui soumet hommes et femmes aux dégradations psychiques et physiologiques, préludes à la terrible décomposition des corps et des âmes. Les vieux sont attaqués, les étrangers malmenés, les femmes abusées ; la jalousie taraude les âmes et conduit au meurtre passionnel ; l’amour échoue lamentablement dans le suicide et le renoncement ; les protagonistes doivent renoncer au bonheur à cause de cette loi de la décrépitude et de l’impossible issue heureuse. La métaphore gluante du canal et de la mangrove sont là pour le rappeler, aspiration verdâtre vers les profondeurs. Cette commune condition transcende les sexes et unit les êtres dans la même détresse ; ainsi tous les personnages sont-ils voués, diversement, à la souffrance, héros d’un genre nouveau.

5. Anti-héros et héros
Elevé au rang de démiurge dès l’Antiquité, soit grâce à son essence divine, soit grâce à son éminence intellectuelle, le héros n’est rien d’autre – au sens purement littéraire – que le personnage principal d’une œuvre.
Si donc le sens littéraire ne prend pas en compte les qualités du héros, ce n’est pas le cas de l’acception moderne qui, par le terme de « héros », désigne le surhomme ou la (surfemme) admiré, triomphant de tous les obstacles, charismatique, auquel l’individu moyen essaie de ressembler ou de s’identifier, plus ou moins consciemment.
Ainsi, aujourd’hui, nos héros, imaginaires ou héroïques, sont nos modèles dans la mesure où ils incarnent les valeurs auxquelles nous croyons. Mais, selon les époques et les circonstances, les valeurs et les idéaux incarnés par les héros changent et évoluent… au point que l’anti héros a aussi ses adeptes et devient objet de littérature ! Est-il possible, dans de telles conditions, de définir le héros dans Nouméa Mangrove ?
L’imaginaire collectif associe au héros la beauté, la richesse, la jeunesse et le dynamisme. Cette idée simpliste trouve sans doute son origine dans les portraits stylisés et idéalisés des contes de fées de l’enfance, dans lesquels les princes ne peuvent être que charmants et courageux, intelligents et intrépides, riches et conformistes… Les mythes et les légendes antérieurs ont conservé ces traits, relayés par les symboles coloniaux puis bourgeois de la réussite sociale. Rien de tel dans Nouméa Mangrove.
Si ces traits paraissent caricaturaux par leur naïveté, force est de reconnaître qu’ils étaient donnés en exemple à la société de l’époque, parce qu’ils renvoient aux valeurs et aux qualités prisées par le système féodal, colonial ou bourgeois à savoir : la persévérance, l’endurance, le code de l’honneur, l’esprit de sacrifice, le dévouement total à une cause ou à un roi… qui conduisent à risquer sa vie au nom d’un idéal qui la sublime.
Mais cette abnégation, ce désintéressement qui pousse le héros à risquer sa vie pour les autres au nom de son idéal, n’est plus une qualité suffisante dans la littérature calédonienne contemporaine appelée à chanter le peuple, à célébrer la rue, à interroger le quotidien. Se démarquant résolument de la littérature identitaire ou idéologique, elle interroge le présent.
En effet, il faut aujourd’hui, ce livre en atteste, que le héros soit aussi un être immédiat, accessible, proche de ses congénères, plausible, quotidien, voire issu de la marge, sans quoi il n’est pas crédible. Par exemple, la grandeur morale et la position privilégiée des héros cornéliens en font des personnages beaucoup trop éloignés du commun des mortels ! De même, les héros mythologiques sont présentés d’emblée comme extraordinaires et, de ce fait, impossibles à imiter, et encore moins à égaler ou surpasser. La geste coloniale des pionniers présentant le type du Débrouillard, du Broussard, de l’engagé sous contrat ou du colon libre ayant réussi, conforme au contexte des années 1964, est déjà plus recevable parce que trivialement humain. Il fallait donc une adaptation à notre époque, qui ne soit ni mielleuse, ni bien pensante, ni édulcorée : la vérité toute crue.
Ce dernier concept a été bien compris dans le foisonnement littéraire contemporain, qui s’est transformé après avoir longtemps proposé au spectateur moyen des héros invincibles… Dans Nouméa mangrove, le super-héros c’est Ruddy, c’est Emilie ou Pierrot. C’est un homme ou une femme de la rue, descendu de la brousse pour réussir, contraint par les circonstances à se dépasser, à plonger dans les affres de la marginalité pour survivre ; cloisonné dans un bouge voué à la démolition dans les bas-fonds de Nouméa, il évolue dans un tragique grotesque masqué par les paradis artificiels, il échoue dans chaque tentative de liberté vers le delta de la Rivière Salée, symbole de la fin de la ville, métaphore de l’impossible traversée, face à la mer qui cristallise son désespoir ; la topographie vérifiable érige le roman en documentaire social et présente une collectivité disparate unie dans la plus grande précarité morale et matérielle.
Claudine Jacques fait défiler dans une narration hétérodiégétique la lie sociale et par le truchement de la 3ème personne, propre au récit réaliste, elle nous introduit dans un point de vue inhabituel : nous sommes regardés et jugés par le peuple de la marge : Un narrateur principal, à la 3ème personne, qui adopte tour à tour plusieurs points de vue ; une narratrice intermédiaire, Emma-Emmanuelle, prête à toutes les compromissions ; Emilie dite Miss Sunshine la poupée prostituée triste, en passe d’être délivrée par l’amour. Ruddy son amoureux descendu de la Brousse, trouve en elle un ange gardien et mûrit sous l’effet de l’amour ; le cynique et dangereux Wiz même, agit au nom de la réussite facile et de la jalousie amoureuse ; le médecin « zoreilles » marginal, l’emblématique Pierrot Tony surtout, chef du microcosme qu’est le squat, cité dans la cité. Ses hallucinations préfigurent le terrorisme écologique dont Nouméa est victime et qui menace d’être propagé par le pseudo-écologiste Philippe Cartier. Tous sont des personnages faibles, grevés de handicaps, retenus dans la glaise du canal et le bourbier de la mangrove sur laquelle est bâtie la ville. Mais ils sont mûs par une ambition, un idéal puisé au fond d’eux-mêmes, qui les grandit et les rend attachants. Souvent complexes, dédoublés, ils échouent parfois dans leurs tentatives de se hisser hors du bourbier. Samy le Broussard est-il foncièrement mauvais et destructeur ?
Les bornes de la vraisemblance sont sociologiquement respectées, et si les héros s’en sortent généralement vivants, ce n’est pas sans mal puisqu’ils sont de plus en plus grièvement détruits au rythme des chapitres. De la mort vont naître des rebondissements, le roman tragique va laisser place au roman policier. Après la comédie sociale, voici l’heure de l’enquête et des révélations.

6. Un bonheur de femme : Emilie
Nous proposons aux élèves de creuser ces thématiques liées à la personnalité attachante d’Emilie :
Ce bonheur tient avant tout dans la répétition
Ce bonheur est lié à la sexualité et à la déglutition du lait
Ce bonheur s’inscrit dans des tâches familières et à l’errance
Ce bonheur nouveau s’inscrit dans la nouvelle aspiration à aimer et à protéger Ruddy. Aussi le bonheur porte-t-il l’empreinte du plaisir et de la vitalité ; rayonnante et amoureuse, elle soigne Ruddy blessé, se donne à lui au faubourg Blanchot, va chercher sa robe de mariée au Secours Catholique (chapitre 18).
Un bonheur inscrit dans la prospérité collective : ensoleillant le squat et ceux qui la croisent, elle est reine et Pierrot Tony, chef incontesté du squat, la protège ; elle prodigue de l’amour contre du lait mais sa beauté et son aura la protègent du mépris. Sa beauté et sa fragilité fascinent, sa maladie la met à l’abri des abus ; elle se donne, on ne la prend pas. Figure féminine centrale dans la première partie du roman, tout se déglingue autour d’elle ou à cause d’elle dès lors qu’elle s’attache exclusivement à Ruddy, rompant les rouages huilés du squat : trahison de Miguel qui commandite le meurtre de Ruddy, crises délirantes de Pierrot rattrapé par son passé, incendie de la maison du Faubourg, frustration de Jony, meurtre de Désiré Ragot et d’Hervé Brizel…
7. Une atmosphère fantastique : le cimetière
Les élèves de 1ère sont familiarisés avec le fantastique pour l’avoir étudié en classe de 4ème : l’intrusion de l’étrange fascine bien souvent les adolescents et constitue un facteur de remotivation par la lecture. L’étude des chapitres 4, 5, 6, 11 et 12 de Nouméa Mangrove paraît intéressante à plusieurs titres : ils ont pour cadre un monde « entre-deux », monde réel et imaginaire ; ils ne suivent pas toujours un ordre chronologique, avec insertion de passages descriptifs, délibératifs, de paroles rapportés et de soliloques, d’ellipses narratives, de retours en arrière et d’anticipations ; complexes, ils permettront aux élèves :
– de dégager les critères du récit fantastique
– De repérer et de comprendre les choix d’écriture de l’auteure
– De construire ou de modifier un texte narratif

La démarche proposée
Les élèves liront au préalable ces chapitres qui ont tous lieu au cimetière du 5ème km à Nouméa ; puis ils feront trois autres lectures :
– Le Horla, MAUPASSANT
– La Venus d’Ille, Prosper MERIMEE
Particularités du cimetière L’étude proposée est synthétisée dans le tableau suivant ; le bilan insistera particulièrement sur les singularités du traitement fantastique dans Nouméa Mangrove.

PROGRESSION SEANCES ACTIVITES ELEVES
Préliminaires Lecture des chapitres et des œuvres.
Cadre spatio-temporel Traitement particulier du temps et de l’espace ; atmosphère fantastique (obscurité, mystère, angoisse, isolement, fatigue, exaltation, brume, sépulture, froid…) Tester vos lectures.
Manipuler des indicateurs de temps et de lieux.
Transformer le récit sur Désiré Ragot et Ruddy en fait divers (article de presse).

Structure du récit Progression du récit (à l’oral).
Structure comparée des récits (à l’écrit).
Fonction de la description. Distinguer les temps de la fiction des temps de la narration.
Choisir de substituts (termes proposant une vision subjective, méliorative, péjorative).
Personnages Fonctions des personnages.
Point de vue et focalisation. Lexique et modalités : relever et classer les mots ou expressions marquant la certitude ou l’incertitude de Désiré Ragot.
Changer la perspective narrative : Ruddy observe Désiré Ragot parler aux défunts ; raconter la scène du point de vue du jeune kanak.

bilan Le genre fantastique

8. Portraits d’enquêteurs
Les chapitres 28 et les suivants permettront d’étudier les portraits des deux enquêteurs Joseph Vinimo et Capitaine Daniel, dit CD, dans une première séance. Un groupement de textes intégrant les portraits de Scherlock Holmes (Sherlock Holmes.Une étude en rouge, de Conan DOYLE), de Guillaume de Baskerville (Le Nom de la rose, d’Umberto ECO) et d’Hercule Poirot sera l’occasion de mener une étude comparative de l’ensemble des portraits, dans une seconde séance, tandis qu’un tableau récapitulatif permettra de faire apparaître les différentes activités impliquées (vocabulaire, grammaire de texte, argumentation, ordre narratif, exercice de production écrite en variant le point de vue…) dans les deux dernières séances.
L’enseignant, après avoir sélectionné les différentes oeuvres et extraits, pourra s’inspirer des schémas suivants :
Inspecteur Joseph Vinimo Capitaine Daniel Sherlock Holmes Guillaume de Baskerville Hercule Poirot
Portrait physique Elégant Mélanésien, « BKBG » ; plaît aux femmes Européen adjoint efficace de Vinimo ; petit, sec et sans charme, a du mal à séduire la gent féminine.
Lieu d’exercice Commissariat de Nouméa
Mystère à résoudre, complot, énigme, meurtre ou disparition Un vieux Calédonien de la Vallée du Tir ; un broussard de Bourail ; un jeune Mélanésien de Lifou ; l’ingénieur Philippe Cartier.
Déplacements pour les besoins de l’enquête
Eléments de résolution
Caractère
(atouts et faiblesses) Intelligent, perspicace et charmeur
Eléments de vie personnelle

Les activités possibles
ACTIVITES EXTRAITS OU PERSONNAGES
Synthèse et argumentation : trouver un titre pour chaque paragraphe et le justifier Groupement de textes
Quels éléments font de ces extraitts des textes descriptif s? Groupement de textes
Selon quel point de vue sont faits ces portraits ? Groupement de textes
Production écrite : faites le portrait de l’enquêteur selon le point de vue d’un accusé, d’un témoin… Groupement de textes
Faire le portrait de Vinimo selon le point de vue d’Emma Nouméa Mangrove
Relevez les éléments qui permettent au narrateur de s’inscrire dans l’histoire Sherlock Holmes
Le point de vue narratif : quel est l’intérêt de faire décrire le héros par un personnage qui ne le connaît pas ? Sherlock Holmes
Quels sont les points de rapprochement entre Sherlock Holmes et Guillaume de Baskerville ? Sherlock Holmes et Le Nom de la rose
L’espace social : relevez les caractéristiques du Moyen-Âge et celles du Nouméa d’aujourd’hui Le Nom de la rose et Nouméa Mangrove

9. La topographie : cartes, symbolisme des lieux
On invitera les élèves à recenser les divers espaces de l’œuvre et à en définir le rôle, la fonction symbolique, la pertinence pour l’avancée de l’action ou dans la construction-déconstruction des personnages. L’usage de cartes de Nouméa et de la Nouvelle Calédonie est recommandé.
rivière mangrove squats quartiers brousse d’Emma cimetière commissariat Lieux luxueux

hôpital Secours catholique brousse de Vinimo cabinet du psychiatre Place des Cocotiers Chambre d’agriculture Brousse d’Enora Ville

9. Une société passéiste, nostalgique et dominante
C’est une société fondée sur la richesse et le luxe. La réception dans les appartements somptueux de l’Anse Vata, le défilé des cabriolets et des Porsche, les baise-mains et les révérences dans le salon d’Emmanuelle Cartier, la vue imprenable sur l’îlot Maître et le phare Amédée sont autant d’indices du niveau social des personnages, hôtes ou invités. Le caractère précieux des objets, les bijoux de grand prix, l’espace immense, la délicatesse des petits fours, la présence d’un personnel qui copie ostensiblement ses maîtres viennent conforter cette idée de milieu social privilégié, aux antipodes des quats (chapitres 28, 30, 33, 49).
Dans ce monde snob d’élus, de financiers, de jeunes ou vieux loups aux ambitions électorales, de chirurgiens fortunés, d’artistes en vogue, la corruption n’est pas absente puisque l’on apprend progressivement que la plupart des meurtres sont liés aux personnalités ambigües de Philippe Cartier et du psychiatre Meyrieux, trempés dans l’empoisonnement et dans le terrorisme sanitaire. Point de vergogne, de sens moral et d’esprit civique, un vernis courtois de façade et de sombres desseins à l’échelle internationale. Tenants du commerce et de l’exploitation juteuse du nickel, ils n’hésitent pas à utiliser des prête-noms et à manipuler les personnes. Une société coloniale dominante et bien pensante est dessinée en filigrane, d’où le développement des minorités est exclu.
10. Conclusion

La tentation de la folie va de pair avec l’aspiration au bonheur. Tous les personnages ont une peur de la vie, de ses échecs et sont rongés par des interrogations existentielles les ramenant à l’aujourd’hui et au demain. Les habitants du squat clament la malédiction et l’ostracisme qui pèse sur eux : Pierrot est hanté par la guerre, rongé par la sckizophrénie et frustré d’avoir été bouté de l’ordre des médecins, Jony s’enivre et est pris de remords, Emilie dans ses éclairs de lucidité attend la fin de sa déréliction. Emma a fini par abandonner son habit de victime, après s’être laissé avilir de manière abjecte par Samy. Désiré Ragot s’abîme dans la contemplation et le dialogue avec ses Morts mais il a peur du boucan, croyant Ruddy ressuscité. Joseph Vinimo a l’âme malade de Nouméa et de ses miasmes et de la destruction des sites de Nouvelle Calédonie.
Pourtant peut-on dire que le roman est déterministe, polar noir et défaitiste ? Que de visages heureux, dans la fange de la mangrove ! Quel bonheur, si éphémère soit-il, pour Ruddy et Emilie ! Ruddy vagabond, chassé de squat en cimetière, blessé, puis ragaillardi et mûri par l’Amour ! Quelle grandeur d’âme, que ce Pierrot, médecin des rues qui officie Place des Cocotiers et soulage les maux des oubliés ! Quel rebondissement pour Emma, qui passe d’une chronique des sept misères aux fastes de l’Anse Vata, transmuée en magnifique Emmanuelle, objet de tous les désirs ! Et qui finit par rejeter son rôle de victime ! Quel cheminement identitaire et serein pour Vinimo qui fuyant les Sirènes superficielles, ancre ses pieds dans la brousse nourricière et vivifiante qu’il protège désormais!
Est-ce un roman zolien, où les personnages sont irrémédiablement attirés par l’environnement sordide qui les souille ? Est-ce une tragédie grecque, avec la présence du Chœur et des Apartés, de la Mort et de la Folie ? N’est-ce pas la Vie, tout simplement, avec son doux visage et ses rictus, ses rencontres admirables et ses surprises dont on se passerait ? Si la violence explose et que maint personnage se perd, c’est que la vie n’est pas le long fleuve tranquille que l’on préférerait. Et les personnages, féminins et masculins, sont tentés ou entraînés par l’absence ou la folie lorsqu’un malheur trop pesant s’abat sur eux : ils sont tout simplement humains.
Claudine Jacques a réussi là une synthèse générique, une alchimie de plusieurs genres littéraires où se mêlent le polar, la fresque sociale, la chronique et le journal intime, des emprunts à la structure dramatique, une référence manifeste à La Divine Comédie, le tout brassé avec un art consommé : elle nous offre avec Nouméa Mangrove un roman policier-prétexte à l’examen de l’âme humaine et un chant vibrant pour la préservation de la nature. C’est un manifeste écologique.
Car la structure circulaire du roman n’est-elle pas hautement symbolique et porteuse d’un message cher à l’auteure ? La cité est mortifère, la Brousse régénérante ; l’humain est tel un étranger en ville, il s’y perd ; aussi Ruddy, à l’incipit, descend de la Brousse à Nouméa y trouve la Mort, tandis que dans la clausule, l’inspecteur Vinimo, las d’enquêter sur des cadavres citadins, remonte se reconstruire dans le Nord. Car il sait : l’Enfer, c’est la Ville, les prédateurs règnent sur la Nouvelle Calédonie, Philippe Cartier est un taré, sans projet écologique, de l’acide sulfurique a été déversé à Goro… « Qui protégerait sa terre, l’endroit où il était né, où il vivait avec les siens, qui défendrait le pays coûte que coûte ? (Page 295).
« Joseph s’essuya le front où dégoulinait une sueur froide. Car il savait, tout au fond de lui, que le temps de la terreur était arrivé.
– Nous entrons dans le vestibule de l’enfer, marmonna-t-il. »
Nicole ISCH
29 août 2011