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ETUDE D’UN INCIPIT CHANG DANG, Les Tonkinois de Calédonie… Jean VANMAI

ETUDE D’UN INCIPIT
CHANG DANG, Les Tonkinois de Calédonie au temps colonial
Jean VANMAI, 1980, réédition de 1993

Niveaux : classes de 2nde et de 1ère

Objets d’étude : le roman, l’argumentation, l’autobiographie,
Objectifs : Ce projet d’action éducative entend montrer comment, à l’ère de la francophonie, la littérature calédonienne, servie avec conviction chaleureuse et talent affirmé, est appelée à apporter sa contribution à un humanisme qui soit l’œuvre de tous. Ici le déchiffrage des situations, des événements, des comportements et des sentiments devient possible parce qu’accompagné du défrichage des consciences où croissent pêle-mêle préjugés, fantasmes, illusions, clichés, mythes et obscures nostalgies, mais aussi espoir et fraternité.
Un incipit exemplaire
Le premier chapitre du récit est exemplaire à plusieurs titres ; on y trouve les trois aspects majeurs de toute prose narrative : le temps, les lieux, les personnages ainsi que les procédés de la fiction historique.
1. Le temps
Les indications temporelles sont peu nombreuses certes : « avait traversé l’océan Pacifique », « cette longue traversée », « cet éprouvant voyage de deux semaines » mais le récit, ancré dans l’histoire, permet de dater les événements racontés. De nombreux indices inscrivent les faits dans un passé identifiable, celui de l’immigration des travailleurs Tonkinois en Nouvelle Calédonie et aux Nouvelles Hébrides et notamment celui des derniers contingents, de 1939 à 1964.
Un abondant champ lexical de la colonisation vient conforter les repères historiques :
« La colonne, escortée par des gardiens aux visages durs, portant le casque colonial » ; « l es bâtiments administratifs » ; « la Colonie », « cette terre nouvelle », « quarantaine », « visites médicales et vaccinations obligatoires », « règlement », « chef du service de l’immigration », « interprète », « un son de cloche »….On est dans un contexte d’antan où tout est fait pour encadrer, régenter de manière militaire et donner une place et un statut à du personnel qu’il s’agit de conditionner au plus vite.
Pourquoi ces évocations ? Ce gel de l’histoire, cette convocation de la douleur et de son dépassement, cette immobilisation dans le temps ont leur importance, au regard de l’histoire, du devoir de mémoire, de la refondation d’une identité. La durée pour Jean Vanmai a son importance, une importance épique et fondatrice, repère pour la communauté vietnamienne de la diaspora.

2. Les lieux
On sait l’importance de la géographie pour un romancier qui, telle pour une anamnèse, replonge aux sources du passé pour informer et comprendre. Le souci de l’exactitude et la volonté de faire vivre les personnages dans un cadre, de recréer une atmosphère, caractérisent cet incipit, préfiguration du roman.
Intitulé « L’arrivée », l’incipit raconte la descente des passagers du bateau à quai, à Nouméa, leur installation sommaire dans un hangar à l’île Nou, les prémices d’une amitié indéfectible d’un petit groupe d’immigrés. De la rambarde, où Lan, le premier personnage féminin cité, descend péniblement, le narrateur fait un panoramique sur la ville de Nouméa, adossée à des montagnes arrondies, « blottie contre les flancs des collines » ; du pied de l’échelle Lan monte dans le chaland ; les péniches surchargées emmènent les passagers à terre, les conduisant « vers l’île située en face du port. »
Telle une caméra, les « yeux attentifs » de Ming, premier personnage masculin cité, « explorait le port », dont nous découvrons avec lui l’activité dense et l’animation bigarrée : entrepôts aux ouvertures béantes, charrettes dans un dynamisme d’échange, bâtiments espacés, maisons de bois à vérandas qu’il compare « aux maisons du Far-west américain ». Et toujours son regard revient « au relief tourmenté des montagnes », « se découpant étrangement sur le ciel lumineux». Est-ce une préfiguration de l’enserrement, de l’angoisse et des malheurs à venir, mêlée à une promesse d’amour et d’espoir ?
L’installation rudimentaire se fait dans un hangar surchauffé, au toit de tôles, sur une natte au sol, à charge pour eux d’organiser l’intendance entre le bloc-cuisine et le hangar durant toute la période de quarantaine.
3. Les personnages
a) Les arrivants
C’est un aspect essentiel propre au début d’une fiction narrative : les personnages absents, tels les parents et la famille des immigrés, peuvent être au moins aussi importants que ceux qui sont présents ; leur absence renforce le courage de ces exilés volontaires et indique la souffrance inhérente à tout éloignement d’êtres chers. « L’image de son père, puis de sa mère, apparaissaient soudain et son visage s’assombrit ».
Lan, l’héroïne est évoquée dès la première ligne, son nom est même le premier mot du récit ; c’est une pâle jeune fille, malmenée par le long voyage en mer, la nausée, la privation de nourriture due à la pauvreté, son statut de paysanne, obligée de s’éloigner pour faire vivre sa famille restée au Vietnam. Ses traits sont crispés, elle jette un « regard anxieux » vers la passerelle et elle est prise de vertiges.
Elle trouve une main secourable auprès de Min, un jeune Tonkinois plein de sollicitude, à qui elle trouve « un regard franc » et des « airs distingués » qui détonnent « étrangement dans son costume de paysan ». Clairvoyant, attentif, il respire l’intelligence et ses qualités lui vaudront rapidement d’être meneur de groupe ou stratège capable d’éviter catastrophes et punitions aux siens.
Aux côtés de Lan et de Ming, attirés l’un par l’autre, gravitent Toan, le compagnon de Ming, et un autre couple fiancé, Thang et Lien. Spontanément, la solidarité des étrangers se manifeste et le groupe nouvellement formé décide de rester ensemble devant l’inconnu.
Tous ces immigrés viennent du Tonkin, région agricole du nord du Vietnam et sont « tous uniformément habillés d’un pantalon et d’une veste marron, du nha quê tonkinois ». Ils portent le chapeau cônique typique et reçoivent un bol de l’administration coloniale pour leur ration de nourriture. Dès le départ, on constate une parité d’origine, un nivellement de statut dont certains vont se démarquer progressivement pour un destin qu’ils auront choisi. Portés par l’espoir d’une amélioration financière et sociale, ils sont aussi les gardiens de la foi familiale et d’une espérance de retour heureuse et gratifiante.
b)Les gardiens
Peu d‘éléments sont fournis dans cet incipit mais ils sont suffisamment forts et évocateurs pour indiquer leur état d’esprit : gardiens de l’ordre et de la sécurité, ils sont dans la place et assurés d’une autorité contre ces exilés, certes volontaires, mais qu’il convient de mettre rapidement au pas ; aussi ils ont le visage dur, escortent et encadrent la colonne des nouveaux venus, tiennent un discours sans ambiguïté : le mot règlement revient deux fois, des ordres, des impératifs et obligations sont assénés : vaccinations obligatoires, quarantaine, autosuffisance alimentaire…
Ils préfigurent le bras de l’Administration coloniale et les exactions et vexations à venir pour une population démunie.

Nicole CHARDON ISCH
Décembre 2011