Tout ou rien de Pierre Humbert

Tout ou rien

Rien. Étrange notion, qui n’existe que par son contraire, tout.
Quand il y a tout, il ne manque rien, quand il n’y a rien, tout manque. Il est évident que quand il ne manque presque rien, il y a presque tout. Et réciproquement. Vous voyez ? Non ?
Prenons l’exemple d’un trou. Qu’est-ce qu’un trou ? C’est rien avec quelque chose autour, ce qui revient à dire que ce quelque chose a besoin de rien pour être remarquable.
Vous me direz que si quelque chose n’a besoin de rien, c’est que ce quelque chose à tout. Mais sans ce trou, qui n’est rien, ce quelque chose n’est pas remarquable. Un rien peu donc transformer les choses.
Quelque chose qui n’a besoin de rien, c’est mieux que rien, aurait pu dire le Grand Raymond.
Un rien c’est donc quelque chose, puisqu’il y a quelque chose de moins bien. Sans quoi, ça ne ressemblerait à rien du tout.
Quand quelqu’un vous bouscule un peu, et demande à être excusé, vous répondez « ce n’est rien ! ». Si ce n’est rien, c’est que vous n’avez pas été bousculé, et par conséquent le quidam n’a aucune raison de demander des excuses. C’est tout.
Conclusion, puisqu’il n’a rien fait, ledit quidam est bien mal venu avec ses excuses, et vous êtes en droit de vous dire qu’il est un rien dérangé, ou tout à fait. Mais, si il demande a être excusé, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il vous a bousculé, et si vous dites  » ce n’est rien » , on peut en conclure que vous n’avez rien ressenti du tout. Il n’y a donc pas matière à excuse. C’est tout ou rien!
Un autre exemple: on dit parfois  » il est tombé dans un trou ». Que voilà une bien étrange aventure, car comment peut-on tomber dans rien ( rappelez-vous un trou c’est rien avec quelque chose autour)?.
On dit que dans l’espace, au delà et entre les étoiles, c’est le vide. Le vide, c’est bien connu, ce n’est rien.
C’est alors qu’on s’aperçoit de la Grandeur du créateur, car ce rien n’a rien autour de lui. Rien, ni étoile, ni soleil, ni planète, ni lumière. C’est donc le noir absolu.
Et pourtant des savants, qui savent tout ou presque ( il ne leur manque presque rien ) ont décidé qu’on trouvait, dans ce noir absolu, des trous noirs. En somme un rien noir au milieu d’un rien noir. C’est peut-être pour cela qu’il a fallu longtemps pour les déceler.
Qu’y a-t-il dans ces trous noirs? Pour le savoir, il faut aller au fond des choses, mais aller au fond de rien n’est pas du tout chose aisée.
Il m’arrive, parfois, et à vous aussi, bien entendu, d’avoir un trou de mémoire. C’est quand je veux me souvenir de quelque chose qui m’échappe et tombe dans ce trou.
Mais cela ne veut-il pas dire que ce que je cherchais, et qui est donc forcément quelque chose, est dans ce trou. Il n’y a donc plus de trou de mémoire, puisqu’il y a la chose dont je ne me souviens pas dedans. C’est kafkaïen.
Car le fait pour mon souvenir de tomber dans ce trou de mémoire provoque sa transformation en quelque chose d’indéterminé, qui remplit le trou. Et, du fait que cette chose est indéterminée, je ne sais pas ce que c’est.
C’est sans doute ce qui constitue ce trou de mémoire….