Tags

Related Posts

Share This

POSTI POSTA de Pierre Humbert

Posti posta
Dans tous les pays du monde, il existe un service, public ou privé, chargé d’assurer la liaison et de maintenir le contact entre les divers points de la planète et de perpétuer les échanges épistolaires entre les terriens.
Le fonctionnement de tous ces services entraîne immanquablement des incidents, anicroches, bouffonneries et situation sinon kafkaïenne, tout au moins ubuesques. Je n’en veux pour preuve que l’anecdote que je m’en vais vous conter et qui m’a permis d’adresser il y a quelques mois le courrier suivant aux autorités postales de notre beau territoire :

Monsieur le Directeur des Postes,
Ce matin, je me suis décidé à expédier cette grosse enveloppe qui traînait depuis quelques jours sur mon bureau. Avant de partir, j’ai eu l’idée saugrenue de peser cette lettre, et j’ai appris qu’elle pesait presque deux cent grammes. Un coup d’œil jeté avec curiosité sur l’annuaire si généreusement offert par vos services aux heureux locataires d’une ligne téléphonique m’a appris que cet envoi pesant à peu près 200 grammes me reviendrait ( zone deux, prioritaire aérien ) entre 900 et 1250  de nos francs. 
Après avoir vérifié si mes économies me permettaient cette dépense, je suis parti avec en poche la somme précise de 1250 francs, l’expérience m’ayant appris qu’il est préférable de  » faire l’appoint « . En chemin,  je me suis souvenu avec plaisir que votre administration met à la disposition des usagers des appareils permettant au commun des mortels d’affranchir lui-même  son courrier, ce qui représente pour tout le monde,  agents et usagers, un gain de temps appréciable. J’étais donc content,  puisque grâce à ces appareils savants, j’allais avoir un bon moment de plus à ma disposition pour flâner dans notre belle capitale et en  apprécier tous les charmes.
Après avoir presque facilement trouvé un stationnement pour ma petite auto, je me suis dirigé vers la Poste Centrale, où un nombre déjà considérable de nos concitoyens, tenant chacun à la main son petit ticket  d’accès numéroté,  attendait avec cette si belle patience océanienne.
Avec le petit air supérieur de ceux qui savent, je me dirigeai in petto vers la belle machine jaune qui allait en deux temps trois mouvements envoyer mon courrier sur les berges de la Garonne.
Bien campé sur mes deux vieux pieds, je lus attentivement les prescriptions, posai mon enveloppe sur le plateau y destiné, et avec  une maestria dont je suis encore surpris, je « cliquai » sur les touches ad hoc, et constatai avec plaisir que je ne m’étais pas trop trompé en pesant ma lettre avant mon départ, puisque la géniale machine indiquait 208 grammes, et me préparai à introduire dans la fente adéquate mon billet de mille francs et les quelques pièces faisant « l’appoint ».
C’est seulement alors que je remarquai le sourire en coin d’une charmante jeune femme, qui me regardait opérer, et qui,  toujours en souriant, me dit  » elle ne marche pas « , en me montrant  d’un doigt joliment vernissé  une pancarte placée sur le côté de la machine, et parfaitement invisible quand on la regarde de face, qui indiquait « Machine momentanément hors d’usage. Un autre distributeur est à votre disposition de l’autre côté de la porte d’entrée ».
Après avoir remercié cette jeune personne de son amabilité, je me rendis à l’autre machine, dont, pour m’éviter une autre mésaventure, j’inspectai les diverses faces. Cette précaution me fut salutaire, puisque je trouvai, toujours aussi peu visible de face, la même pancarte.
Il faisait très chaud, et le nombre de clients en attente avait grossi pendant mes tentatives. Je décidai donc de quitter la Poste Centrale, et vaquai à mes occupations de retraité. Mon enveloppe commençait à se froisser un tantinet, ce qui, je suppose, était sa manière de manifester son impatience de voler vers d’autres cieux. Je la posai donc sur le siège du chef de bord, comme on dit à Lifou, et dans un accès de mansuétude, dirigeai vers elle le flot d’air frais de la climatisation, ce dont,  je suis sûr, elle me sut gré.
Quelques heures plus tard, je décidai de rentrer chez moi, et de faire un nouvel essai dans un petit bureau de poste, où j’étais à peu près sûr de pouvoir enfin envoyer ma lettre.
Je me suis donc présenté au bureau de Poste de Pont des Français, où je fus reçu par une charmante guichetière, qui prit ma lettre, la pesa, et me demanda, avec un joli sourire, la modique somme de 900 francs, puisque ma lettre pesait moins de deux cent grammes,  et, après m’avoir souhaité une bonne journée, elle m’offrit ses vœux de bonnes fêtes, ce qui contribua à faire de ce lundi une encore meilleure journée.
Toutefois, un doute me ronge : Par quel miracle une machine électronique (donc de précision, ou supposée telle ) indique pour un objet un  poids de 208 grammes et qu’une postière, jouissant indubitablement de toutes ses capacités physiques, morales et intellectuelles, et utilisant une balance tout aussi électronique, lui trouve un poids de moins de 200 grammes, donc, au minimum, une différence de 9 grammes. Cette différence ne pèse pas lourd, intrinsèquement parlant, mais elle coûte 350 francs à l’usager qui a la « chance  » de pouvoir affranchir lui même son courrier, ce qui représente quand même 38 et des misères de nos francs le gramme, soit peu ou prou 38 000 francs le kilo, ce qui, en nos temps de crise pourrait sembler un peu … conséquent, n’est-il pas ?
Ne croyez-vous pas qu’il y aurait là comme une sorte d’espèce d’anomalie ?
Je vous souhaite une excellente journée et de joyeuses fêtes.
Pierre Humbert