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Parfois, le Verbe s’écrit de Pierre Humbert

Parfois, le Verbe s’écrit
La communication, préoccupation moderne s’il en est, peut se faire de nombreuses manières, dont les plus fréquentes sont indiscutablement l’écrit et la parole. Ils ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients.
Si la parole est spontanée, l’écrit est posé. La parole est parfois plus rapide que la pensée, ce qui peut être gênant, mais elle s’envole, comme disaient les anciens, tandis que l’écrit laisse des traces souvent profondes, facilement ranimées par une simple relecture, ce qui peut être aussi embarrassant que bénéfique.
La parole étant souvent rapportée par l’écrit, et l’écrit signalé par la parole, il s’agit de moyens de communication osmotiques ou symbiotiques, selon le désir et les intentions des communicateurs. Il ne doivent, en aucun cas, être le chemin ou le but d’une rivalité , qui serait nocive à la notion même de communication.
C’est seulement dans les sociétés archaïques, n’ayant pas eu accès aux moyens modernes de communication, ( ou les ayant refusés, pouvant ainsi laisser supposer une certaine sagesse … ), que l’oralité a encore l’importance originelle. Dans ces collectivités, l’histoire, les us et la forme des costumes, l’esprit, pérennisés par la parole sont conservés sans support écrit. Curieusement, elle ne s’envole pas, et reste présente à l’esprit de tous. Chacun se sent responsable de sa transmission. Ce mode d ’expression reste cependant limité à la narration de faits, de croyances, d’habitudes, mais exclut la transmission de techniques sophistiquées.
Bien sûr on rétorquera que la parole originelle a subi bien des altérations, depuis la nuit des temps, en raison de problèmes naturels de mémorisation. Mais on ne peut nier que l’écrit, bien que beaucoup plus récent, a subi lui aussi un phénomène d’érosion, conséquence de lisibilité, de qualité de copie, voire de transcription plus ou moins fidèle. Ces défaillances n’ont toutefois pas les mêmes conséquences, en raison des valeurs données à l’oral et à l’écrit, leur objet, et le nombre de leurs utilisateurs.
A peine de perdre leur âme, les membres des civilisations orales étaient – et pour certains, sont toujours – tenus de garder en tête le souvenir précis de ce qu’ils ont entendu, afin d’être en mesure de le restituer et de le transmettre. Dans les sociétés utilisant la communication écrite, les individus n’y sont pas systématiquement astreints, puisqu’ils ont la possibilité, à tout moment, de revoir ( de relire), donc de retrouver facilement le sens originel de ce qu’ils ont appris
Ce qui ne les empêche pas d’être, eux aussi, tenus de conserver intactes les connaissances reçues, et de les transmettre précisément. Ils ont, en plus, l’avantage d’avoir la possibilité de les améliorer. Ce qui est un mal, si le sens du texte originel est modifié négativement, et un bien si ces transformations en parfont l’objet.
Une des raisons qui ont provoqué la perte progressive du souvenir de la tradition et des enseignements des anciens, est peut-être la quasi disparition de la transmission orale, conduisant à une sorte de négligence, pour ne pas dire au mépris, de la parole, considérée un temps comme désuète, voire obsolète.
Ce n’est pas l’absence de support écrit qui a obligé à garder la parole vivace, car il est bien évident que si les anciens avaient évoqué cette raison, c’est qu’ils auraient connu l’écrit, et auraient donc eu l’alternative du verbe ou de la lettre.
Le geste a été le premier vecteur de la communication. Il a été suivi par la voix, jusqu’à la découverte et la généralisation du dessin, de l’écriture. L’enseignement de ces moyens d’expression s’est fait d’abord oralement, puis par l’écrit. La parole est donc à l’origine de toute communication, et le plus grand respect est dû à ceux qui lui permettent de perdurer.
Tout cela pour en arriver à cette conclusion : quels que soit leur cursus, leurs professeurs et leurs universités , les modernes maîtres à penser – ou ceux qui croient (espèrent ? ) l’être – ne sont et ne seront jamais que des griots en costume trois pièces, ce qui peut être un fameux compliment, ou une grosse injure, selon le personnage considéré.
Chacun d’entre nous ayant, au tréfonds de l’esprit, un Socrate et un Virgile qui sommeillent, le dilemme n’est pas près d’être tranché, ce qui promet encore beaucoup de ces discussions aussi stériles qu’indispensables à notre équilibre.
C’est moi qui vous le dit.