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Médailles de Pierre Humbert

Médailles

Il arrive, aux aléas des rues ou aux détours hasardeux de la vie, que l’on rencontre un homme de foi. C’est relativement courant, bien qu’il soit  » très tendance  » de se targuer d’agnosticisme, de gnose ou de gnosticisme, notions souvent aussi nébuleuses que difficilement prononçables. Et, à la vérité, le sens qui leur est donné l’est plus encore.
Les temps sont ainsi faits, et les modes sont aussi omniprésentes en réflexion qu’en habillement. Une visite d’amitié à mon dictionnaire favori m’a offert une ouverture nouvelle sur cet engouement philosophique. Dans les colonnes de cette incontournable base culturelle, l’agnostique est posé juste avant l’agnus-dei, ce qui, en soi, est déjà une promesse de délices. D’autant que ce mot composé magique, bien qu’à connotation religieuse, transforme, d’un simple tiret, une prière en médaille. Voilà un voisinage aussi prometteur que miraculogène, si j’ose cet à peu près démiurgique !
Cette simple proximité démontrerait, s’il n’était établi, le génie des auteurs dudit dictionnaire. J’affectionne particulièrement ces conjonctures lexicales. Car il me plaît à penser qu’elles ne sont peut-être pas aussi innocentes qu’un lecteur un tantinet superficiel pourrait le croire. Si elles apportent un regard un peu, disons provocateur à ce docte livre, elles pourraient le parer d’une espièglerie réjouissante et de bon aloi, dont j’aimerais pouvoir soupçonner les académiciens. Ces derniers nous offrent là un instant jouissif en permettant à tous les galopins frondeurs et gentiment irrévérencieux un rapprochement entre la médaille et les laborieuses – et parfois juteuses ! – transactions entre les éventuels décernants (1) et les impétrants, aussi virtuels qu’assoiffés de reconnaissance plus ou moins méritée.
Dans cette hypothèse, plus la valeur attribuée à la médaille est importante, plus les tractations sont longues, parfois difficiles, voire sordides.
L’agnostique prétendant l’absolu ( bon ou mauvais ) inaccessible, ne pourra donc être satisfait que dans le cas où la médaille ne serait pas attribuée, qu’elles qu’aient été les négociations, ce qui tendrait à prouver que la spiritualité est, tous comptes faits, une bonne chose.
Nonobstant cette philosophie, il se peut aussi que, subséquemment aux supplications, intrigues et autres bassesses, l’objectif soit enfin atteint. Et, la prière du quémandeur étant satisfaite, l’alpha et l’oméga se rejoignent, l’infâme touche au sublime ! Les mendiants sont aumônés de la médaille tant convoitée. Ce nouvel état, s’il n’améliore en aucune façon la valeur intrinsèque du suppliant, lui permettra d’atteindre son but : l’apogée de la mesquinerie de son ego. Ainsi, par la grâce d’un simple hochet, le décoré passe de la situation de simple mortel à celle de distingué.
Le gnostique, ravi, le verra dès lors sur le chemin de l’accès à la connaissance divine.
Ce qui prouve qu’un agnus-dei, avec ou sans tiret, permet la symbiose, sinon l’osmose, de philosophies pour le moins antagonistes. Et qu’on peut, n ‘en déplaise à Anastasie, faire tout exprimer aux mots, même ( et peut-être surtout ) ce qu’ils ne veulent pas dire.
La remise, et, ensuite, la détention (sans aucune allusion, quoi que..) desdites médailles est souvent suivie d’agapes dont la conséquence pour les foies ( ?) des intéressés ( toujours sans allusion..) est, parfois, génératrice d’agnosie (trouble de la reconnaissance des informations …). Il pourrait donc bien exister, un lien étrange et fragile, mais presque indiscutable entre les crises de foi et les crises de foie…
Cependant, n’allez surtout pas imaginer, cher lecteur, que toutes les décorations sont attribuées suivant des errements aussi coupables qu’irresponsables et malsains. Bien au contraire, dans leur immense majorité, les médailles sont décernées, par des gens honnêtes, selon une procédure parfaitement légale et morale, à des personnes éminemment respectables, dont les mérites sont indiscutés et, surtout, indiscutables.
Cette manière de récompenser n’est pas récente. Elle est même très ancienne. En effet, les divers monarques, empereurs, présidents et autres dictateurs de l’Histoire ont vite découvert qu’en définitive, l’économie réalisée en remettant une médaille ( achetée, cela va de soi, par le récipiendaire) était, de loin, plus rentable que l’attribution d’une …rente.
Car celle-ci, en enrichissant le décoré, pourrait le mener à l’oisiveté, puis à la perversion, voire au vice, ce qui serait éminemment dangereux pour la quiétude des états.
En prouvant qu’ils étaient attentifs à la santé morale de leurs peuples, ils ont ainsi trouvé, à peu de frais, des sujets ou des électeurs bienveillants, gages incontournables de la stabilité de leurs fonctions.
Finalement, c’est ce qui explique pourquoi ils règnent, et pas nous.

Pierre Humbert
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(1) néologisme non encore admis par l’Académie, mais c’est dommage