Tags

Related Posts

Share This

Faut-il dépoussiérer la littérature ?

Faut-il dépoussiérer la littérature ?
Il n’est pas toujours aisé de lire, en nos temps de mutation. Notre belle langue se mue en dialectes, les mots en onomatopées, des littérateurs en jargonniers et l’écriture en assemblage de mots franglo-charabiesque qu’il est très tendance de trouver choc. J’vais à courch’ en jag est nettement plus au goût de nos contemporains que l’hermétique Maisdoùquipudontan de Zazie , bien que Raymond Queneau ne puisse être taxé d’académisme littéraire rigide
Dépoussiérons donc, et lançons-nous dans une modernisation conquérante de ces vieilles langues européennes qui, en tentant de coloniser le monde n’ont réussi qu’à dresser contre elles tous ou presque les locuteurs colonisés. Dire que la méthode employée n’a pas eu l’efficacité souhaitée est considéré par les uns comme un euphémisme, par d’autres comme une incongruité.
Notre époque voit, et c’est une excellente chose, les peuples conquis, ( ou vassalisés, suivant le point de vue ) se débarrasser des jougs souvent oppressifs qui pesaient sur eux, et essayer de se construire une identité. Un simple coup de gomme en forme de décret ne peut suffire à effacer brutalement les modifications survenues dans les modes d’expressions, les comportements des individus, lors des contacts plus ou moins longs, plus ou moins conflictuels, entre deux ou plusieurs civilisations.
On dit que tous les conquérants, de toutes ethnies ou origines, qu’ils vinssent du Maghreb, d’Athènes, de Sparte , de Londres, ou de Paris , de Madrid, de Tombouctou , de Khartoum , d’Oulan Bator ou encore de Beï Jing ont imposé aux conquis (ou asservis ) leurs mœurs, leur us et leurs langues. 
On dit moins qu’ils ont aussi bénéficié d’apports issus de la Culture des colonisés. Qu’on le veuille ou non, c’est un fait établi, et, bon ou mauvais, il faudra bien que nous vivions, tous, avec ce bagage culturel plus ou moins métissé, même s’il est lourd à porter. Pour tous.
L’identité du nouveau citoyen sera inéluctablement composée de son héritage atavique et, bon gré mal gré, des apports de la période coloniale, notamment en ce qui concerne la langue, donc l’écriture et, par suite la littérature. On arrivera ainsi à un pot-pourri (de grâce, évitons l’horrible melting-pot ) culturel riche des différences qu’elle aura su inclure , et digérer.
Le passé, dont la connaissance permet de bien vivre le présent et d’assumer l’avenir, ne peut, en aucune façon être modifié, et il faut bien composer avec lui. Il peut avoir généré des regrets, voire des remords, mais ses leçons sont incontournables. Ce n’est pas en l’occultant, en le niant ou en faisant un improbable Eden qu’on pourra changer un iota à l’avenir qui devra, faute de se perdre, être construit par tous.
Ensemble.
Les descendants de Ravaillac ne sont pas les assassins d’ Henri IV, les Soubirou actuels n’ont pas la sainteté de Bernadette, et il y a un monde entre Vercingétorix et le Général Bigeard.
La connaissance de la Culture de ses Ancêtres, dans le sens noble du terme, est un élément nécessaire et indispensable, rouage essentiel de la construction de l’identité de tout individu.. C’est d’autant plus vrai en Nouvelle Calédonie, où plusieurs dizaines de langues vernaculaires, dont, heureusement, plusieurs sont encore parlées, n’ont entre elles que d’infimes-voire aucun – points communs. Les efforts faits depuis quelques années pour redonner leur place aux langues locales, et leur enseignement de l’Ecole Primaire à l’Université sont significatifs de la volonté de construction d’un destin commun.
Mais la déstructuration du vecteur linguistique véhiculaire actuel ne facilitera en rien, bien au contraire, son aboutissement. En l’occurrence, le français permet à tous d’accéder de la même façon à la connaissance de l’Histoire locale.
Les langues locales permettent d’affiner les particularités.
Un français emphatiquement déclamatoire est ringard, has been, kitsch, gothique, voire raide grave à l’oreille des amateurs de néologismes amphigouriques supposés constituer le mode d’expression oral des nouvelles générations. Il peut n’être que désuet, obsolète ou archaïque pour d’autres. Le parler de tous devrait être perméable à tous et à chacun. Malheureusement, les propos tenus par les jeunes gens des cités banlieusardes sont assimilés à de l’araméen, du tagalog ou du nicobarais par les jeunes gens des villages de province, et par les habitants des mêmes banlieues qui, sans être des gérontes, ont dépassé l’âge de jouer en bandes dans les cages d’escaliers.
Et réciproquement.
Les uns et les autres, tels des sélénites voyant le Capitaine Haddock débarquer sur la Lune, ne se comprendront pas, bien que disant la même chose, dans ce qu’ils croient être la même langue. L’accession de tous à la Culture est loin d’être facilitée par un mode d’expression quasi ésotérique, réservé à quelques initiés.
L’évolution d’une langue est obligatoirement lente, les néologismes devant être connus ( et compris) de tous. Les facultés d’assimilation de l’ensemble d’une population ne sont pas identiques pour chacun des individus qui la composent. Le rôle intangible de la littérature, poussiéreuse ou non , est d’ouvrir l’esprit à l’esthétisme et à la beauté, incontournables éléments d’une vie harmonieuse.
Le dépoussiérage ne doit, en aucun cas, participer du reniement de ses acquis, sous peine de créer un monstre sans ancrage, donc sans avenir.
Le langage courant ne manque, en aucune façon, de sel ni de charme. Il se rapporte aux actes de la vie courante, à ses vicissitudes, ses joies, ses peines, et ses turpitudes. Imagé, il peut évoquer la sainteté comme le stupre, avec peut-être, pour ce dernier, une plus grande variété d’expressions, ce qui peut laisser songeur quant à la relativité des choses…
S’il n’est pas académique, il n’en est pas moins, comme les belles lettres, l’histoire, ou la mécanique des fluides, un élément constitutif du bagage intellectuel commun. Il doit donc être écrit, édité et lu, au même titre que la rhétorique ou la poésie, et, comme elles, concourir à cette merveille si fondamentale mais si galvaudée qu’est la Culture.
Mais pas à leur place.
Privilégier l’un de ses composants au détriment des autres est à la Culture ce que le fascisme est à la démocratie. L’ostracisme, même vengeur, n’est pas facteur de liberté, d’égalité, ni de fraternité …
Souhaitons qu’un jour nous autres, pauvres humains, en prenions conscience.
Et la poussière pourra alors retourner à la poussière.

Pierre Humbert