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Fatigue de Pierre Humbert

Fatigue
En nos temps incertains, nos comportements approximatifs, nos petites bassesses et nos grandes paresses, et, il faut bien le dire, nos peurs de l’autre et notre égoïsme naturel renforcé par les largesses que s’octroient ceux qui disent nous diriger, facilitent, autorisent, voire provoquent l’éclosion de toutes sortes de messages, que nous nous distribuons à longueur de journée sur cet internet qui nous énerve et nous attire tant.
J’ai reçu ce matin, ce qu’on appelle un pps ( je ne sais pas ce que signifie ce sigle, et finalement, je m’en fous moque ) qui semblait émaner d’un arrière-grand-père fatigué.
Ce brave homme ( quand on est vieux, on est, selon le regard de celui qui nous contemple brave, con ou beau et parfois petit mais là, c’est presque affectueux ) ce brave homme se dit, donc, fatigué.
Bon ! D’accord, l’usage du verbe contempler, qui signifie regarder avec attention ou admiration, peut paraître un tantinet prétentieux quand on parle du regard porté sur les vieux, que personne ne regarde. Sauf les vieux.. 
Mais, et je m’en vais vous le montrer sur l’heure, cet usage est ici parfaitement justifié
Car, oui, arrière-grands-mères mes sœurs et arrière-grands-pères mes frères et chers collègues, nous sommes admirables.
Nous sommes nés avant la peut-être dernière démonstration de la bêtise humaine, et nous avons connu ces périodes au cours desquelles le cholestérol et l’obésité, conséquences de nourritures riche et variées ne faisaient pas de ravages chez les gens.

Nous avons appris, non sans douleurs ni taloches, les accords des participes passés des verbes pronominaux, récité La Fontaine et Vigny et essayé de comprendre un ou deux iota aux mathématiques.
Nous avons travaillé des tas d’heures, pour ce qu’on osait nommer des salaires. Nous avons plus ou moins guerroyé sans bien comprendre pourquoi, comme ceux d’avant nous et hélas aussi ceux d’après.
Nous avons traîné nos guêtres ici où là un peu partout sur la planète, et nous avons vu des merveilles et des horreurs.
Nous avons côtoyé des hommes sublimes et d’innommables saligauds.
Nous avons convolé, et c’est bien bon, puisque quelques uns d’entre nous l’ont fait plusieurs fois. Nous avons conçu des enfants, qui eux aussi ont enfanté et nos arrières petits rejetons se préparent à la relève.
Bien sûr, le monde que nous préparons à leur laisser est bien loin d’être parfait et il y a encore des abîmes qu’on nomme pudiquement le fossé social et il y a bien des gens qui ont d’excellentes raisons de se plaindre.
Mais il y a aussi – et surtout – des femmes et des hommes qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour résister aux oppressions, pour épauler un peu leur voisin ou l’étranger de passage, qui partagent un peu de leur temps et, plus que se contenter de prier et d’espérer, agissent pour que les temps soient moins durs.
J’ai plus de 75 ans, je suis arrière-grand-père, j’ai des douleurs un peu partout, mais je refuse de me dire fatigué, car je sais que baisser les bras, c’est accepter d’être vaincu.
Et, comme mon Père, je suis trop fier – et trop vieux- pour ça .

Pierre Humbert