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Eni a puje la itre pu. (J’ai fait des rêves) de Pierre Humbert

Eni a puje la itre pu.
(J’ai fait des rêves)

Il faisait beau, le ciel, lavé par une légère averse du matin, avait revêtu son costume bleu a petits boutons blancs, qu’un vent léger agitait mollement, annonçant une belle journée d’été. Nous étions mardi matin, le 15 juillet, et les rues, habituellement vides à cette heure matinale, étaient parcourues en tous sens par des groupes bigarrés et bavards qui chantaient, riaient, se congratulant les uns les autres au passage.
Hier, les gardes-françaises et le peuple de Paris, galvanisés par Camille Desmoulins agitant sa feuille verte comme un drapeau, ont pris la Bastille. Heureux, le peuple se félicite de la chute de cette forteresse, symbole du pouvoir oppresseur de la Monarchie.
Dès aujourd’hui commence une ère de paix , d’égalité et d’amour fraternel. Maintenant, il n’y aura plus de misère, tous les hommes seront frères, il n’y aura plus d’impôt injuste, plus de répressions brutales, plus d’emprisonnement arbitraires, les lois seront justes et tous seront égaux devant elles, chacun recevra un salaire pour son travail, tous auront un toit .
Les colombes de la paix volettent sur Paris, barons, bourgeois et ouvriers, unis dans un grand élan, chantent et dansent en chœur , amicalement enlacés dans les rues . Les richesses seront équitablement réparties entre tous les citoyens, chaque enfant aura un avenir serein et sera assuré d’être aidé par tous pour le plus grand bien de tous. Le roi ne sera plus le maître, mais l’ami de chacun, il n’y aura plus de sujets, mais des hommes et des femmes responsables qui assumeront, ensemble, l’harmonie, la justice et la paix dans tout le pays.
Et je voyais les grandes idées s’envoler de Paris, et parcourir le Monde en semant partout la paix la liberté, l’égalité et la fraternité. Tous les peuples de la Terre se rencontraient et toutes leurs couleurs se mêlaient pour donner au monde un étendard unique, celui de l’Humanité
Et je traversais les années et les siècles, joyeusement escorté par les odes et symphonies des musiciens chantant la paix, quand, brusquement, je fus arraché à mon rêve par des bruits de charrettes roulant sur les pavés, l’horrible chuintement de la sinistre guillotine, des sifflements de bombes jetées par des bombardiers en piqué sur les foules terrorisées, des gémissements de prisonniers torturés, et par des pleurs de mères et d’enfants.
Pendant quelques instants, je fus incapable de penser, les images de ce rêve se mêlant dans mes yeux effarés, puis, petit à petit, insensiblement, comme en cachette, l’espoir m’est revenu, et j’ai réalisé qu’il n’était pas possible que tant de sacrifices, tant de travail, tant de douleur soient inutiles, et qu’il faudrait bien qu’un jour l’idéal de ceux de la Bastille devienne réalité.
Ces rêves me hantent, et, si ma confiance en l’Homme reste inébranlable, je sais aussi qu’il ne faut pas laisser les ferments de la haine proliférer.
Vaste programme…

Pierre Humbert