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Au détour de la baie nord de Pierre Humbert

Au détour de la Baie Nord

Cernées, embrassées, étouffées par les racines serpentines d’ arbres vindicatifs, quelques pauvres ruines têtues tentent de perpétuer le souvenir de ces misérables moins qu’humains qui ont désespérément taillé leurs pierres en des temps de misères, leurs chapeaux de paille rougis par la poussière, cachant de leur ombre complice leurs regards sans âme.
Leurs mains ensanglantées, si calleuses qu’elles avaient oublié la douceur de la peau des amantes d’antan, tentaient, de leur revers sale, d’empêcher la sueur de noyer leurs yeux las .
Ils étaient criminels peut-être, mais ils étaient quand même des hommes, tout comme ceux qui les gardaient avec indifférence, le fusil à l’épaule, l’œil aux aguets ou, parfois, passait un regard de triste commisération, de compassion même
Quelques ouvertures aveugles parsemant d’interrogations muettes quelques murs noirs, sans but, noyés, incongrus, dans la végétation joyeuse, laissent apercevoir, au détour de petites pièces aux usages mal définis, sous des crépis en lambeaux, des pans de pierres sombres impeccablement taillées, parfaitement ajustées, solides, définitives, presque éternelles. Elles prouvent, incongrues, avec quelles qualités professionnelles ces hommes sans nom ont travaillé, ces hommes dont les sociétés vengeresses ont fait des rebuts d’humanité.
A quoi pensaient-ils, en taillant ces roches ?
Regrettaient-ils les motifs de leur punition ?
Rêvaient-ils à ceux qu’on les avait obligés à quitter ?
Aspiraient-ils à une hypothétique rédemption?
Soupiraient-ils de la Liberté, cette folle et merveilleuse utopie dont ils avaient même oublié le visage ?
Ou voulaient-ils simplement finir leur tâche, pour obtenir un peu de pain et de repos ?
Ils sont morts sans avoir vécu, misérables, et furent discrètement enterrés au fond de la forêt, sans rien pour rappeler qu’ils ont été. Seuls les murs noirs, témoins oubliés de leurs misères, se dressent encore, sombres et mourants.

Il n’y a personne ici pour les pleurer, ni même se souvenir d’eux, sauf, peut-être, quelque passant pas très fier, mal à l’aise, à qui un inconfortable sentiment, mélange douloureux de culpabilité rétrospective, d’interrogations, d’impuissance et presque de remords, demande :
 » Justice a-t-elle été rendue ? «