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« Nouméa Mangrove » de Claudine Jacques

L’été meurtrier

En droite ligne du Silo 2009, la rentrée littéraire nous délivre le dernier roman de Erreur ! Contact non défini. « Nouméa Mangrove » aux éditions Episodes. La romancière y trousse une histoire policière en eaux troubles avec des personnages familiers. Fatalité grecque et tout à l’ego pour cet enfer qui vaut l’endroit. Eaux rusées…

Avec sa taille de police aérée multipliant les pages, donnant du volume, et sa couverture souple style « pocket », la dernière parution de Claudine Jacques se remarquait sur les étals du SILO 2009 à Poindimié. Une envie de toucher, de feuilleter nous prenait en regardant la photographie du paysage familier sur lequel se détachait un titre sibyllin. On connaissait la nouvelliste avec plusieurs recueils aboutis, la romancière avec quelques histoires réussies visitant respectivement le mythe, l’anticipation ou l’amour impossible, mais elle ne s’était jamais aventurée sur le terrain du polar urbain. C’est donc chose fait avec ce « Nouméa mangrove » qui étonnera plus d’un lecteur par sa construction habile, par son ancrage et encrage sur l’actualité la plus brûlante ainsi que par sa terrible noirceur, marque indélébile de fabrique du genre. Depuis les polars sombres de Pascal Gonthier dont l’action musclée et l’atmosphère épaisse se déroulaient également à Nouméa, nous n’avions pas eu l’occasion de patauger dans un cloaque aussi fascinant. Car, ici, la mangrove, symbole de diversité biologique régénérant et indispensable, se mue en un Styx marécageux et fatalement infernal d’autant plus qu’elle jouxte le grand cimetière du cinquième kilomètre.

Al Dante
Au sein de cet été meurtrier, avec pas moins de quatre assassinats sordides, se croisent de multiples personnages : Rudy, jeune Kanak timide et idéaliste voulant rallier la grande ville du sud – Pierrot, médecin schizophrène radié du conseil de l’ordre et altruiste pour les déshérités des squats – Wiz, jeune Kanak noyé dans la rancœur et l’argent facile – Emilie « jolie » jeune femme aux fusibles brûlés qui recherche la pureté dans la blancheur du lait en poudre – Joseph Vinimo, inspecteur séduisant, hésitant entre deux cultures et deux modes de vie. Voici pour les principaux car les silhouettes bien dessinées foisonnent à l’instar de la vie grouillante dans la mangrove du titre. Comme dans tout bon roman noir, il faut aussi chercher la femme, les femmes plutôt… Toutes porteuses de mort pour les autres indirectement comme pour elles-mêmes. À peine le temps de nous attacher à ces personnages féminins forts que l’auteure nous les enlève avec une habileté diabolique. Irriguée par les eaux rusées du dédale de palétuviers, la mort se passe de témoin en témoin. Le couple des deux flics atypiques remonte le fil de l’intrigue en approchant successivement ces bornes macabres. L’enquête est également l’occasion de parler de racisme subtil, d’écologie pragmatique, de terrorisme plus qu’inquiétant, du mal-être d’une certaine jeunesse sans manichéisme, de phénomènes sociétaux que notre regard affronte tous les jours. Dans cette fiction « al Dante », tout est vrai et tout est faux, des paysages quotidiens et des anagrammes savoureux le prouvant.
Divisé en quatre parties débutant sur un vers de Dante (Chants II et III du Vestibule de l’Enfer), le roman alterne les styles. On est en terrain balisé avec les flics sur le terrain et dans une écriture qui envoûte lorsque l’on est dans la tête des personnages. Les quelques apartés brillants retraçant des portraits de femmes intemporelles – Truganini l’Aborigène, Sosefina la Wallisienne – nous plongent dans la souffrance immémoriale liée au sexe féminin. Martyr, c’est pourrir un peu… physiquement et moralement. Enclave mystérieuse à l’intérieur du roman, le journal d’Emma nous livre assurément les plus belles pages du roman. La description du processus inexorable d’un esclavage sexuel – chair qui brûle, corps fiévreux, « dengue » d’amour – vous prendra littéralement aux tripes. Pour la suite, toute aussi passionnante, et le dénouement, qui fait froid dans le dos, il faudra vous rendre chez votre libraire attitré.

Rolross
Décembre 2009