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« Lire en Polynésie » 2010 sous le signe du polar

Polarnésie

Du 14 au 17 octobre à Papeete, la dixième édition du salon du livre tahitien « Lire en Polynésie » était placée sous le signe du polar. Un succès pérenne grâce aux institutions impliquées et au travail conjoint de l’association des éditeurs de Tahiti et des îles et de la Maison de la culture. Enquête…

Dès l’inauguration par les élus, dont le président Gaston Tong Sang accompagné du haut-commissaire, l’accent était mis sur le défi consistant à donner, voire redonner, le goût de la lecture à une jeunesse pétrie d’oralité et abreuvé jusqu’à la surdose par le monde de l’image. Fortement impliqué dans cette problématique, l’écrivain néo-zélandais Alan Duff, déjà présent pour la première édition, était l’invité d’honneur de ce dixième anniversaire. Depuis des années, l’auteur internationalement connu de « L’âme des guerriers » s’investit pour donner l’envie de lectures à la jeunesse en difficulté à travers son programme de littérature « Books in home », impliquant des centaines de milliers d’enfants néo-zélandais, mais aussi des enfants aborigènes d’Australie et d’autres également défavorisés aux Etats-Unis. Ce concept pour faire entrer des livres dans des maisons qui en étaient dépourvues est en constante progression et il espère bien en faire bénéficier Tahiti. Tenir un objet livre dans sa main, sentir son poids de connaissance sont des attitudes irremplaçables. Et l’on s’aperçoit rapidement que ce salon est un espace accaparé par les enfants dont les bouilles métissées réjouies babillent lors des deux premiers jours précédant le week-end. Pas moins de soixante-dix classes de la maternelle au collège en quarante-huit heures.

Des dames parfumées de noir
Christian Robert, directeur des éditions « Au vent des îles », officie efficacement avec une décontraction océanienne sous l’ombre tutélaire de l’immense banian trônant au milieu du centre culturel. C’est au pied de ce cœur végétal que se tiennent les conférences, que les invités interviennent et que les enfants écoutent des contes ou s’esclaffent lorsque l’écrivain Jean-Hughes Opel leur dresse un panorama humoristique du livre policier pour la jeunesse. Autour de cette esplanade conviviale, les stands des éditeurs et des diffuseurs proposent aussi bien des livres liés à la thématique du salon que des œuvres d’auteurs locaux ou de la littérature en tahitien dans le texte. La Nouvelle-Calédonie avec Bookin (et l’indispensable Cathie Manné) est évidemment présente avec un achalandage conséquent d’écrits calédoniens. Ajoutez à cela une déco avec de vieilles couvertures suggestives de la collection « Fleuve noir », une exposition de photographies réalisées par un classe de sixième en partenariat avec l’association Mata iti 2010, mais aussi la faconde de la conteuse Coco dont la voix légendaire tonitrue et vous aurez une vision (hélas trop réductrice) de l’ambiance du salon. Complices, le soleil et une température agréable sont de la partie ainsi qu’une brise légère aidant à tourner les pages. L’accueil des invités, dont votre serviteur, est un modèle du genre, le poisson cru est servi à profusion, les colliers fleuris de bienvenus sont touffus et le sourire tahitien, allié au tutoiement de rigueur, illumine tous les visages. Ajouter à cela quelques ondulations chorégraphiques de vahinés au soir du premier jour et vous comprendrez aisément pourquoi ce salon est autant prisé par les auteurs. Honneur aux dames parfumées de noir avec la jeune Ingrid Astier qui nous plonge dans une Seine de crimes avec son premier roman « Quai des enfers » où les cadavres flottent à la surface du célèbre fleuve parisien et où les dessous aquatiques sont pour le moins troubles. L’ex-commissaire Danielle Théry a été, elle aussi, immergée dans le bain des vraies enquêtes (brigades des mineurs, des stupéfiants ou du proxénétisme) avant de jeter l’encre dans la littérature policière. Avec une dizaine de romans à la clé (de l’énigme), elle ne désespère pas de passer à la série blanche en faisant disparaître son héroïne d’un trait de plume. Claudine Jacques, ayant déjà publié trois ouvrages au « Vent des îles », avait Eole en poupe avec la parution récente de son « Nouméa mangrove » dans la maison tahitienne. Cette passionnée d’écriture est aussi une ambassadrice littéraire infatigable de notre caillou qui a fait naître de nombreux bébés – le festival BD à Boulouparis, l’association « Ecrire en Océanie », le magazine littéraire « Episodes ». Ayant vécu presque deux décennies en Australie, la traductrice Mireille Vignol fait partie des rencontres qui marquent un salon. Sa connaissance des médias (où elle a sévi un temps) et du monde océanien (anglophone et francophone), alliée à une bonne humeur constante, en fait une invitée que l’on souhaite ardemment voir dans un prochain SILO à Poindimié.

Détectives en herbe
Outre Alan Duff, déjà cité, l’écrivain Aborigène Philip McLaren est un homme très attachant qui sait si bien parler de cette Australie délaissée de l’outback où son peuple vit en marge. Traitant de ce sujet hélas toujours d’actualité, son roman Utopia, édité d’abord en français aux éditions Traversées, est désormais aussi disponible en langue anglaise. Jean-Hugues Opel, l’homme en noir dont le cynisme verbal est si réjouissant, a fait profiter les enfants (les adultes aussi) de son humour, de sa science du polar, du film noir (il a été cadreur dans le septième art) et de sa passion à raconter des histoires où cohabitent dans le désordre chats, femmes rousses et serial killers. Sans oublier Marc de Gouvenain, traducteur comblé par le succès sidéral de « Millenium », qui est un précieux animateur de conférences : les villes ont-elles l’apanage de la noirceur du polar au détriment des îles paradisiaques ? – le noir reflète-t-il les malaises d’une société ? – le livre noir passe-t-il aisément sur l’écran blanc ? – la traduction des romans noirs en fait voir de toutes les couleurs aux professionnels lors de ce délicat passage des mots – le polar ethnologique est un guide fictionnel pour découvrir une culture. Toujours actif, le groupe Litterama’ohi (Flora Devatine et Chantal Spitz, bien connues chez nous) jouit toujours d’une tribune conséquente pour défendre langue, identité et autochtonie. En coulisses du salon, d’autres animations ont conquis le public et la principale passait par le meilleur moyen de connaître une ville. Celui-ci consiste à arpenter ses quartiers, bien sûr, grâce au jeu/enquête en partenariat avec la Mairie de Papeete visant à découvrir les dessous d’une mystérieuse disparition. Calepin retrouvé à compléter, indices jeu de piste à dénicher, extraits de polars à décrypter, des lieux à visiter, des indics à écouter, tout cela a fait le bonheur d’une foule de détectives en herbe, justement récompensés par des lots pour ceux ayant dénoué les fils de cette machination littéraire. Evidemment, lorsque l’on évoque le polar, le cinéma pointe le bout de son objectif. Cet art a occupé quelques belles soirées et matinées avec la projection, entre autres, de « L’âme des guerriers » de Lee Tamahori et aussi des trois numéros la série « Millenium ». Mais la cerise sur le plateau est venue de la réalisation sur place d’un court « métrhommage » par des étudiants de l’Isepp – COM 2. Réalisé en deux jours avec l’aide de Jacques Navarro (un nom prédestiné) et de Marie-Hélène Villierme, ce quinze minutes, parodiant avec une maîtrise jubilatoire le Philip Marlowe du « Faucon Maltais », a été un grand moment auquel quelques auteurs du salon ont prêté leurs « gueules de l’emploi ». Une réussite en noir et blanc sur laquelle, en attendant la prochaine édition, nous afficherons The End.

Rolross