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« L’ami posthume » d’Agnès Louison

La place du mort

Publié aux éditions de L’Harmattan dans la collection Lettres du Pacifique, « L’ami posthume » d’Agnès Louison est un livre singulier comme son sous-titre l’indique. Tout d’abord parce qu’il pratique la règle du Je et, aussi, parce qu’il donne à écouter une musique particulière. Remplacement…

Sous-titré « Voyage singulier dans la brousse calédonienne », ce court roman, puisant assurément dans le vécu de l’auteure, commence par un fait-divers, un mortel accident de la route. Un professeur de philosophie, affecté à Poindimié, s’est noyé bêtement dans sa voiture après une sortie de route. Dans le journal, cela se résume à deux lignes nécrologiques sibyllines comme butoir à toute une vie. La narratrice, n’enseignant que le français, doit le remplacer au pied levé. Pour la « métrox » (maître-auxiliaire métropolitaine), récemment arrivée, ce dernier trimestre de travail est presque inespéré, mais rapidement elle va déchanter et se noyer, elle aussi, dans cette matière qu’elle n’a jamais enseignée. La découverte de ce petit bout de côte Est va se transformer en voyage initiatique sur lequel plane la personnalité du défunt. La courte nécrologie va s’étoffer de ses pensées à défaut de sa chair. En côtoyant les lieux qu’il a hantés (pourrait-on dire), en débusquant ses lectures, ses notes dans son cartable, quelques témoignages oraux, la narratrice recevra une aide et un réconfort posthumes.

La brousse en philo
Elle s’en fera même un ami qu’elle aurait aimé avoir connu de son vivant. Le célèbre instituteur de Paul Guth, perdu dans la campagne française, était un « Naïf aux quarante enfants ». De même, au départ, la remplaçante de l’irremplaçable croit naïvement que son travail, son bagage culturel éclectique et sa conscience professionnelle suffiront à atteindre la fin de l’année scolaire. Alternant de petites joies et de grosses déceptions, faisant des allers-retours Poindimié/Nouméa, l’auteure donne une vision d’une « brousse en philo », non dénuée de pertinence. A l’aide de quelques clichés, elle manie l’auto-dérision, et sait décrire en peu de mots le bric-à-brac d’un magasin chinois, les odeurs addictives d’un mode de vie spartiate, la luminosité d’un îlot ou la gentillesse au détour d’une phrase autochtone. L’enquête involontaire sur le mort révèle en finesse son portrait en creux, les rapports inter-profs font sourire souvent, la description de son quotidien de « parachutée » sonne juste et les digressions (cinéma, chansons, souvenirs littéraires) sont intéressantes. Certes, il y a peut-être un peu trop de citations, même si elles sont adéquates, quelques pages un tantinet ardues virant à la dissertation. Le style est agréable et ce petit livre, se lisant d’une traite, pourrait s’avérer précieux pour de nouveaux arrivants. L’ouvrage aura, également, le mérite d’exciter la curiosité du lecteur pour d’autres horizons. À decouvrir entre les lignes !

Rolross