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« Des poings chauffés à blanc » de James Noël

Des poings sur les îles

Quatrième recueil publié aux toutes nouvelles Éditions Bruno Doucey, « Des poings chauffés à blanc » de James Noël illustre parfaitement la vision que le poète, au corps éponge, projette sur le monde à l’aide de mots où prédomine la rage de vivre. Suspendus à ses poings…

James Noël allie une superbe voix grave à la douceur des îles. Une nonchalance trompeuse que ses écrits démentent. Le libertinage pointe sous la virulence des propos ou, peut-être, le contraire. Lors de son quotidien où alternent parties de basket-ball, petits punchs entre amis et balades/rencontres dans son île, tout son corps s’imprègne, se repaît d’impressions, de sentiments. Puis, un jour devant une feuille blanche, sa main saisit automatiquement le stylo et les mots affluent, se déversent, inscrivent leur marque indélébile pour nous donner à lire et à écouter la voix parallèle du poète. Accompagnée de sa mélodie particulière, cette voix prémonitoire change définitivement notre angle de vue et nous transperce de sa justesse. Nous ne résistons pas au plaisir de citer James Noël dans « La poésie de ma soucoupe volante », dernier texte en prose du recueil : « La terre, ça tourne mal. D’où l’urgence d’une poésie qui s’adresse aux frères humains, les appelant à être conscients et solidaires face aux dangers de mort, de faim, et autres cancers programmés qui nous menacent. La poésie, non pas celle qui fait sourire en coin, dans les salons, mais bien sûr celle qui secoue, celle qui provoque des séismes chez l’être, cette poésie-là peut améliorer la vie ».

Le vers en fusion
La « Notice » avertit les futurs lecteurs : « son encre est crue, en rut », son « verbe être intransigeant ». Car le poète peut tout dire dans ses lignes tendues : « pisser et faire l’amour », partant du principe que « ce n’est pas avec des gants roses qu’on assassine la mort et ses suppôts ». Sous sa plume, une image surgit de quelques mots, aiguisés comme les rasoirs découpant les corps martyrisés ou soyeux comme l’arrondi d’un sein de femme qui rend la paume plus douce. Chaque poème exhale sa musicalité propre pour exprimer le cri de la douleur mêlé à celui de la révolte ou distille la ritournelle d’une ronde enfantine vue dans « Le rétroviseur du passé ». Souvent dans son écriture, son index est de feu, de ce feu qui se transmet à ses poings et chauffe le vers à son point de fusion. Son île a tant souffert que le séisme tellurique était déjà en gestation dans ses écrits. Une inspiration prémonitoire pour décrire les maux universels qu’ils soient dus aux pouvoirs de la domination ou aux tourments de l’amour. « La monnaie courante des dictatures » imprègne la mort de Néda, l’étudiante iranienne, et de tous les enfants ensevelis, comme elle, sous les gravats de l’arbitraire et de l’injustice. Sans oublier l’amour, celui qui ébouriffe « les algues d’une chevelure », fait naître le dessin de hanches ondines et provoque les « feux de joie » inextinguibles « sous les jupes volantes » et… volages. « Tous les fruits qui démangent étant à croquer », il « déverrouille les cœurs » (côté rive gauche) « à contre courant » du consensuel sur un petit bateau de papier fait à l’aide de ses cahiers d’écolier. Des bateaux et des avions carburant aux rêves pour franchir la mer, léger comme une plume d’ange, sans s’affranchir encore de la sanction d’une autre mère. Atteindre aussi une île lointaine comme Rimbaud dont il aime s’approcher sur le bateau ivre de leurs maux. Car dans son hommage à Arthur, James Noël « a fait le point (le poing ?) pour finir et achever le corps du poème ».

Rolross