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« Crois-le ! » de Patrice Guirao

Faux sanglants

L’éditeur tahitien « Au vent des îles » publie « Crois-le ! » de Patrice Guirao dans sa collection Noir Pacifique. Le premier tome d’une trilogie qui prend son temps avec pour personnage principal un détective plutôt… pacifique. Rivages pas si noirs…

Le bandeau publicitaire cerclant la couverture annonce le premier polar de Patrice Guirao, auteur de livrets de comédies musicales à la française et à succès. L’auteur est aussi connu dans ce milieu pour être un des paroliers d’Art Mengo (son beau-frère), d’Obispo, d’Hallyday ou de Florent Pagny. De fait, on se doute que l’homme sait manier la plume, être concis et évocateur car écrire des paroles de chansons, voire de chansonnettes, est un exercice difficile. Avant d’ouvrir le livre plutôt épais, on espère qu’il a mis dans son histoire de la nervosité, de la formule qui tue et du rythme comme dans ses textes. Après lecture exhaustive des trois cent soixante-dix pages, nous sommes restés perplexes. Ce n’est pas que l’ouvrage manque de qualités, l’auteur excellant à décrire des personnages hauts en couleurs (et senteurs), distillant suspens et curiosité du lecteur et répondant à toutes les questions que se pose ce dernier sur l’énigme à résoudre. Il arrive également à faire ressentir cette langueur des îles, ce faux rythme touchant les administrations et sait décrire des images intimistes d’une nature qui ne fait pas dans la carte postale attendue. La véracité est là bien qu’il nous ait prévenu « que tout est vrai dans cette histoire, les mensonges en particulier ».

Al léger
L’injonction du titre nous oblige à le croire, mais rien ne paraît vraiment incroyable dans cet enchaînement de péripéties où se côtoient fausse monnaie et vraie mafia US, faux prêtre et vrais ecclésiastiques, bateau monté de toutes pièces et voilier trafiquant. Patrice Guirao aime les personnages pittoresques, même dans la banalité. C’est ainsi que le détective (répondant au pseudo de Al) est lymphatique, velléitaire, non armé, hydrophobe et ne joue jamais des poings, que son ami d’enfance, inspecteur de police et premier polynésien voulant se convertir au judaïsme, est un boulimique du jeu de mots à deux balles, que sa mère est une mama tahitienne « pur jus de goyave » qui en sait plus que lui sans bouger de son jardin tropical, que sa fiancée asiatique est sexy, manchote et affublé d’un mini chien horripilant, que son concierge est un archétype du vieux Chinois, sale, travailleur et pingre. Le pauvre Edouard/Doudou/Al est cerné par tous ces protagonistes (les amis d’Al ?) très envahissants, freinant encore le rythme peu soutenu d’une action molle. Vous l’aurez compris, on évolue sur des rivages pas si noirs, on baigne dans les faux sanglants et le polar est du style Al léger ! Même si le comique de situation naît de cette « commedia dell’ natte », l’auteur étire le propos, récapitule vingt fois la situation dans la tête du détective/narrateur, nous assène de trop longues lignes philosophiques à la petite semaine. Une centaine de pages en moins aurait eu le mérite de muscler une histoire aux protagonistes attachants. On aime bien, par contre, les quelques digressions sur l’anarchique « Bande à Bonnot » et les petites tranches de quotidien tahitien (les journaux à la criée, entre autres). Pour les fans (il y en aura), la fin ouverte induit deux nouveaux pavés qu’il faudra fatalement se taper sur la plage… Pour sa gouverne, signalons à l’auteur qu’Al Dorsey n’a jamais existé en tant que jazzman des années cinquante – ce serait plutôt Tommy et Jimmy Dorsey, deux frères respectivement tromboniste et saxophoniste. Qu’il nous croit sur parole !

Atollross

Avril 2010