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« Autour Uluru » de Nicolas Kurtovitch

Roc attitude

Paru confidentiellement il y a quelques années, « Autour Uluru » de Nicolas Kurtovitch bénéficie d’une réédition bien venue par les éditions « Au vent des îles ». Une approche géographique et poétique d’un lieu magique qu’il faut mériter. Sacrément élevé…

Nicolas Kurtovitch et son œuvre littéraire conséquente ne sont plus à présenter, tout le monde en a entendu parler, même ceux qui n’ont jamais ouvert un de ses livres ou même lu une seule ligne de ses écrits. C’est à ceux-là que je m’adresse en particulier : « Autour Uluru » est l’opportunité à saisir pour le découvrir car ce petit livre par l’épaisseur les dessillera à une écriture où il excelle. C’est-à-dire une prose poétique, une promenade sensible où, en peu de mots, l’essentiel est dit, où l’envie est donner au lecteur d’arpenter à son tour le monde avec un regard neuf pour ce qui nous entoure.
Tout ce qui nous entoure : le monument galvaudé par les clichés, le paysage familier éliminé par l’habitude oculaire, la rue quotidienne et prévisible, voire le voisin invisible. Uluru, monolithe sacré des Aborigènes, immense roc rouge planté dans le désert au centre de l’Australie fait partie de ces lieux visités trop vite par les touristes, multiplié par des millions de photographies étroites ou parcouru par des jambes pressées.

Inter Savoir lire la nature

Ceux qui sont allés voir l’impressionnante masse rouge culminant à trois cents mètres connaissent cette impression indéfinissable, faite de mystère, de mysticisme et de solitude, les saisissant dès son apparition derrière le cinémascope d’un pare-brise. Les plus chanceux éviteront les hordes touristiques, aux seuls objectifs photos, piétinant l’endroit avant d’émettre un rot champagnisé au soleil couchant.
Nicolas et sa famille sortent évidemment de ce lot car leur approche se fait par étapes – comme dans le second texte de cet opuscule juxtaposant cinq étapes contemplatives sur le chemin kanak du centre Tjibaou.
Si photographies il y a, elles sont choisies, captées par l’œil de Nicole Kurtovitch pour un instant éternel sans scories, sans parasites. Le (re)découvreur d’Uluru prend son temps, il fait des cercles de plus en plus rapprochés et amoureux. Le marcheur, obligé de prendre l’avion, ne dort pas en cabine. Pris entre la clarté des étoiles et les lucioles filantes des habitations terriennes, il imagine la surface planétaire et ses habitants en dessous. À l’escale de Sydney, il retarde également l’endormissement pour imaginer la montagne qui l’attend depuis six cents millions d’années. Si elle n’est pas « montagne froide » (symbole pour l’auteur d’une épreuve initiatique pour s’élever avec humilité et se purifier à l’air vif du sommet), le roc chaud est cependant multiples suivant la culture de l’arpenteur. Pour les Blancs, il est défini par la géologie, l’histoire colonisatrice et, aujourd’hui le tourisme. Pour les communautés aborigènes alentours, et les Anunga en particulier, il est un livre naturel ouvert pour qui sait le lire.

Inter Dans les pas de Nicolas

Son relief inscrit les légendes, son volume est une cosmogonie changeante, ses entailles sont des signes, sa flore une ponctuation que traverse l’oralité de la faune.
À la prose informative et contemplative de l’écrivain succèdent des vers libres, des mots qui lévitent, des vérités affluant pour celui qui tourne autour avec des semelles appropriées à la rugosité du sol, tout en laissant passer le vent. La citation est inutile, il faut suivre mot à mot ce périple dans les pas de Nicolas. Le rythme de balade et celui de lecture sont à accorder selon chacun, afin de se laisser porter par les bruits de la nature, calquer sa marche sur un chant ancien des autochtones, guetter l’aboiement du dingo mythologique ou le souffle du didgeridoo ancestral… Il ne reste plus qu’à sauter sur l’arc-en-ciel, à rêver aux fourmis de miel ou à se doucher aux torrents de pluies dévalant exceptionnellement Uluru.
Encadré (un écrin écrit « Autour Nicolas ») par une préface de l’écrivain aborigène Philip McLaren et une postface de Jean-Claude Bourdais, calédonien par l’écriture, ce texte aérien et dense comme le roc approché est à mettre dans sa poche avant chaque départ quotidien pour l’extérieur. Rassurant pour le marcheur qui sait qu’il peut l’ouvrir sur un banc de passage afin de ralentir le rythme d’une journée trop envisageable. Un métronome qui, au rythme de ses pages feuilletées, vous redonnera le bon sens de la marche. Ba(l)lade…

Rocross