C’est ça le destin commun !  Joël Paul, prix du scénario Destin Commun par Convergences Pays Nov17

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C’est ça le destin commun ! Joël Paul, prix du scénario Destin Commun par Convergences Pays

C’est ça le destin commun !

En 2015, après moult débats sur le bien-fondé de consulter la population pour le transfert des compétences régaliennes, la quatrième mandature du congrès depuis les accords de Nouméa avait réussi à trouver une majorité pour fixer une date à cette première consultation, le 24 septembre 2015.

C’est sans grande conviction que cette majorité de circonstance des trois cinquième avait voté la résolution. Dans le camp indépendantiste toujours divisé et le camp loyaliste complètement éclaté avec l’approche des échéances qui avait favorisé les trahisons. Le choix de se ranger du côté des futurs décolonisés avait été fait par beaucoup de calédoniens d’origine européenne avec de vraies convictions parfois comme les adhérents du nouveau parti, Calédoun Ensemble, créé en 2014 à Néssadiou. Les représentants de la France, en martelant depuis des dizaines d’années, « les accords, rien que les accords », avaient fini par convaincre les plus radicaux des pro-français. La mère patrie ne voulait plus de ses enfants des antipodes. De plus, la perspective d’une reconduite aux frontières de 300 000 personnes d’un coup faisait jubiler la présidente de la république, issue des rangs du front national, qui avait été élue en 2012. Le président du gouvernement local, de la mouvance Calédoun Ensemble ne se faisait guère d’illusion.

Les indépendantistes avaient plutôt renforcé leur camp en ralliant à leur cause des ennemis d’hier. Chacun des deux camps était persuadé qu’un résultat surprise sortirait des urnes, une majorité favorable à la pleine souveraineté pour les uns et le rejet total de l’indépendance soit la fameuse purge du problème évoquée quelques années plus tôt par un leader du RUMP local.

Sur le terrain, dans la brousse profonde et même dans l’agglomération de Nouméa, la population avait souvent une autre vision de ce destin commun décliné sous toutes les formes et expliqué par des donneurs de leçon de tout poil. « Qu’est-ce que c’est que ce petit territoire peuplé de descendants de colons pour la plupart issus de la -Pénitencière- qui voulaient rester français ? La France ne vous aime plus pour peu quelle vous ait jamais aimé, les contribuables français en ont assez de payer pour vous ». Voilà, décodés, les propos que ces idéologues et grands commis de l’état venaient rabâcher, des discours lénifiants devant un auditoire composé par les mêmes bâilleurs depuis des années, (bâilleurs avec accent circonflexe car les bailleurs de fonds, eux, se faisaient de plus en rare. « C’est Pisani qui avait raison », disaient de vieux calédoniens tandis que les jeunes se demandaient en entendant cela de quel gouverneur on parlait là. « Pisani, c’était avant ou après Feuillet ? »

Vendredi 28 août, Alphonse Méaro, casque vissé sur la tête et boudiné dans sa combinaison de travailleur canadien maculée de poussières blanchâtre à cause de la veine d’amiante qu’on venait de décaper et qu’il avait eu le privilège d’évacuer aux abords du site de Vavouto, était au volant de son camion de roulage minier, un Volvo FMX qui faisait la fierté de sa famille.

Il roulait dans la direction de sa tribu d’Oundjo en suivant deux autres poids lourds qui filaient dans la même direction. Les trois poids-lourds étaient fréquemment doublé par des pick-up de Koniambo Nickel surmonter de leurs antennes au fanion rouge pour être bien visible en roulant à 20km/heure sur le site et pour slalomer entre les gros-culs sur la RT1 à 110 km/heure. Ils étaient stricts sur la sécurité sur les sites miniers, des règles à l’anglo-saxonne transgressées dès le passage du portail avec un ouf de soulagement par les travailleurs -philippinisés- de Nouvelle-Calédonie. Le transport qu’il venait d’effectuer toute la semaine était un des derniers chantiers de terrassement qu’il avait réussi à obtenir avec son groupement d’intérêt économique. Alphonse était de mauvaise humeur. Du côté passager était assis Jean Méaro son frère qu’il venait de récupérer en bord de route, une silhouette qui tranchait par rapport à lui car si la ressemblance était là, l’homme à côté de lui était mince et torse nu avec un bonnet de laine mal ajusté au dessus d’une tignasse hirsute. Alphonse faisait partie d’un GIE et croquait des retombées industrielles tandis que Jean était resté « nature » en continuant la pêche aux crabes avec sa femme. Lui aussi était de méchante humeur. C’est lui qui desserra les dents le premier.
─ Tes copains de KNS, ils avaient dit à nous qu’ils conserveraient assez de mangrove pour les crabes mais c’est mes couilles ces mecs là, y a plus peau de balle. Sidonie passe son temps à jouer au bingo à la tribu et le colporteur ne passe même plus. On va bientôt être plus pauvre qu’avant. Heureusement que tu es là avec ton roulage.
─ J’aiderai toujours les gens de mon clan grand frère mais j’ai encore des traites et mon contrat se termine le mois prochain.
─ L’enculé, on va faire quoi ?
─ T’inquiète, on va secouer le cocotier, y commence à engranger des milliards à KNS mais ils n’ont qu’un discours à la bouche. « Abaisser les coûts, réduire le personnel, faire face à la concurrence », y veulent nous niquer. T’as vu la couleur du lagon ? Il est où le bleu ? Et les requins qui ont encore bouffés un blanc ! C’était un blanc d’accord mais l’année dernière c’était un gosse de la tribu. J’ai lu ou entendu, sais plus, qu’il avait enfin trouvé la cause du phénomène d’augmentation des attaques : Les grands requins suivent les minéraliers. Plus on exporte, plus on se fait bouffer. C’est le progrès. Vivement l’indépendance. Septembre, c’est bientôt mon frère. On va fêter ça. J’ai eu mon chèque avec la fin du chantier. Regarde sous ton siège.
─ Rossignol de Frônce, on va pouvoir claquer un gros coup de fête avec tes boissons hygiéniques ! Elle est fin belle la vie chez nous en brousse.
─ L’engin avec la soif que j’ai, suivre ces deux cons qui respectent les vitesses avec leurs camions, ça me fout les boules. Allez, je corne et je dépasse !
─ Tu l’as doublé mais il t’a fait un bras d’honneur, j’ai vu lui.
─ Je sais qui c’est stanculé de rouleur, on réglera ça plus tard. Il a insulté un ancien, je vais lui rappeler le respect qu’il doit aux vieux. En attendant, filons chez nous, il faut mettre les topettes au congel.

Dimanche 30 Août, au mess des sous-officiers du camp militaire Félix Broche l’amicale des nordistes était réunie pour un bal musette, un traditionnel moules frites et Picon bière pour retrouver l’ambiance ch’timi.

Dany Blum, venait d’arriver avec son épouse qui trottait derrière lui, il se dirigea directement vers Joël Chtiverniaux le président de l’amicale qui pointait avec anxiété les arrivants.
─ Salut Biloute, t’as pas chingé un brin d’puis l’derrière fois
─ T’sent pat obligé d’barguiné dans t’langue e’tein pays, ichi y vont s’foute not’e gueule, ya pas un bourgeois de Calais
─ Heinnn !
─ C’est bon, arrête, on va nous prendre pour des belges, une fois
─ T’as raison, mais qu’est ce qui se passe ? Ma femme m’a dit qu’il n’y a qu’une soixantaine d’inscrit ?
─ Et encore, j’ai peur des désistements de dernière minute, c’est bien fini, les bals d’avant, il a quinze ans on refusait du monde. Tu te souviens des bals avec notre ancien président notre vieux briscard de la légion étrangère.
─ Je le sais bien. La semaine dernière, j’ai accompagné les Pétochard à Tontouta, ils sont repartis à Fourmi. Par sécurité qui m’ont dit. Avec les vieux cht’i qui mouru et les retraités fonctionnaires qui désertent le territoire faute d’indexation ça fait du monde en moins chez nous.
─ Je veux, le prix de l’immobilier a encore baissé de 20% paraît-il ?
─ J’confirme, ma fille travaille à l’agence Danslacaution Toutestbon à Nouméa. Ils ont mis trois commerciaux dehors et ce n’est pas fini, suppose qu’en septembre le résultat soit : oui à l’indépendance.
─ T’inquiète, ils ne sont pas encore prêts. On n’en reparlera dans vingt ans. J’t’ai placé à la table de Robert Secretus, c’est un ancien des renseignements généraux si tu vois ce que j’veux dire.
─ Tiens le voilà.

Les deux hommes regardèrent approcher Robert, un homme claudiquant.
─ Robert, comme tu le vois ce n’est pas la foule, je n’ai même pas eu assez d’argent en caisse pour payer un disc-jockey, il faudra se contenter d’un enregistrement.
─ Ça ne me dérange pas, tu sais bien que je peux plus danser avec ma patte folle, je préfère discuter et manger.
─ Ça tombe bien, je t’ai placé à côté de Danny Blum, vous vous êtes déjà rencontré je crois.
─ Bonjour, allons nous asseoir, nos verres sont pleins, nos femmes sympathisent déjà et comme je viens d’entendre que vous souffrez d’une jambe, dit Danny en attirant le couple vers leur table.

Les deux hommes se placèrent l’un en face de l’autre tandis que leurs épouses qui n’avaient jamais cessées de parler firent de même.
─ À la santé des gens du Nord, lança Danny en levant son verre de Picon
─ Ch’ti, répondit Robert en souriant.
─ Avant que tu arrives, je parlais avec Joël du nombre décroissant des participants à nos bals et de l’avenir du territoire qui fait fuir nos compatriotes. Tu en dis quoi de la situation ?
─ Je ne pense pas que le vote pour la pleine souveraineté passera cette première fois mais on y va. C’est une volonté de la France de se séparer de ses confettis de colonie et n’oublions pas que c’est verrouillé par une loi cette affaire. Sans oublier les multinationales installées sur le Caillou qui n’attendent que notre départ pour faire la loi ici mais il y a un os majeur. Depuis quelques mois, il faut six mois pour obtenir un passeport français biométrique dernier cri. On sait dans les milieux autorisés, comme aurait dit Coluche, qu’on moins 50% de la population n’abandonnera jamais son statut de français de première classe, pourrait-on dire. Conséquence, la Nouvelle-Calédonie-Kanaky risque de devenir un pays souverain avec 50% d’immigrés soit 150 000 autochtones avec 150 000 français qui vont vouloir continuer à faire la loi. Bon courage à notre futur ambassadeur, un merdier incommensurable en perspective sans compter les clandestins ?
─ Quels clandestins ?
─ Les deux dernières manifs des sans droit de vote ne t’ont pas échappé. A la piscine, ils s’inquiètent. On imagine encore dans l’hexagone qu’ici il y a quelques blancs dans un pays à majorité noire sauf que ce n’est plus le cas depuis 150 ans. De plus, on a sciemment laissé l’immigration aggraver ce déséquilibre, une erreur fondamentale à mon sens que l’on va payer tôt ou tard. La violence interethnique pourrait recommencer. Dans les années 80, l’armée française s’est interposée pour éviter un massacre. Le lendemain d’une hypothétique indépendance l’armée française restera l’arme aux pieds comme elle l’a fait pour les Nouvelles Hébrides lorsque les révoltés de Santo se faisaient calmer par les papous. Je ne suis pas certain que la France, en croyant décoloniser le peuple originel, ne donne pas le pouvoir aux caldiens comme ont dit aujourd’hui. Ça t’en bouche un coin, mais l’intérêt des mélanésiens est peut-être de rester français.

Dimanche 30 août à la tribu d’Oundjo en fin d’après-midi, dans la case, un faré pour les coups de fête car Alphonse avait une piaule en dur avec tout le confort moderne, comme il disait, les frères Méaro étaient fin pétés. Ils faisaient la fête depuis vendredi. Des jeunes de la famille les avaient rejoints tandis que les femmes sur des nattes jouaient aux cartes en surveillant les enfants et les marmites posées sur deux rails pour wagonnets d’une ancienne mine au dessus d’un feu de bois.

Les deux vieux étaient « fin en forme » mais le week-end se terminait et l’affront n’avait pas été lavé. Alphonse demanda à la bande de jeunes d’aller chercher le jeune chauffeur, un voisin, famille avec les Méaro. Les jeunes s’exécutèrent avec enthousiasme, c’était « top ». Deux voitures de jeunes éméchés démarrèrent en trombe en gueulant des kanaky de guerre pour faire le rapt du cousin. Ils alpaguèrent facilement le jeune rouleur bien imbibé lui aussi. Ils déchargèrent le garçon en le roulant par terre à coups de botte devant le faré puis attendirent la prise de parole d’Alphonse.

Avant le retour des jeunes, Jean avait eu l’idée d’aller chercher son fusil qu’il avait glissé sous la table histoire d’impressionner le prévenu de ce tribunal coutumier improvisé. Jean ne se séparait jamais de son calibre. C’était le chasseur et le pêcheur du clan, un homme précieux, silencieux mais efficace. Il aimait la nature, ses ancêtres et la vie saine de la brousse. Les mines, l’argent, la politique ce n’était pas son truc. C’était Alphonse l’homme d’affaire, le conseillé municipal et le chef du GIE.

Affalé sur la table, Alphonse se leva péniblement en grommelant avant de s’adresser au jeune apeuré et groggy par les coups de pied. Avec une élocution très approximative Alphonse s’adressa à son jeune confrère rouleur.
─ C’est quoi que tu as fait à moi sur la route vendredi. C’est quoi ! Ajouta-t-il en hurlant.
─ Vieille couille de putain de Méaro. J’ai presque versé dans le ravin, répondit le jeune en titubant.
─ Parle bien à moi, c’est quoi ces mots fin mal polis, vieille couille ! À moi ton oncle.
─ Vieille couille, répéta le jeune homme en vacillant à cause du bras d’honneur qu’il esquissa.
─ Jean, la pétoire.

À la surprise générale Alphonse s’empara de l’arme et tira sans sommation sur le jeune homme une balle en plein cœur. Le garçon s’écroula en tombant à genoux avec les yeux exorbités qui fixaient ceux de son oncle. La détonation avait fait taire tous les bruits de la tribu. Les femmes s’étaient levées effarées. Alphonse serrait sur sa poitrine l’arme du crime, absent, hébété stupéfait par son propre geste. Sans qu’on les voie arriver deux voitures de gendarmes, alertés par le coup de feu qu’ils avaient entendu de la RT1 déboulèrent dans la cour des Méaro. Un gendarme se précipita sur l’homme à terre qui expira dans ses bras. Il fit un signe de tête à son chef qu’il n’y avait plus rien à faire. Le chef de la brigade désarma calmement Alphonse. Trois gendarmes se placèrent en position de tireur pour couvrir l’opération. Le chef de la patrouille demanda aux frères Méaro de les suivre sans résistance.

Alphonse sortit alors de son apathie. Il gueula : « Vous êtes en Kanaky, vous n’avez plus aucun droit ici, le mois prochain c’est l’indépendance ! » Le réveille d’Alphonse excita les jeunes. Les gendarmes menottèrent sans ménagement les Méaro avant de les précipiter dans le fourgon en opérant un repli stratégique arme au poing sans quitter des yeux les hommes de la tribu qui avançaient menaçant vers eux. Sidonie revenait des champs avec un minuscule régime de bananes vertes qu’elle avait péniblement dénicher pour ajouter au riz une fois découpées en rondelle. Droite et digne, elle regarda Jean, son époux, courbé et penaud assis dans le fourgon qui s’éloignait.

Dans le fourgon Alphonse insultait les gendarmes en s’agitant comme un damné. Deux gendarmes avaient beaucoup de mal à bloquer Alphonse qui était fort comme un bœuf. A bout d’arguments Alphonse tenta une dernière médiation : « Pourquoi vous embarquez mon frère, c’est moi le tireur ». Un jeune militaire excédé par les insultes proférées par Alphonse depuis l’interpellation lui rétorqua : « C’est ça le destin commun », ses collègues s’esclaffèrent.
Le chef de brigade, assis à la place du chef de bord, se retourna en fusillant des yeux ses subalternes. « Ricard, votre humour est déplacé, vous rendrez compte. Cette faute de service est impardonnable ».