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Roman « 28 secondes en 2012 » de Yan Yoro

Extrait

Dans la lumière aveuglante de ce lundi matin, les yeux rivés sur l’horizon, il avance doucement ses pieds, jusqu’à ce que ses orteils dépassent légèrement du rebord de la plate-forme. L’élastique, solidement attaché à ses chevilles, disparaît dans le vide devant lui…

Ont-ils bien calculé sa longueur en fonction de son poids et de la hauteur de la grue ?
La balance qui l’a pesé est-elle vraiment fiable ?
Et l’élastique ?
Pourquoi fallait-il qu’il soit le premier ?…
Enfin, et surtout, Ikpwet est-il de bonne humeur, ou cette puissance facétieuse a-t-elle décidé de lui jouer un tour à sa façon ?

Superstitieusement, il sort un morceau d’obsidienne d’un petit sac en fibres de pandanus, camouflé dans les replis de son manou. C’est une pierre de lave grossièrement taillée que lui avait offerte son grand-père, sur son lit de mort. Pour te protéger du mauvais sort que les esprits t’ont jeté mon enfant, avait-il murmuré. C’est mon grand-père qui me l’avait transmise, et lui-même la tenait de son père qui la lui avait donnée le jour de son départ pour les champs de coton des blancs du pays de la Reine, en Australie. C’était alors l’époque du Black-birding – une forme d’esclavage qui taisait son nom – dans le Pacifique Sud du début du vingtième siècle.

Il élève la pierre vitreuse noire aux reflets violets au niveau de ses yeux, et, après un rapide coup d’œil à la foule qui l’attend en bas dans un vacarme de tambours et de danses du serpent, il observe le morceau tranchant qui reflète les rayons dangereux du soleil. Il songe à la légende d’Ikpwet, ce dieu espiègle qui a permis à l’aurore de naître en déchirant la nuit avec une pierre d’obsidienne semblable à la sienne. Lui, Blaking Twolo Mwotlap, fils des chefs de l’île de Gaua, qui se succèdent depuis des générations, va maintenant écorner le Soleil dans le ciel bleu, afin de donner plus de pouvoir à la Lune, la planète froide de la nuit.
Il pense à Aotea et se remémore la chanson entendue sur le bateau.
Alors jeune fille, je veux te remercier…
Tu as montré le chemin à mon cœur,

Je connais la couleur de l’amour…
Oh, ta couleur…
… »

Chapitre – Seconde 8 – La pigmentation
Roman « 28 secondes en 2012 »